Article

Expos Van Gogh, de Staël, Rothko : tout pour la peinture à Paris

Van Gogh, de Staël, Rothko : trois expositions parisiennes, trois artistes pour lesquels la peinture était plus importante que la vie.
2 janvier 2024

Qui s’intéresse encore à la peinture, à l’heure où les intelligences artificielles arrivent à produire n’importe quelle image « à la manière » des plus grands maîtres ? Le succès des grandes expositions parisiennes sur les peintres Van Gogh, de Staël, Rothko témoigne que l’art pictural a encore la cote. Les visiteurs y recherchent sans doute des sensations inédites que l’observation d’images numériques à profusion ne permet plus d’atteindre. Même avec les systèmes de reproduction les plus sophistiqués, le compte n’y est pas. Comment retrouver la touche de Van Gogh, les empâtements chromatiques de de Staël, les subtiles vibrations colorées de Rothko ? Il faut les voir, être à quelques dizaines de centimètres de la toile, pouvoir presque la toucher.

Van Gogh, de Staël, Rothko : de frappantes ressemblances

Un musée national (Orsay), le musée d’Art moderne de Paris, la fondation privée Louis Vuitton ont choisi pour leurs expositions phares d’automne-hiver respectivement les peintres Van Goth, de Staël et Rothko.

Se sont-ils concertés ou est-ce un surprenant hasard de programmation ? Car si les contextes familiaux, historiques et géographiques diffèrent totalement, les ressemblances entre les trois peintres sont frappantes. On les qualifie souvent d’artistes tourmentés (mais quel artiste ne l’est pas ?). Bien que les causes aient été multiples et différentes, ils se sont suicidés à un moment où la peinture, si essentielle pour eux, ne parvenait plus à les sauver. La peinture, c’était leur vie. Ils étaient avant tout des praticiens, presque obsessionnels, sensibles à la matière picturale, à la composition, comme à la couleur. 

Des vies tourmentées

Pour connaître la vie des trois peintres, des documentaires de 52 minutes ont été réalisés dans le cadre de ces expositions. On peut les visionner sur la chaîne franco-allemande Arte, qui remplit pleinement sa mission culturelle pour le bonheur de tous les amateurs d’art :

Regarder ces documentaires en amont des expositions permet de connaître le contexte biographique, et ainsi de focaliser la visite sur les aspects stylistiques des œuvres.

Les dernières couleurs de Van Gogh à Auvers-sur-Oise

Contrairement aux deux autres expositions, celle du musée d’Orsay n’est pas une rétrospective. Elle se limite au séjour de Van Gogh à Auvers-sur-Oise. Après une année passée à l’asile de Saint-Rémy-de-Provence, Vincent Van Gogh s’installe dans la petite bourgade située à 30 km de Paris à partir du 20 mai 1890. Il y reste jusqu’à sa mort le 29 juillet, à la suite d’un coup de revolver tiré dans la poitrine. Durant ces quelques semaines, il produit 74 tableaux et 45 dessins. Il espère dissiper ses crises psychiques par le travail, selon les conseils prodigués par le docteur Gachet, spécialisé dans le traitement de la mélancolie, et par ailleurs peintre amateur et collectionneur.

 

Vincent Van Gogh, Le Docteur Paul Gachet, vendredi 6 et samedi 7 juin 1890, Huile sur toile 68,2 x 57 cm, Paris, musée d’Orsay, don de Paul et Marguerite Gachet, enfants du modèle, 1949 © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais/Patrice Schmidt

 

On reconnaît les coups de pinceau énergiques de Van Gogh qui apportent une dynamique à ses compositions. On reconnaît également le choix de couleurs vives et audacieuses. Il faut lire dans les lettres qu’il adresse à son frère Théo la description de ces couleurs, et les sensations et émotions auxquelles il les associe.

 

De Staël efface les frontières entre figuration et abstraction

Artiste prolifique, Nicolas de Staël a peint plus d’un millier de toiles. La rétrospective aborde surtout les dix dernières années de sa courte vie. En recherche perpétuelle, détruisant une partie de sa production, il va sans cesse innover. En 1950, les empâtements plutôt ternes laissent parfois surgir en bordure des couleurs plus inattendues. Les empâtements deviennent ensuite plus petits et se parcellisent telle une mosaïque. Les noms des tableaux hésitent entre abstraction (Composition) et figuration (Bouquet de fleurs). Ou encore une suggestion synesthétique telle cette Fugue.

 

Nicolas de Staël, Fugue, 1951-1952, huile sur toile, 80,6 x 100,3 cm, Washington, The Phillips Collection © ADAGP, Paris, 2023, The Phillips Collection, Washington, D.C. / Photo Walter Larrimore

 

Nicolas de Staël renouvelle l’expérience des impressionnistes en peignant à l’extérieur des paysages. Sa peinture devient plus fluide – on le lui reprochera –, et sa palette évolue en fonction de ses nombreux voyages. En Sicile, il opte pour des couleurs chaudes et vives jusqu’alors inédites.

