Bien-être, lumière et architecture pendant la Renaissance
Nous avons vu que la Renaissance est immergée dans cette pensée qui fait de la lumière l’instrument suprême, générateur de cette harmonie, expression absolue de l’idée de bien-être. La lumière représente clairement dans l’esprit de l’époque cette force capable d’expliquer la genèse et les mouvements de l’univers, tout autant que cette énergie à même d’imprégner et de compénétrer l’état de conscience comme la notion même de vie.
Dans l’esprit de l’érudit de l’époque, comme dans celui de ces « praticiens de l’art visuel » qui construisent patiemment chaque image, elle est intrinsèquement et sans transition aucune une source de connaissance qui alimente de savoir notre esprit et donc notre compréhension visuelle. La culture visuelle d’alors est bien loin des innombrables références photographiques, cinématographiques, vidéographiques qui sont les nôtres. C’est donc en ces termes, par cette vision de la lumière, que :
- ces personnages s’attellent à la patiente réélaboration de l’image de l’Homme, l’image du monde, l’image de la ville,
- par le dessin, par la peinture, par la sculpture, par l’architecture.
Ces images deviennent ainsi les lieux de convergence de toute réflexion et de toute science. Elles se manifestent à travers cette démonstration physique qu’est la perspective architecturale. Celle-ci est une projection de l’esprit à travers le champ visuel. Cette projection progresse au cœur de la lumière invisible, mais ses effets sont perceptibles grâce à la lumière visible. La lumière accomplie ainsi de manière définitive sa fonction de source d’accomplissement intellectuel, spirituel, et par conséquent de bien-être .
Architecture, perspective et lumière
Ces principes néoplatoniciens sont ceux qui vont présider à l’énonciation, ou bien à la redécouverte des préceptes de l’architecture du monde classique. Ils vont être développés, proposés par les explorateurs du visuel de l’époque de la Renaissance, comme Brunelleschi, Leon-Battista Alberti, Léonard de Vinci, Giorgio Vasari, Michel-Ange, etc.
C’est dans ce contexte que la perception visuelle est attribuée par Leon-Battista Alberti, à la réception de la lumière par les objets et par les formes[1]. Il circonscrit, dans un ordre géométrique définit, un faisceau de rayons divergents[2]. Ce dernier va se fondre avec le principe de représentation de la construction en perspective. Cette même perspective est assimilée dans l’esprit de l’époque à l’harmonie accomplie et constante de la musique. La musique, qui gouverne la géométrie comme l’harmonie de l’esprit, s’exprime ainsi dans l’architecture[3] comme en témoigne Colin Davies dans son ouvrage Thinking About Architecture dans lequel il expose les éléments fondateurs de la pensée architecturale.
« L’œil n’a qu’une ligne centrale et voit distinctement toutes les choses qui lui parviennent sur cette ligne. Autour d’elle, il en existe une infinité d’autres qui adhèrent à celles du centre, et leur force est d’autant moindre qu’elles sont plus éloignées de la ligne centrale. »
Léonard de Vinci, Les carnets de Léonard de Vinci, traduit de l’anglais et de l’italien par Louise Servicen, préface de Paul Valéry, Paris, éd. Gallimard, 1942
L’architecture devient donc l’organisation de la lumière, de l’intelligence et de la matière dans une harmonie ultime : celle de la proportion du corps comme reflet de l’harmonie de l’univers au centre duquel le fameux dessin de Léonard de Vinci, L’Homme de Vitruve place justement l’humain[4].
Pensée architecturale et l’humain
Ces fondements de la pensée architecturale affirment donc sans ambages l’humain comme destination première de toutes les attentions. L’idée de bien-être se voit portée au sommet de ses aspirations. Geoffrey Scott historien de l’architecture nous a d’ailleurs transcrit cette pensée en plein XXe siècle lorsqu’il écrivait :
« L’art de l’architecture n’étudie pas la structure en elle-même mais les effets de la structure sur l’esprit humain[5]. »
D’autres, comme Ettore Sottsass dans son recueil de réflexions intitulé Photos par la fenêtre ajouteront :
« Il m’arrive assez rarement de rencontrer l’architecture, celle qui tente d’envelopper avec soin mon corps et mon âme fragile[6]. »
Bien entendu, chacune de ces remarques pourrait tout aussi bien être appliquée à la question de l’éclairage. Elles nous rappelleraient alors combien la réflexion du concepteur lumière se développe au fil de la pensée architecturale. Ou bien serait-ce que la réflexion architecturale s’élabore sur le fil de la pensée lumière, ou plus précisément sur celui de la construction visuelle, domaine par excellence de la conception lumière ?
C’est bien là la spécificité que notre pratique confère à notre regard : une capacité d’investigation qui nous offre l’opportunité d’apporter le complément de réponse visuel et non-visuel aux questions que se pose l’architecte en termes de bien-être.
À suivre…
Conception lumière : pensée et mission de la perception visuelle
Notes de lecture
[1] Isabelle Bouvrande, « Phaos, lux et lumen : de la visibilité du monde à la visibilité de la peinture à la Renaissance », in Lumière(s) : Journées d’études des 10 et 11 septembre 2015, organisée par les doctorants de l’IRHiS, Université de Lille 3 – Sciences Humaines et Sociales [en ligne]. Villeneuve d’Ascq : Publications de l’Institut de recherches historiques du Septentrion, 2016 (généré le 03 mars 2021). [2] Leon-Battista Alberti, De pictura, Paris, éditions Allia, 2014, p. 16-18. [3] Colin Davies, Thinking About Architecture: An Introduction to Architectural Theory, Loners, Laurence King Publishing Ltd/Edition, 2011, chap. III, § « The problem of perspective ». [4] Ibid. chap. III, § « Harmonic proportion ». [5] Geoffrey Scott, The Architecture of Humanism – A Study in the History of Taste, Read Books Ltd, Édition du Kindle, 1924 [NDA : historien de l’architecture et poète britannique de l’entourage du critique d’art Georges Berenson]. [6] Ettore Sottsass, Photos par la fenêtre, Capriasca/Tesserete (CH), Pagine d’Arte, 2014. [NDA : l’architecte Ettore Sottsass, évoque ici combien l’architecture oublie trop souvent de s’adresser à l’humain.]
Ce texte est une version complétée de la conférence présentée par les auteurs dans le cadre du colloque éclairage de l’université de Troyes, le 30 septembre 2021 : de l’éclairage circadien au HCL (Human Centered Lighting) : integrative lighting, ou éclairage intégratif.
Approfondir le sujet
- Lumière et bien-être : harmonie universelle et arts visuels
- Conception lumière : pensée et mission de la perception visuelle
- Ombre, de la Renaissance à nos jours
- La ville idéale en France est-elle une smart city durable ?
Photo en tête de l’article : galerie des Offices avec le Palais de la Signoria, Palazzo Vecchio, Florence, Italie – Architecte : Giorgio Vasari © Chris Wee, Flickr, Wikipédia