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Faut-il en finir avec l’éclairage public versus portatif ?

Crise énergétique, crise écologique, l’éclairage public est de plus en plus remis en question. Et si la solution était dans un éclairage individuel portatif ?
23 juillet 2024




Initiée par l’Association française de l’éclairage, une enquête inédite a permis d’établir un état des lieux de l’éclairage public en France. Parmi les chiffres phares dévoilés : 30 % du parc serait actuellement en technologie LED ; un chiffre en forte augmentation. À l’instar de la SNCF pour les transports, les professionnels peuvent féliciter les collectivités territoriales d’avoir choisi le mode d’éclairage le plus écologique. Une source de lumière et des optiques plus efficaces, une dépréciation du flux lumineux beaucoup plus lente, un pilotage et une gradation de l’intensité facilités… Pour une rénovation d’installation d’éclairage public traditionnel, en lampes au sodium haute pression par exemple, on installe moins de luminaires, de puissance individuelle moindre, et en les utilisant moins longtemps à pleine puissance. Il n’est pas rare que la consommation énergétique soit divisée par trois lors d’une rénovation en technologie LED.

Lanceurs d’alerte contre les nuisances lumineuses

Avec une technologie aussi performante, l’avenir de l’éclairage public pourrait sembler radieux. Pourtant, avec la crise énergétique, les communes n’ayant pas anticipé la rénovation de leur parc d’éclairage ont dû opter pour des solutions plus radicales : l’extinction totale pendant une grande partie de la nuit. Les retours d’expérimentation ont été variables. Si certains reprochent le sentiment d’insécurité que l’obscurité instaure, d’autres ont apprécié la démarche préservant le ciel nocturne.

Observateurs du ciel et télescope sur un trépied © Christian Gagneux

Il est loin, en effet, le temps où les astronomes amateurs étaient les seuls à alerter sur les nuisances lumineuses. Les écologues se sont joints à eux afin de dénoncer l’effet néfaste de la pollution lumineuse sur la biodiversité. En répondant aux contraintes imposées par l’arrêté de décembre 2018, les professionnels de l’éclairage public pensaient avoir fait le plus difficile. Mais les spécialistes estiment que la lumière émise par les grandes métropoles devrait diminuer bien plus drastiquement. Déjà en 2020, les couvre-feux successifs ont démontré l’absurdité de maintenir l’éclairage public en l’absence d’activités nocturnes.

 

 

Piétons, des véhicules comme les autres la nuit ?

Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi une telle débauche de lumière dans nos villes ? Si l’éclairage public se généralise dans les grandes villes européennes dès la fin du XVIIe siècle, la croissance exponentielle de la lumière urbaine semble démarrer après la Seconde Guerre mondiale, et accompagner celle des voitures individuelles. L’éclairage public a en effet longtemps été pensé pour éclairer les voies routières. Avec l’abaissement des vitesses autorisées en ville, certains recommandent de baisser les niveaux d’éclairement exigés : on a moins besoin de lumière à 30 qu’à 50 km/h. D’autres vont même plus loin en préconisant de tenir compte, pour le dimensionnement de l’éclairage public, de la lumière additionnelle des phares des voitures. En effet, tout véhicule, y compris les vélos, a l’obligation d’utiliser, de nuit, des systèmes d’éclairage homologués. Les piétons sont donc les seuls usagers des espaces publics à ne pas avoir cette contrainte. Paradoxalement, ce sont peut-être eux qui ont le plus besoin de l’éclairage public alors que celui-ci ne leur était pas prioritairement destiné.

Passage piéton lumineux interactif de nuit, Flowell, Colas – bretelle accès périphérique parisien, Tram T2 Suzanne Lenglen, 15e arrondissement, Paris © Vincent Laganier

Sans éclairage public, le piéton ne verrait pas grand-chose et, plus problématique, ne serait pas vu par les autres usagers. En effet, peu d’entre nous portent des vêtements de sécurité incluant des bandes rétroréfléchissantes ! Pire, nos vêtements sont souvent sombres.

Pour réduire radicalement l’éclairage public, peut-être faut-il envisager un éclairage portatif pour tout déplacement nocturne, y compris pour les piétons ? Reste un problème d’acceptabilité : qui est prêt à sortir dans la rue en singeant l’éclairage d’une voiture – un phare en lumière blanche vers l’avant et des lumières rouges à l’arrière ?

