Éclairer Paris depuis le sommet de la Tour Eiffel
La forme en un A élancée de la tour serait un clin d’œil de Gustave Eiffel à un amour de jeunesse, prénommée Adrienne. Cet artifice fictionnel est utilisé dans le film sobrement intitulé « Eiffel », sorti en 2021, avec Romain Duris dans le rôle-titre.
Mais était-il indispensable d’utiliser cette romance pour célébrer la Dame de fer ? Le film est beaucoup plus convaincant pour ce qui est de traduire le gigantisme et la prouesse technique des travaux. La tour fut en effet érigée en seulement deux ans et inaugurée le 31 mars 1889 afin d’être le « clou » de l’exposition universelle de Paris, à l’occasion du centenaire de la Révolution française.
Une tour de 1 000 pieds à Paris
Le documentaire « Eiffel, la guerre des tours » (disponible sur Arte jusqu’au 16 janvier 2024) met l’accent sur les prémices de la tour Eiffel. En cette fin de XIXe siècle, la tour la plus haute culmine à 169 mètres. En raison de la guerre de sécession et de problèmes purement techniques, il aura fallu près de 40 ans pour ériger l’obélisque de la capitale américaine, en l’honneur de Georges Washington, premier président des États-Unis. En 1884, ce monument dépasse légèrement les grandes pyramides d’Égypte ou les flèches des cathédrales gothiques.
Il est dans l’air du temps de viser nettement plus haut et d’atteindre les 1 000 pieds, soit environ 300 mètres. Tel est l’objectif du concours pour l’Exposition universelle de 1889, pour lequel 107 projets sont déposés.
Colonne de granit ou pylône de fer
Le concurrent le plus sérieux d’Eiffel est le projet de l’architecte Jules Bourdais, qui réalisa le palais du Trocadéro pour la précédente Exposition universelle parisienne de 1878. Il fera face à la tour Eiffel jusqu’à sa destruction en 1935 et son remplacement par le palais de Chaillot.
Colonne-Soleil de Jules Bourdais
L’architecte Jules Bourdais propose une tour de granit de 360 mètres de haut, constituée de galeries superposées entourées de colonnettes. Pour ce projet ambitieux, l’architecte a sans doute sous-estimé les travaux de fondation considérables, nécessaires pour supporter le poids d’une telle tour.
Tour Eiffel de Maurice Koechlin et Stephen Sauvestre
Pour les entreprises Eiffel, l’ingénieur Maurice Koechlin dessine le premier croquis d’un pylône de fer assez rudimentaire de 300 mètres de hauteur. Les ingénieurs ont calculé la faisabilité, notamment en termes de résistance au vent. C’est l’architecte Stephen Sauvestre qui finalise la forme de la future tour Eiffel.
Cette rivalité entre Bourdais et Eiffel symbolise l’opposition entre un architecte plutôt traditionnel et un ingénieur plus avant-gardiste. Chacun cherche des appuis politiques. Si Eiffel l’emporte, il le doit beaucoup au ministre de l’Industrie et du Commerce qui a rédigé le concours largement en sa faveur…
Abolir la nuit avec la Moonlight Tower
Alors que le mot d’ordre dans nos villes suréclairées est aujourd’hui de « sauver la nuit », dès la fin du XVIIIe siècle et le développement de l’éclairage public, l’utopie était inverse. Plutôt que d’éclairer des petites portions de rue, pourquoi ne pas offrir la lumière à toute une ville en plaçant des sources lumineuses au sommet de grandes tours ?
Dans « Paris au XXe siècle » écrit en 1860, Jules Verne imaginait déjà le phare du port de Grenelle qui « s’enfonçait dans le ciel à une hauteur de cinq cents pieds. C’était le plus haut monument du monde, et ses feux portaient à quarante lieues ; on les apercevait des tours de la cathédrale de Rouen ».
En pratique, les sources de lumière existantes étaient insuffisamment puissantes. La solution technique vint des premières lampes à arc qui stupéfièrent par leur intensité lumineuse. Au début des années 1880, plusieurs villes américaines comme San José s’équipèrent de ces tours soleil de plusieurs dizaines de mètres de hauteur. La lumière blanche et stable émise par les lampes à arc rappelait davantage celle d’une pleine lune. Pour cette raison, les tours furent plutôt nommées Moonlight Towers.
