Conception lumière : rétrospective du métier et ses publications
Il y a un an, un article paru dans Les Echos pointait le manque de communication du secteur de l’éclairage en France : « L’éclairage français ne communique plus », Nidam Abdi, Les Echos, février 2015. Cette tribune parlait des fabricants de matériel d’éclairage et ciblait principalement la faible proportion de publications orientées « lumière » alors que la France est :
- un des plus grands viviers de presse spécialisée, et que,
- l’éclairage urbain est au cœur d’un marché « historique », bien que atone ces derniers temps.
On peut également se poser cette question sur le métier de Concepteur Lumière « à la française », et si ce défaut de communication n’est pas dangereux pour notre identité.
La conception lumière telle que décrite sur le site de l’ACE – Association des Concepteurs Lumières – Éclairagistes :
« La lumière est un matériau de création à part entière dans l’espace public, et pourtant le métier de concepteur lumière n’a qu’une trentaine d’années. Ce sont des interventions lumière événementielles, à grande échelle dans les années 1980, qui ont posé les bases de la conception lumière pérenne ».
Vision « franco-française », oubliant la part « d’éclairage intérieur » dont les travaux de l’Américain Richard Kelly en 1935 ont posé les cardinaux de l’éclairagisme et de la conception de projets d’éclairage à savoir : « Focal glow – Ambient luminescence – Play of brilliants » en anglais.
Il est en revanche vrai que si la « conception lumière » n’est pas une invention française, de belles pages de son histoire y ont pourtant été écrites.
Un savoir-faire français « historique »
On ne remonte pas aux fastes lumineux des fêtes baroques royales du XVIIème, qui furent partagées dans toutes les cours d’Europe, mais aux origines de l’éclairage artificiel électrique/industriel. Certes, les Expositions Universelles et coloniales ont célébré le culte de la Fée électricité, mais c’est le potentiel architectural, historique et culturel de la France qui lui a offert un superbe terrain d’expression (1937, le Tour de France de la Lumière, par la Compagnie des Lampes Mazda, 426 sites éphémères).
En 1953, les premiers « Son et Lumière » de Pierre Arnaud de Chassy-Poulay, sur les châteaux de la Loire, s’exporteront rapidement à l’international avec les spectacles sur les Pyramides du Caire, Persépolis, l’Acropole, devenus des références mondiales de l’époque. Pierre Arnaud signera également le premier plan lumière pour organiser et scénariser, non pas la ville, mais bien le « Paysage nocturne de la ville Nouvelle de l’Isle d’Abeau ».
Emportés par ce mouvement, des père-fondateurs issus de mondes et de cultures différentes (industriels ou artistiques) posent les fondations de ce métier :
- Roger Narboni qui en définit et écrit les bases fondamentales et conceptuelles.
- Alain Guillot qui fait flamboyer les opérations prestigieuses dans le monde entier.
- Pierre Bideau ou Louis Clair qui apportent leur « coups d’éclats » et leurs « coups de maître » sur des projets emblématiques comme la Tour Eiffel ou la Rotonde de la Villette à Paris et aident à faire évoluer les mentalités.
Sur ces bases solides et cette dualité d’origines, d’autres créatifs feront bouger les lignes comme :
- Laurent Fachard qui scande avec fougue et brio la « couleur dans l’espace public » et nous rappelle également que la « bonne lumière » doit être pour tous et partout avec ses éclairages de centres pénitenciers…
- Les exigences conceptuelles et techniques fortes de Georges Berne ou Gérard Foucault
- Yann Kersalé qui, à travers la dimension artistiques de ses « expéditions lumière », fait évoluer le regard et l’exigence sur la nuit et le beau et par rebonds sur notre métier…
Aujourd’hui, d’autres agences de nouvelles générations formées chez les premières, ou issues du monde de la conception de l’espace et du volume (architectes, paysagistes, designers, ou du monde du spectacle), et d’autres professionnels de cultures et d’exigences artistiques diverses continuent à faire évoluer le métier. Le tout, bien entendu, accompagné par la compétence et l’engagement de certaines maîtrises d’ouvrages et des services éclairages fortement impliqués comme la ville de Paris, la ville de Lyon…
Mais un « savoir-faire » qui souffre d’un manque de « faire-savoir »
Les seuls relais de diffusion de ces bonnes pratiques et savoir-faire étaient à l’époque :
- de « beaux livres » devenus références comme :
- Penser la ville par la lumière de Ariella Masboungi,
- Lumières architecturales en France de Vincent Laganier,
- les trois livres sur la Lumière de Roger Narboni…
- les publications de réalisations de la revue LUX de l’AFE… dans laquelle on relate certes des opérations lumière mais l’AFE et LUX restent « la filière Éclairage »… pas uniquement la « lumière urbaine »…
Ainsi, dans les années 2000, l’unique magazine à se démarquer, promouvoir le métier, était PLD – Professional Lighting Magazine – où les projets lumière étaient présentés et décortiqués. La palette des potentialités et les enjeux lumière traités en thématiques exhaustives. Les données techniques un complément d’information, pas une finalité…
Une publication exigeante qui couvrait le métier transversalement en parlant d’éducation et d’événements, mais aussi de la perception de l’espace, de la méthodologie du projet, tout ce qui incitait les concepteurs lumières à être encore plus curieux, attentifs aux courants, évolutions et ré-volutions.
