L’astronomie par les dames, des maths à la matière noire
Ils observent et analysent la lumière des astres pour expliquer l’origine de l’univers ; ce sont les astronomes. Si le nom est neutre, il s’est longtemps accordé exclusivement au masculin. Ainsi, lorsque l’astronome français Jérôme Lalande publie en 1785 L’Astronomie pour les dames, il ne s’agit pas d’un pamphlet misogyne, mais au contraire d’un plaidoyer en faveur de la pratique par les femmes de cette science considérée comme la plus ancienne.
Hypatie, martyre de la philosophie
Dans la préface de son livre, Lalande établit une liste quasi exhaustive des femmes ayant pratiqué l’astronomie. Mais ses exemples sont récents, et même en partie contemporains. Pour démontrer l’intemporalité de son propos, il cite Hypatie, la première femme mathématicienne et astronome dont la vie est bien documentée. Vivant à Alexandrie au IVe siècle de notre ère, elle est reconnue pour la rédaction de commentaires sur des œuvres de grands savants, comme L’Almageste de Ptolémée.
Elle conseille Oreste, le préfet d’Égypte, en conflit ouvert avec Cyrille, l’évêque d’Alexandrie. Dans cette période troublée, Hypatie est sauvagement assassinée en mars 415 par des moines chrétiens. Les philosophes des Lumières la réhabilitent en s’identifiant à ce symbole de la libre pensée, empêchée par le fanatisme catholique.
Nicole-Reine Lepaute et le retour de la comète de Halley
Si Lalande est convaincu que les femmes peuvent être d’excellentes astronomes, c’est sans doute parce qu’il a collaboré avec l’une d’elles, Nicole-Reine Lepaute, qu’il admire. Pendant plus de six mois, tous les deux mènent les calculs dirigés par Alexis Clairaut pour prédire le retour de la comète de Halley. En prenant en compte l’influence de Jupiter et Saturne, ils affinent la prédiction d’Edmond Halley en décalant la date de retour de la comète de plusieurs mois, c’est-à-dire à avril 1759. L’observation de la comète, finalement en mars 1759, représente un franc succès pour l’équipe d’astronomes et marque le triomphe de la mécanique newtonienne.
Dans sa Théorie des comètes publiée l’année suivante, Clairaut « oublie » de mentionner Nicole-Reine Lepaute. Pour expliquer cette goujaterie, Lalande ne peut y voir que la conséquence d’une jalousie féminine. Le pauvre Clairaut n’aurait pas voulu froisser son amie du moment en vantant les mérites d’une autre femme.
Caroline Herschel, découvreuse de comètes
Connaissez-vous la première femme astronome rémunérée pour ses activités scientifiques (à partir de 1787, par le roi de Grande-Bretagne Georges III, pour un montant – il est vrai – très modeste) ? La première femme à recevoir la médaille d’or de la Royal Astronomical Society en 1828 ? Et la première femme à devenir membre de cette prestigieuse société savante en 1835 ? Il s’agit bien de Caroline Herschel, dont le mérite est encore souvent minoré dans l’histoire de l’astronomie.
Née à Hanovre en 1750, elle est la 8e enfant des 10 de la famille. Sa mère la destine au rôle de servante de la maison. Plus libéral, son père lui donne un minimum d’instruction. Dans la famille Herschel, la musique est importante : le père est chef d’orchestre militaire et le frère William poursuit une activité de musicien à Bath, en Angleterre. Il propose à sa sœur de le rejoindre pour tenir sa propre maison, et accessoirement lui apprendre le chant. Une autre passion va envahir William : l’astronomie. Il fabrique ses propres télescopes et arrive à en vendre. Il transmet progressivement ses compétences à sa sœur, qui de ménagère devient son apprentie. Elle l’assiste en permanence dans ses observations stellaires et dans la conception de télescopes toujours plus grands, jusqu’au célèbre télescope de 40 pieds de distance focale.
