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La courbe V(λ) fête ses 100 ans

La courbe V(λ) représente l’efficacité lumineuse spectrale, indispensable pour définir toutes les grandeurs photométriques. Elle a 100 ans : happy birthday !
25 juin 2024

Les bâtiments blancs du Bureau international des poids et mesures (BIPM) trônent en surplomb du parc de Saint-Cloud. C’est le lieu symbolique qu’a choisi la Commission internationale de l’éclairage (CIE) pour célébrer le centenaire de la courbe V(λ) en ce 3 juin 2024.

Participants au colloque international du 3 juin 2024 au BIPM, Bureau international des poids et mesures © Laurence Honnorat, Innovaxiom

Courbe d’efficacité lumineuse relative spectrale V(λ)

Cette courbe représente la sensibilité spectrale relative caractérisant la vision humaine diurne. Elle a une forme de cloche, avec un maximum pour une longueur d’onde de 555 nm, et elle est pratiquement nulle en dehors du domaine spectral [400-700] nm, c’est-à-dire celui des rayonnements visibles.

Courbe V(λ) © Lionel Simonot

Pourquoi cette simple et vieille courbe mérite-t-elle autant de considération ? Car c’est sur elle que repose la photométrie. Sans elle, pas de candela, l’unité de l’intensité lumineuse, l’une des sept unités du système international. Elle est derrière la valeur d’éclairement affichée par un luxmètre, ou celle en lumen indiquant le flux émis par une lampe ou un luminaire.

 

Les sept unités du système international, dont la candela (cd), et les constantes fondamentales à partir desquelles elles sont définies © LNE, Laboratoire national de métrologie et d’essais

Naissance difficile de la courbe V(λ)

Au XIXe siècle, la photométrie connaît un premier âge d’or. Il faut pouvoir quantifier les performances des nouvelles sources d’éclairage : huile, pétrole, gaz, arc électrique. Ces mesures reposent sur le principe d’égalisation visuelle établi par Pierre Bouguer un siècle plus tôt. L’évaluation se fait à l’aide d’un photomètre, en comparant de manière simultanée les luminosités produites par la source à étudier et par une source de lumière de référence comme la bougie, ancêtre de la candela.

Photomètre de Foucault développé en 1855 – Fondo Antiguo de la Biblioteca de la Universidad de Sevilla from Sevilla, España © Wikimedia

Mais cette méthode de comparaison directe n’est plus convaincante quand les lumières sont de couleurs différentes. Il faut inventer une photométrie spécifique, dite hétérochrome.

Dès la fin du XIXe siècle, la principale technique employée met en œuvre le papillotement (flicker). Il s’agit d’alterner successivement les lumières à comparer. À une fréquence autour de 15-20 Hz, la fusion des couleurs se fait, mais pas celle des luminances. Lorsque l’impression de clignotement disparaît, les luminosités des deux couleurs sont égales.

 

Papillotement entre du vert et différents niveaux de gris © Sophie Jost

 

En opérant ainsi pour chaque longueur d’onde, la courbe V(λ) se dessine. Toutefois, la dispersion des résultats obtenus amène à reconsidérer la méthode classique par comparaison directe de luminosités. Mais au lieu de comparer des couleurs très différentes, la nouvelle approche consiste à opérer pas à pas avec des teintes proches. Cette méthode, dite en cascade, donne des résultats plus consistants. À partir d’une synthèse de différentes études, les Américains Gibson et Tyndall proposent une courbe alors appelée « visibilité relative » et notée V(λ). Elle est adoptée par la CIE lors d’une session de la commission à Genève, en 1924.

L’observateur standard de la CIE

La courbe V(λ) correspond à l’efficacité lumineuse relative spectrale d’un individu virtuel, l’observateur standard de la CIE. Cet artifice est puissant puisqu’il permet de définir les grandeurs photométriques telles que l’intensité lumineuse, en s’affranchissant de la variabilité interindividuelle. Ainsi, la valeur affichée par un luxmètre en lux ne correspond pas à la valeur de l’éclairement que je perçois, mais à celle que percevrait cet observateur standard.