L’arrêt brutal de la publication en français de PLD a laissé un vide, une attente dans la diffusion des idées, la promotion du métier.
Depuis cette date, pour ainsi dire, plus de transversalité entre professionnels, chacun restant dans son association, sa structure, son « marché de niche », avec parfois une tribune ou une lecture durant un Rencards de l’ACEtylène, une « conférence » durant un salon professionnel, rien de plus…
Cette absence de visibilité au niveau national a induit encore moins de relais du « savoir-faire » français et de ses opérations, ses expériences et innovations vers un auditoire international. Seul depuis quelques années, Mondo*arc sort une version multi-langues en publiant quelques rares opérations, les plus emblématiques. Le plus souvent un relais du dossier de presse quand il est disponible…
Comment alors mieux partager la conception lumière française ?
Mais depuis une quinzaine d’année, la conception lumière en Europe et partout dans le monde s’est affirmée, initialement par les cultures anglo-saxonnes, décomplexées et toujours largement promotionnées par les publications riches, exigeantes et informatives de PLD et Mondo*arc.
Les cultures du Sud aujourd’hui nous montrent de nouvelles voies, de nouvelles pistes.
Apparaissent de nouveaux moyens de communiquer, à travers des sites Web, réactifs et non « exclusifs » comme nous essayons de le faire sur Light ZOOM Lumière, mais aussi ouverts à des audiences plus larges, plus transversales comme Deezen, The Creators Project.
Les concepteurs européens sont présents sur les réseaux sociaux, qui sont des relais d’information, d’échange et de promotion.
De fait, la France semble à la traîne des évolutions, ne pouvant faire parler de ses professionnels de la conception lumière et de leurs opérations, des pistes et voies qu’ils ouvrent, car ceux-ci ne sont plus relayés par les publications papier ciblant uniquement la filière technique ou quelques rares opérations.
Donc, aujourd’hui, mis à part sur le sujet de « l’écologie de la nuit », la France de l’éclairage et de la conception lumière semble accuser un retard vis-à-vis des autres pays européens sur :
- le passage de « Lumière magistrale » à « Lumière sociale »,
- l’importance de l’éclairage naturel et de la lumière intérieure comme l’une des compétences du Concepteur lumière,
- l’éducation, la transmission du savoir-faire et la communication des idées,
- la défense du processus de projet et de la qualité de l’éclairage face à la révolution technologique.
- et que dire de la révolution technologique en marche ? La lumière va devenir plus que de l’éclairage et nous risquons d’être plus encore dilués dans des réseaux communicants, électroniques, avec un potentiel d’économie d’énergie au détriment de ce qui nous anime : la qualité, le confort et l’émotion.
Une multitude d’enjeux que seuls l’échange des idées, l’émulation et la communication active nous permettront de relever.
Alors que le compte à rebours de la convention PLDC 2017 à Paris a déjà commencé, le train du renouveau et de la reconnaissance internationale est en marche. Aujourd’hui et maintenant, nous devons être plus présents et visibles pour ne pas manquer ce Rendez-vous de 2017 avec nos confrères « Lighting Designers » du monde entier.
PLDC ne fonctionne pas comme « les charrettes » propres à nos métiers … C’est une grosse machine, rodée, calibrée et les professionnels étrangers sont très nombreux à postuler. Au moment de la remise de son papier pour une conférence de 45 minutes en anglais, il sera trop tard pour faire acte de candidature.
