Les nouvelles lanternes, poème, de Valois d’Orville, 1755
Nouvelles lanternes, poème.
Adrien-Joseph de Valois d’Orville
à M. l’Abbé de Preigney
Sur son char, entouré d’une vive lumière,
Par ses rayons naissant Phoebus chassait la nuit.
Quoi ? dit-elle, déjà je finis ma carrière ?
Quel ennemi sans cesse me poursuit !
Toujours marcher, changer d’hémisphère !
Ne pourrai-je jamais, fur un même réduit,
Pour mon repos devenir sédentaire ?
Et ne plus voir cet astre qui me nuit,
De qui l’aspect excite ma colère ?
Phoebus l’entend, la regarde ; elle fuit.
Le Soleil triomphant sur la nature luit.
Mais, tandis qu’il échauffe et ranime la terre
Et le fait refleurir par l’éclat d’un beau jour :
La Nuit, pour pouvoir à son tour
Lui déclarer une nouvelle guerre,
Du céleste lambris s’empare doucement,
Bientôt l’astre qui nous éclaire,
La voit paraître en palissant.
Déjà son empire s’étend ;
Ses ombres, au soleil, affreuses, incommodes,
Semblent ternir l’éclat de ce flambeau brillant.
Elle approche, il s’éloigne ; et dans le même instant
Il est contraint d’aller régner aux Antipodes,
Irrité de se voir poursuivi, combattu,
D’essuyer chaque jour un cruel outrage
Triompher le matin, le soir être vaincu.
« Ah c’en est trop, dit-il, Jupiter, tout m’engage
A recourir à toi dans ce pressant danger.
Arbitre des Destins tu me vois outrager ;
Je t’invoque, prends ma défense,
De la nuit daigne me venger.
Fais cesser nos combats, et punis qui m’offense
Calme-toi, lui répond des Dieux le Souverain,
Pour tes bienfaits plein de reconnaissance,
Le terrestre séjour, soudain
Va se charger de ta vengeance.
Le règne de la nuit désormais va finir,
Des mortels (1) renommés par leur sage industrie,
De leur climat sont prêts à la bannir :
Vois les effets de leur génie.
Pour placer la lumière en un corps transparent,
Avec un Verre épais une lampe (2) est formée.
Dans son centre une mèche, avec art enfermée
Frappe un réverbère éclatant
Qui, d’abord la réfléchissant,
Porte contre la nuit sa splendeur enflammée.
Globes brillants, astres nouveaux,
Que tout Paris admire au milieu des ténèbres (3) ;
Dissipez leurs horreurs funèbres
Par la clarté de vos flambeaux.
Déjà, pour lever tous obstacles,
Du monarque français on implore l’appui,
Nous ne favorisons les humains que par lui ;
Des Dieux les Rois font les oracles.
Pour ne rien hazarder, enfin,
Il charge de Thémis les ministres ridelles (4)
D’examiner les machines nouvelles.
Quel avantage on leur trouve soudain !
Chacun y reconnait l’utilité publique.
On raisonne, on combine, on juge, on applaudit.
En leur faveur tout haut, l’Intégrité s’explique,
Au mécanisme tout souscrit,
Jusqu’au sénat académique.
Es-tu content, Phoebus ? Que la nuit désormais
Veuille étendre ses voiles sombres,
Son empire est détruit, ces lumineux objets
Seront à l’avenir les vainqueurs de ses ombres
Ce n’est pas tout encore. Sur ces heureux progrès
J’entends, continua le maître du tonnerre,
Des reproches qui me font faits,
Quelques Dieux en font en colère.
Mercure, en qualité de patron des voleurs,
Voit leur défaite sur la terre.
A mes sujets, dit-il, chacun fera la guerre,
Ils n’inspireront plus de mortelles frayeurs.
Animé par la vigilance.
Le soir et le matin, en tous lieux transporté,
On verra l’homme aller sans défiance.
Dans ses regards fera sa sûreté,
Lorsque les yeux possèdent la clarté,
Le corps jouit de sa défense.
Vénus vient se plaindre à son tour
Que cet événement est nuisible à Amour.
Qu’allez-vous devenir hypocrites femelles ?
Modestes au logis, au dehors infidèles
Dont les airs ingénus font l’erreur des époux,
Pour de nocturnes rendez-vous,
Qui de l’Amour prenez les ailes,
Et revenez à petit bruit.
L’ombre ne va donc plus favoriser ces belles,
Vertueuses le jour et profanes la nuit ?
Rassurez-vous, aussi, galant, dont les richesses
Font l’amour des objets dont vous êtes flatté,
Une favorable clarté,
Vous montrera de vos Lucrèces
Jusqu’où est de leurs caresses
Et que l’on est de leurs caresses
Victimes, plus souvent, que de leur cruauté.
Tes ingénieuses lumières,
Abbé, vont désormais rassurer les esprits.
Elles serviront dans Paris
D’armes, de gardes, de barrières.
Déjà nos Citoyens sincères
De tes heureux travaux ont admiré le prix.
A l’exemple des Dieux les hommes éternisent
Ceux qui sont, comme toi, dignes d’être connus.
Ils différent pourtant, selon leurs attributs.
Les Dieux et les mortels ensemble immortalisent ;
Les hommes, les talents, et les Dieux tes vertus.
Note de l’auteur
(1) M. de Preigney et Bourgeois, auteurs des nouvelles lanternes.
(2) Description des nouvelles lanternes.
(3) Les lanternes qui font au Louvre.
(4) Le Privilège enregistré au Parlement le 28 décembre 1745.
Source
Extrait du livre : Les lanternes. Histoire de l’ancien éclairage de Paris :
- Les nouvelles lanternes, poème, 1755.
- Les ambulantes à la brune contre la dureté du temps, 1769.
- Les sultanes nocturnes, 1769
Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, YE-9722, Gallica
Lanterne à huile
La lanterne à huile a été inventée en 1744 par Bourgeois de Chateaublanc. Le réverbère est composée d’une armature, d’un bec à huile et de réflecteurs métalliques qui réverbèrent la ou les flammes.
Posée en série à Paris à partir de 1766 cette lanterne d’éclairage public remplaça avantageusement les lanternes à chandelles mises en place dès 1667. L’éclairage qu’elle fournit est jugé équivalent à 30 chandelles.