Les luxmètres sont dits « corrigés en V(λ) ». En pratique, un filtre optique est placé sur la photodiode afin que la réponse spectrale de l’ensemble (filtre + détecteur) corresponde à la courbe V(λ). La qualité de cette correction est corrélée au prix d’achat du luxmètre. Elle est inexistante pour les applications (gratuites) sur smartphone.

Courbe V(λ) modifiée, corrigée, mais toujours utilisée

La courbe V(λ) a été établie pour des conditions très particulières, sous un angle de vue très serré de 2° au centre du champ visuel. Seule la fovéa est exposée. Il s’agit de la région rétinienne où sont situés la majorité des cônes, photodétecteurs sensibles à la couleur en vision diurne. L’espace colorimétrique CIEXYZ et le diagramme de chromaticité sont définis pour ces mêmes conditions dès 1931.

Des études ont rapidement montré que les valeurs de V(λ) étaient trop faibles dans les bleus. La courbe modifiée VM(λ) corrigeant ces défauts n’est validée par la CIE qu’en 1988. D’autres courbes d’efficacité lumineuse relative voient le jour en fonction des conditions. En 1965 par exemple, la courbe V10(λ) correspond à un champ de vision de 10°, plus usuel, intégrant ainsi les cônes « bleus » peu présents au centre de la fovea. En vision nocturne, ce sont d’autres photodétecteurs appelés bâtonnets qui sont actifs. La courbe associée V’(λ) est sensiblement décalée vers les bleus. Des fonctions intermédiaires ont également été proposées pour décrire la vision crépusculaire, dite mésopique, « entre chien et loup ».

Courbes V(λ) de la vision photopique en jaune, et V’(λ) de la vision scotopique en bleu © Lionel Simonot

Un autre développement d’envergure a été de relier la fonction d’efficacité lumineuse directement aux sensibilités spectrales – appelées fondamentales – des trois types de cônes. La courbe résultante VF(λ), officialisée par la CIE en 2006 aurait logiquement dû s’imposer. Pourtant, la doyenne des courbes V(λ) est toujours d’usage, malgré ses défauts. Les valeurs photométriques sont sous-estimées d’environ 5 % pour de la lumière blanche, et bien plus pour de la lumière bleue.

Courbes V(λ) en jaune, et VF(λ) en rouge © Lionel Simonot

En cette fin d’après-midi du 3 juin 2023, les discussions entre les membres de la CIE sur l’avenir de la photométrie sont vives. Malgré le consensus scientifique, beaucoup optent pour le statu quo. La centenaire courbe V(λ) a encore de belles années devant elle.

Approfondir le sujet

Graphique en haut de l’article : Courbe V(λ) publiée dans article de Gibson et Tyndall en 1923.

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Équipe du projet

Association BIPM - Bureau international des poids et mesures CIE Commission internationale de l’éclairage
Chercheur K.S. Gibson E.P.T. Tyndall Pierre Bouguer

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Enseignant-chercheur, Lionel Simonot enseigne l’éclairagisme depuis 2003 à l’École nationale supérieure d’ingénieurs de Poitiers – ENSI Poitiers : cours magistraux et pratiques en photométrie, technologie des sources de lumière, dimensionnement électrique et interactions lumière matière. Ses activités de recherche portent sur les propriétés optiques et l’apparence des matériaux, notamment via le GDR APPAMAT. Applications : films minces nanocomposites, couches de peinture en glacis ou vernis et objets obtenus par impression 3D. Il est auteur de la transposition du livre de Pierre Bougueur, Essai d’optique sur la gradation de la lumière, du livre rétrospectif et prospectif, Éclairage et lumière du IIIe millénaire, 2000-2050, aux éditions Light ZOOM Lumière en 2021.
  • Excellent article sur cette courbe que personnellement je pratique depuis 50 ans, début de ma carrière professionnelle dans l’éclairage. Une très bonne présentation a également été réalisée lors de l’AG AFE du 11 juin dernier. Vive la science de la chaine lumière- éclairage- vision tant utile pour les humains!

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