Approfondir le sujet
- 32 ans de plan lumière à Lyon : histoire de l’éclairage urbain
- Petite histoire de la presse professionnelle en éclairage
- Lumières sur la ville, une histoire de l’éclairage urbain, Agnès Bovet-Pavy
- Énergie / numérique / concepteur lumière, Le Cercle Les Echos
Photo en tête du billet : Reflets/Éclats du Palais de la Bourse, Lyon, France – Conception lumière : Alain Guilhot © Jean-Yves Soetinck.
Lieu
- France
Livres
Les éclairages des villes, vers un urbanisme nocturne, de Roger Narboni
De l’histoire des éclairages des villes face à l'avenir de l'urbanisme lumière. Découvrez 23 cartes postales nocturnes de métropole à travers le monde. |
Lumières architecturales en France, de Vincent Laganier
Les réalisations lumière les plus significatives en architecture de 1985 à 2000 en France ? Lumières architecturales en France, Vincent Laganier |
L'architecture lumineuse au XXe siècle
Des applications de l'électricité à l'éclairage dans l'évolution des constructions tout au long du XXe siècle. Le livre Architecture lumineuse. |
Vous avez dit » Concepteur lumière » ? mais c’est quoi ? J’avais coutume de dire sous forme de boutade un peu provocatrice : c’est quelqu’un qui s’est fait tout seul et qu s’est peut être raté. Or, je suis moi-même concepteur lumière ! ! ! C’est dur, c’est très dur, mais ces quelques mots contiennent en filigrane une profession qui n’a pas su se structurer, mettre en place un cursus de formation, voire des diplômes, qui a trop voulu mettre l’accent sur la démarche « artistique » et qui se heurte aujourd’hui à une rupture technologique qui tend à confondre les monuments avec les danseuses du Grazy Horse. C’est une profession qui n’a pas su non plus transmettre ses savoir-faire, accepter d’aller plus avant dans les problématiques de photo corrosions et des contraintes environnementales, et surtout qui n’a pas su développer un élément clef : l’INTERDISCIPLINARITE.
Que dire aussi des appels d’offres « CONCEPTION – REALISATION » qui font le bonheur des entreprises générales et dans lesquels le mot » concepteur lumière » n’apparaît plus ?
Que dire des 75% de postes de travail mal éclairés.
Que dire des confusions dans les réunions de chantier entre les Lux et les Lumens, les Lumens et les Watts ?
Que dire des professionnels de la filière éclairage qui nomment « ampoule » ce que l’on devrait nommer « lampe » ?
Qui dire enfin du grand public qui peut parler du couple moteur de la Mégane mais n’a aucune culture en éclairage ?
Tout cela pour en venir à la clef que nous n’avons jamais su confectionner : la FORMATION ; malgré des actions remarquables de quelques passionnés.
Le Président de l’Institut Jacques Bauer, pour avoir oeuvré dans la formation depuis plus de trente années, peut affirmer que nous sommes en train de perdre nos savoirs et nos savoir-faire.
Dans ces conditions, qu’adviendra-t-il des « concepteurs lumière » ? outre les problèmes de communication que vous citez et qui en sont la conséquence.
Courage, force et Sérénité et que la lumière soit avec Vous ! moi, j’y crois toujours et je pousse un grand cri d’optimisme.
PS : voir 3 ouvrages destinés à la formation : « Traité d’éclairage » – » Les sources de lumière artificielle » – « Mise en lumière du patrimoine » vers une démarche écoresponsable – éditions CEPADUES – Toulouse.
@William Merci pour cette longue tribune qui mériterait un billet !
En effet, merci pour cette réponse et je complète le propos de Vincent.
Mr Sanial, il serait intéressant que votre réponse soit un billet à part entière (le site vous est largement ouvert) car oui, vous si vous avez raisons sur certains point, je souhaiterais ne pas « polluer » le débat sur ce qui fait normalement la genèse de mon article : Le savoir-faire indéniable qui manque simplement de FAIRE-SAVOIR.. Point-barre.
(le problème de la formation et de la Culture des professionnels et à mon avis un autre sujet).
A ce titre, et malgré un grand nombre de lectures de ce billet (qui fait parti des articles les plus lus dernièrement, donc sur un sujet qui intéresse les visiteurs ) , je regrette tout de même que le débat sur ce sujet se soit passé directement sur mon email avec certains de mes confères et pas à la suite de cet article ou tout le monde aurait pu participer, s’exprimer .
Finalement c’est peut être symptomatique.