Ambiance lumineuse des campings et éclairage individuel

Pour imaginer le futur de l’éclairage public, la pratique du camping est une bonne source d’inspiration. La lumière doit permettre de se déplacer dans l’obscurité, elle doit pouvoir être posée au sol ou sur une table pour profiter des soirées estivales, et être accrochée dans une tente pour s’installer avant l’endormissement.

Lampe de camping pour éclairer la tente sous le ciel étoilée et la voie lactée © Pars Sahin, Unsplash

Dans les campings aménagés, ces lumières individuelles se combinent à l’éclairage installé. Les luminaires fixes doivent être d’intensité juste suffisante pour se déplacer notamment jusqu’aux sanitaires, mais sans causer de nuisances lumineuses aux campeurs.

 

 

Conçue par Roger Narboni et dessinée par Gaia Lemmens, la lampe portative Sélène, commercialisée par Chrysalis, revisite la lanterne portable de camping, mais avec une tout autre ambition. Autonome et rechargeable, elle constitue une lumière douce et modulable en alternative à l’éclairage public. Reste à savoir si nous sommes prêts à littéralement porter notre lumière, et à pratiquer au quotidien ce que pour l’instant, nous ne faisons que pendant quelques jours de vacances…

Sélène, lampe portative nomade, écologique et autonome, sur console, mât d’éclairage public – Conception lumière Roger Narboni – Designer Gaia Lemmens – Luminaire Chrysalis © Vincent Laganier

Frontale de l’ultra-trailer et lumière portative

Course à pied dans un milieu naturel dépourvu d’éclairage public sur une (très) longue distance, un ultra-trail nécessite une préparation minutieuse du matériel. Pour courir de nuit, l’éclairage portatif est indispensable, et la frontale est la solution la plus courante. Cette lampe, initialement intégrée aux casques des mineurs, libère les mains. Elle permet par exemple de consulter facilement une carte.

D’autres solutions sont comparées sur les sites d’ultratrail. À l’aide d’une sangle, la lampe peut être fixée à la taille telle une ceinture, ou sur le torse. Comparée à une frontale, la lumière placée plus bas éclaire mieux le sol. Toutes ces solutions sont très pratiques, mais ne sont aujourd’hui pas vraiment envisagées pour un usage au quotidien.

Ultra-traileurs avec des lampes frontales LED de nuit à skies sur la neige © Miha Rekar, Unsplash

LED des téléphones portables et lampe de poche connectée

Quand on interroge les personnes qui doivent rentrer chez elles dans un quartier en pleine obscurité, celles-ci indiquent qu’elles utilisent la LED de leur téléphone portable pour s’éclairer. Une évidence, mais la prise en main n’est pas des plus ergonomiques, et l’absence d’optique ne permet pas d’obtenir un faisceau suffisamment resserré. Deux perspectives s’offrent aux designers : soit adapter les smartphones pour un usage en lampe de poche réglable, soit, à l’instar des montres ou des bijoux, inventer une lampe de poche connectée. Notre époque a en effet du mal à n’attribuer qu’une seule fonction à un objet. Enfin, pour avoir toujours cette lumière portative avec soi, il faudra peut-être prévoir des éléments pour la clipser, l’aimanter ou l’épingler à nos vêtements.

Lampe de poche LED de nuit en camping et son faisceau en arrière plan, toiles de tente et guirlande décorative au premier plan © Mounir Abdi, Unsplash

Les professionnels de l’éclairage public doivent-ils déjà penser à se reconvertir ? Sûrement pas. Ils connaissent l’état des lieux, et sont les mieux armés pour anticiper l’évolution des usages et assurer la transition. Pour paraphraser le journaliste Philippe Meyer, le progrès fait rage, et le futur de l’éclairage public ne manque pas d’avenir ! Aux professionnels de le réinventer.

 

 

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Enseignant-chercheur, Lionel Simonot enseigne l’éclairagisme depuis 2003 à l’École nationale supérieure d’ingénieurs de Poitiers – ENSI Poitiers : cours magistraux et pratiques en photométrie, technologie des sources de lumière, dimensionnement électrique et interactions lumière matière. Ses activités de recherche portent sur les propriétés optiques et l’apparence des matériaux, notamment via le GDR APPAMAT. Applications : films minces nanocomposites, couches de peinture en glacis ou vernis et objets obtenus par impression 3D. Il est auteur de la transposition du livre de Pierre Bougueur, Essai d’optique sur la gradation de la lumière, du livre rétrospectif et prospectif, Éclairage et lumière du IIIe millénaire, 2000-2050, aux éditions Light ZOOM Lumière en 2021.
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