De retour d’une visite d’étude aux États-Unis, l’ingénieur français Amédée Sébillot s’associe à Bourdais pour transformer sa tour en Colonne-Soleil. À une altitude 5 à 7 fois plus élevée que ses équivalentes américaines, la puissance installée doit être de 25 à 50 fois plus importante pour obtenir le même éclairement au sol (c’est la loi dite « du carré inverse »). Le projet prévoyait un foyer unique de 100 lampes à arc réparties sur une couronne de 12 mètres de diamètre, permettant d’éclairer dans un rayon de 5 km. Disséminés dans la ville, des réflecteurs devaient même envoyer la lumière à l’intérieur des maisons. De telles intrusions lumineuses pouvaient être considérées à l’époque comme un progrès…
La lumière au sommet de la tour Eiffel
Pour remporter le concours, Gustave Eiffel doit convaincre que sa tour ne sera pas qu’un monument d’apparat. Il imagine ainsi la possibilité de mener des expériences scientifiques au 3e étage. Il reprend aussi, sans trop de scrupules, l’idée de ses concurrents de pouvoir éclairer Paris. En pratique, cette fonction d’éclairage sera plus modeste, avec l’installation d’un phare à son sommet et de deux projecteurs sur rail au 3e étage.
Les faisceaux lumineux des projecteurs sont très directifs et émettent 8 millions de carcels. Il s’agit de l’unité alors utilisée pour l’intensité lumineuse, et il faut multiplier par environ 10 pour obtenir la valeur en candelas. La nuit venue, des opérateurs dirigent la lumière sur des points culminants de la ville, telle une poursuite en éclairage scénique. Imaginons qu’ils veuillent éclairer la façade du Sacré-Cœur, alors en cours de construction. Située à 4,7 km à vol d’oiseau, elle recevrait un éclairement de quelques lux, suffisants pour la rendre visible dans une nuit noire. Mais le découpage du faisceau serait sans doute décevant.
Un phare dans la ville
Finalement, du sommet de la tour Eiffel, il ne subsiste que la lumière d’un phare. En 1889, une puissance électrique de 500 chevaux, soit environ 370 kW, était nécessaire. La lumière émise aurait été vue comme un point lumineux du haut de la cathédrale de Chartres (à 75 kilomètres) et de la cathédrale d’Orléans (à 115 kilomètres). Inauguré à l’occasion du passage à l’an 2000, le phare actuel est composé de 4 projecteurs avec des lampes à arc au xénon, pour une puissance totale de 24 kW et une portée affichée de 80 km. Pour la signalisation aérienne, de nombreuses grandes tours s’équipèrent également de phares.
Mais l’utopie d’apporter la lumière à tous, y compris aux faubourgs les plus pauvres, laissa sceptiques bon nombre de contemporains des tours soleil. En raison d’un éclairage finalement décevant et de difficultés pratiques, cette idée fut rapidement abandonnée dès l’aube du XXe siècle. Seule la ville d’Austin au Texas a conservé quelques Moonlight Towers. S’ils apportent un peu de poésie aux nuits urbaines, ces vestiges illustrent surtout que cette solution n’est pas adaptée pour l’éclairage public.
Approfondir le sujet
À la télévision
Eiffel, la guerre des tours, documentaire sur Arte
- Disparu il y a cent ans, Gustave Eiffel a livré bataille pour imposer sa fameuse tour, la plus haute du monde en son temps. Ce documentaire passionnant replace cette lutte dans le contexte de transformation radicale de l’époque, en revisitant la carrière de l’ingénieur visionnaire.
- Réalisation : Mathieu Schwartz, Savin Yeatman-Eiffel
- Durée : 93 min
- A revoir à la télévision sur Arte : mercredi 27 décembre 2023 à 22h30
- En replay » Eiffel, la guerre des tours » sur Arte.tv jusqu’au 16 janvier 2024
Monumental Tour célèbre Eiffel sur CStar
- Le concept Monumental Tour est une tournée mariant musique électronique, patrimoine et art numérique. Elle établissait des passerelles entre passé et futur sur des monuments pour démocratiser la musique électronique.
- Le DJ Producteur Michael Canitrot annonce un show électro inédit sur la Tour Eiffel. Il a été enregistré du 20 au 22 novembre à Paris, au cœur de la nuit, de 1h à 6h du matin !
- Durée : 50 min
- Diffusion : 27 décembre 2023
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- À 21h en avant-première sur les pages des réseaux sociaux :
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- YouTube de Michel Canitrot
- Facebook de Michel Canitrot.
- À 22h50 sur la chaine de télévision CStar
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- Plus tard, le spectacle sera présenté sur C8 et disponible sur Mycanal, le replay des chaînes du groupe Canal+.
Sur Light ZOOM Lumière
Livres
La Tour Eiffel, un phare universel, de Catherine Orsenne
Redécouvrez la Tour Eiffel, un phare universel, depuis le monument, de son sommet ou les hauts lieux de Paris en photographies par Catherine Orsenne. |
Merci, quelques tours lumineuses historiques… sur https://www.scoop.it/topic/lighting-in-history/?&tag=tower
Bonnes Fêtes de fin d’année
Très bel article Lionel !
Bonne fêtes de fin d’année.