Ingénieurs éclairagistes, des artistes modernes
Des artistes modernes au Musée National d’Art Moderne et des ingénieurs éclairagistes : rien de plus légitime ! Une exposition remarquable sur l’UAM (pour Union des Artistes Modernes) des années 20 à 50 a lieu à Beaubourg du 30 mai au 27 août 2018.
Parmi les artistes, membres ou proches de l’UAM, des architectes, des décorateurs, des peintres mais aussi des sculpteurs, des graphistes, des bijoutiers… et ce que l’on appelle alors des ingénieurs éclairagistes. Ces derniers – Jean Dourgnon, Boris Lacroix, Jacques Le Chevallier et André Salomon – ne sont ni les plus connus, ni les plus mis en avant par l’exposition. A ce titre, il nous aurait semblé plus valorisant de présenter la belle collection de lampes de bureau de Jacques Le Chevallier en fonctionnement, plutôt que sans ampoule… Malgré cela, le visiteur pourra percevoir une certaine poésie dans ces objets au matériau (l’aluminium) et aux formes empruntés à l’univers industriel.
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Lumière indirecte et ingénieurs éclairagistes
L’ingénieur-éclairagiste n’est toutefois pas qu’un concepteur de luminaires. Il se rapprocherait plutôt du designer lumière d’aujourd’hui. Comme le peintre avec la couleur, il doit utiliser la lumière pour souligner les lignes et les reliefs, et affirmer la fonction d’une pièce. Paradoxalement, ces effets de lumière sont bien rendus dans l’exposition… grâce à des photographies en noir en blanc provenant des archives de l’éclairagiste André Salomon en lumière indirecte.
Villa Cavrois de Mallet-Stevens
Le plus innovant – et sans doute le plus inspirant pour les maîtres d’œuvre d’aujourd’hui, c’est l’intégration de l’éclairage artificiel (mais aussi du chauffage, de la climatisation, d’études acoustiques, etc.) dès la conception d’un bâtiment. Pour illustrer ce propos, une visite des éclairages de la Villa Cavrois, chef d’œuvre de Mallet-Stevens, s’impose.
- L’entrée est entourée de deux panneaux lumineux ; les appliques murales de Jacques Le Chevallier offrent en projection un jeu d’ombres et de lumière.
- Dans le hall salon, comme dans la salle à manger des parents ou le boudoir de Mme Cavrois, la lumière indirecte est diffusée dans une cornière en inox suspendue en hauteur. L’intensité lumineuse pouvait être modulée pour chacune des trois parties du système d’éclairage en fonction de l’éclairage souhaité sur la table ou sur l’ensemble de la pièce.
- Dans la chambre d’un jeune homme, le plafonnier Tigralite diffuse la lumière latéralement par un astucieux dispositif torique dérivé d’une lentille de Fresnel.
Les solutions d’éclairage sont donc très variées. Un des principes importants est de masquer les sources de lumière et de favoriser l’éclairage indirect par réflexion.
Maison de verre de Pierre Chareau
Pour la maison de verre, autre demeure emblématique réalisée par l’architecte-décorateur Pierre Chareau à Paris, un système d’éclairage par projecteurs depuis l’extérieur est proposé par André Salomon. Ce concept original qui met à profit la transparence de la façade en pavés de verre témoigne aussi que la recherche d’économies d’énergie ne faisait pas partie de la modernité des années 30. Au XXIème siècle, les problématiques ont changé mais les concepteurs lumière d’aujourd’hui sont bien les héritiers, jusque dans la dimension artistique de leur travail, des ingénieurs-éclairagistes nés avec l’UAM.
Union des Artistes Modernes – UAM
L’UAM n’est ni un mouvement artistique, ni une école comme le Bauhaus. Il partage néanmoins avec son modèle allemand la volonté de regrouper les arts sans hiérarchie, et la recherche de fonctionnalité débarrassée de tout superflu ornemental. Sur ces aspects, l’exposition du centre Pompidou respecte l’esprit de l’UAM par la diversité des objets présentés (ou plutôt devrait-on dire œuvres d’art) et par une mise en scène très aérée, restituant parfois des intérieurs d’habitat à la manière des Salons régulièrement organisés dans les années 1930. La vue sur Paris qu’offre une verrière du musée ajoute au charme et donne envie de profiter des fauteuils exposés : luxe, calme et volupté…
Opposition avec les décorateurs
Malgré une volonté affichée de s’adresser à tous, l’UAM s’illustre surtout par la construction et l’aménagement de villas, commandes de riches mécènes. La villa Noailles à Hyères et la villa Cavrois à Croix près de Roubais, en sont les exemples les plus remarquables. Toutes deux ont été réalisées par l’architecte Robert Mallet-Stevens, fondateur de l’UAM en 1929.
Si ce regroupement d’artistes était déjà effectif depuis les années 20, l’acte fondateur a été de s’émanciper de la société des artistes décorateurs, qui, à leurs yeux, ne leur offrait pas une place suffisante. Très actifs mais aussi très critiqués pendant les années 30, l’exposition universelle à Paris en 1937 constitue certainement l’apogée pour les artistes de l’UAM qui se voient confier la réalisation de plusieurs pavillons.
La montée du nazisme, les efforts pour la reconstruction de l’après-guerre, le début des Trente Glorieuses jusqu’à l’arrêt de l’UAM en 1958… tout cela est présenté dans l’exposition, mais de manière insuffisamment problématisée d’un point de vue historique. Voir une critique parue dans Télérama.
Du béton, du fer, de la couleur
L’esthétisme moderne repose sur l’utilisation de nouveaux matériaux : schématiquement, le béton pour l’architecture et le métal pour le mobilier. Reproductible en série, l’acier permet d’envisager l’alliance tant espérée avec l’industrie. Parfois critiqué comme de « style clinique », le modernisme n’en est pas pour autant un art austère. La couleur joue le rôle de décor, et de grands coloristes – Sonia et Robert Delaunay, plus tard Joan Miro – sont associés à l’UAM.
Approfondir le sujet
- Bauhaus de Flaine avec Marcel Breuer et œuvres d’art à ciel ouvert
- Thierry Walger : de l’électricité à la conception lumière
UAM, une aventure moderne
- Exposition au Centre Pompidou à Paris du 30 mai 2018 au 27 août 2018.
Villa Cavrois
- Reprise et restaurée par le Centre des monuments nationaux, la villa est désormais accessible à la visite depuis juin 2015.
Articles
- Delphine Jacob, « André Salomon, éclairagiste de l’architecture moderne », Les Cahiers du Musée national d’art moderne, n°90, janvier 2005, p. 93-109
- Fonds André Salomon, Bibliothèque Kandinsky – MNAM-CCI – Centre Pompidou, Paris
- Union des Artistes Modernes, robertmalletstevens.blogspot.com
Photo en tête de l’article : hall d’entrée du premier salon de l’Union des artistes modernes, Musée des Arts décoratifs, Robert Mallet-Stevens, en collaboration avec André Salomon, 1930 © Jean Collas, F.L.C., Adgap, Paris, 2018
Lieux
- Centre Pompidou
- Paris, France
- Villa Cavrois
- Croix, France
- Maison de verre
- Paris, France
Livres
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