 

Vue de l’exposition de Staël © MAM, musée d’art moderne de Paris, Pierre Antoine

 

Dévoré par une passion amoureuse sans issue, de Staël s’installe dans un atelier à Antibes. Il se jette dans le vide depuis la terrasse le 16 mars 1955. Durant les derniers mois de sa vie, il continue à peindre frénétiquement les objets qui l’entourent : bouteilles, chandeliers, saladiers. Plus figuratifs que jamais.

 

Vers le noir avec Rothko

Marc Rothko fut d’abord un peintre figuratif. Puis il s’orienta vers une représentation d’éléments biomorphiques rappelant le surréalisme. À la fin des années 1940, les compositions deviennent exclusivement abstraites. Les œuvres de Rothko sont immédiatement identifiables : un arrangement vertical de deux ou trois rectangles colorés. Il ne s’agit pas de monochromes posés en aplat, mais au contraire d’une infinité de tons donnant à l’œuvre une vibration chromatique.

 

Vue de la scénographie de l’exposition Mark Rothko, Fondation Louis Vuitton, Paris © 1998 Kate Rothko Prizel & Christopher Rothko – ADAGP, Paris, 2023

 

À la fin des années 1960, il change radicalement de gamme chromatique en s’orientant vers le noir, ou plutôt les noirs et leurs multiples variations. Ces effets sont sublimés dans ce que l’on considère comme son chef-d’œuvre, un ensemble de 14 panneaux peints pour une chapelle à Houston, à présent nommée « chapelle Rothko ». Diminué par un anévrisme de l’aorte, Mark Rothko se suicide le 27 février 1970. Une salle de l’exposition est dédiée à la série Black and Gray, entreprise dans la dernière année de sa vie. Ces horizons lunaires sont accompagnés de sculptures verticales de Giacometti.

 

Vue de la scénographie de l’exposition Mark Rothko, salle Black and Gray, Giacometti, Fondation Louis Vuitton, Paris © 1998 Kate Rothko Prizel & Christopher Rothko – ADAGP, Paris, 2023

 

« Toute ma vie, j’ai eu besoin de penser peinture, de voir des tableaux, de faire de la peinture pour m’aider à vivre, pour me libérer de mes impressions, de toutes les sensations, de toutes les inquiétudes auxquelles je n’ai trouvé d’autre issue que la peinture. »

Nicolas de Staël, peintre

 

Cette citation est de Nicolas de Staël, mais aurait tout aussi bien pu être exprimée par Vincent Van Gogh ou Mark Rothko. Il reste quelques semaines pour (re)découvrir la force vitale de leurs peintures, réunies de manière inédite à Paris.

 

Visitez ces trois expositions

Van Gogh à Auvers-sur-Oise, Les derniers mois

  • Musée d’Orsay
  • Du 3 octobre 2023 au 4 février 2024

Nicolas de Staël

  • Musée d’Art moderne de Paris
  • Du 15 septembre 2023 au 21 janvier 2024

Mark Rothko

  • Fondation Louis Vuitton
  • Du 18 octobre 2023 au 2 avril 2024

 

Approfondir le sujet

 

Peinture en tête de l’article : Vincent Van Gogh, Champ de blé aux corbeaux, mardi 8 juillet 1890, Huile sur toile, 50,5 cm x 103 cm, Amsterdam, Van Gogh Museum © Van Gogh Museum, Amsterdam – Vincent Van Gogh Foundation 

Livres

Une belle histoire de la lumière et des couleurs, Bernard Valeur

Pour les curieux de science, les artistes, architectes, photographes, designers, une belle histoire de la lumière et des couleurs de Bernard Valeur.

En savoir plus...

3 min pour comprendre 50 œuvres marquantes de l'histoire de l'art

Vulgarisation intelligente, bien illustrée et didactique qui explore 50 œuvres marquantes de l'histoire de l'art occidental, de la Renaissance à nos jours.

En savoir plus...

Éclairage et lumière du IIIe millénaire, 2000-2050, un livre collector

Le phénomène éclairage a vécu une mutation. Ville, architecture, conception lumière, pollution lumineuse... Qu'en sera-t-il demain ?

En savoir plus...

Lieux

  • Musée d’Orsay
  • Paris, France
  • Musée d’Art moderne de Paris
  • Paris, France
  • Fondation Louis Vitton
  • Paris, France

Équipe du projet

Maîtrise d'ouvrage Musée d’Orsay et de l’Orangerie Musée d'art Moderne de Paris Fondation Louis Vuitton
Peintre Vincent van Gogh Nicolas de Staël Mark Rothko
Enseignant-chercheur, Lionel Simonot enseigne l’éclairagisme depuis 2003 à l’École nationale supérieure d’ingénieurs de Poitiers – ENSI Poitiers : cours magistraux et pratiques en photométrie, technologie des sources de lumière, dimensionnement électrique et interactions lumière matière. Ses activités de recherche portent sur les propriétés optiques et l’apparence des matériaux, notamment via le GDR APPAMAT. Applications : films minces nanocomposites, couches de peinture en glacis ou vernis et objets obtenus par impression 3D. Il est auteur de la transposition du livre de Pierre Bougueur, Essai d’optique sur la gradation de la lumière, du livre rétrospectif et prospectif, Éclairage et lumière du IIIe millénaire, 2000-2050, aux éditions Light ZOOM Lumière en 2021.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.