Malgré le dévouement constant à son frère et une collaboration quasi exclusive avec lui, il est très réducteur de présenter Caroline Herschel uniquement comme son assistante. Dès 1782, elle observe le ciel seule. Elle découvre plusieurs comètes, et jusqu’à sa mort en 1848 à l’âge de 97 ans, elle est reconnue comme une astronome de haut rang par ses pairs.
Les femmes « calculatrices » de Harvard
Dans le livre Une seule femme, Immy Humes présente 100 photographies sur lesquelles, au sein d’un groupe d’hommes, n’apparaît qu’une seule femme, telle Marie Curie entourée des plus grands scientifiques du début du XXe siècle. Sur la photographie ci-dessous, prise en 1913 devant l’observatoire de l’université de Harvard, c’est le contraire : l’astronome Edouard Charles Pickering est le seul homme.
Les femmes qui l’entourent sont employées comme « calculatrices » humaines. Le travail consiste à observer et analyser de nombreuses plaques photographiques alors utilisées, car plus sensibles à la lumière que l’œil humain. À l’aide également de mesures spectroscopiques, il s’agit d’identifier des étoiles et de déterminer les éléments qui les composent. Le fruit de ce travail considérable aboutit à la classification des étoiles par type spectral, appelée classification de Harvard. Williamina Fleming, Antonia Maury, Henrietta Swan Leawitt, Annie Jump Cannon… les contributions de ces femmes à l’essor de l’astronomie sont essentielles.
Nous pourrions voir dans cette prépondérance féminine le témoignage d’une nette féminisation des métiers scientifiques au début du XXe siècle. La sociologie préfère définir un « effet de harem » lorsqu’un homme de pouvoir s’entoure majoritairement de femmes occupant des positions subalternes. Il est vrai que les calculatrices de Harvard étaient payées beaucoup moins cher que leurs collègues masculins…
Vera Rubin invente la matière noire
Au XXe siècle, les femmes astronomes sont encore des pionnières et doivent être des scientifiques d’exception pour que leurs mérites soient un tant soit peu reconnus. C’est le cas de l’Américaine Vera Rubin, deuxième femme à recevoir la médaille d’or de la Royal Astronomical society en 1996, 168 ans après Caroline Herschel… L’astronomie n’était clairement pas encore accessible à toutes les dames. Première femme autorisée à travailler à l’observatoire du mont Palomar en 1965, il n’y avait alors pas de toilettes pour dames…
En plus du sexisme ambiant, Vera Rubin est aussi confrontée au scepticisme d’une partie de la communauté scientifique. Ses thèses sont en effet audacieuses, consolidant l’hypothèse d’une matière noire qui représenterait 90 % de l’Univers. Si la matière noire n’a jamais été directement observée, les travaux de Vera Rubin ont radicalement modifié la manière dont les astronomes étudient les galaxies. Décédée en 2016 à 88 ans, elle aura œuvré pour promouvoir le rôle des femmes en astronomie.
En 2020, l’Américaine Andrea Ghez reçoit le prix Nobel de physique pour « la découverte d’un objet compact supermassif au centre de notre galaxie », autrement dit un trou noir. Après avoir oublié ou minimisé les travaux de Vera Rubin et de tant d’autres femmes, il s’agit d’une timide prise de conscience du comité Nobel de son rôle dans la promotion des sciences auprès des jeunes filles. Comme le dit Vera Rubin, « à l’échelle de la planète, la moitié des neurones appartiennent aux femmes ».
Et en France ? Il est aussi temps de mettre en avant les femmes travaillant dans l’astronomie. Leurs 130 portraits ont été réunis à l’occasion de la journée internationale des femmes et de filles de science, le 11 février dernier.
Approfondir le sujet
- Jérôme Lalande, L’Astronomie pour les dames, 1785, à consulter sur Gallica, BnF
- 5 témoignages de femmes de la lumière en France
- Guillaume Gendron, L’astrophysicienne Vera Rubin, chercheuse sur la masse invisible… et pionnière invisibilisée, 27 décembre 2016, Libération
Photo en tête de l’article : Vera Rubin, Observatoire Lowell, Arizona, USA, 1965 © Institut Carnegie, parution le quotidien Libération
Excellent. Bravo