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Lumière et bien-être : harmonie universelle et arts visuels

Vision scientifique, artistique et métaphysique pendant la Renaissance. Lumière et bien-être et arts visuels, vers l’harmonie universelle.

Cette réflexion autour de l’humain démontre combien la question du bien-être est au centre de la pratique de l’éclairage. Il en est de même de l’architecture dans laquelle intervient l’éclairage.

L’exploration des effets de la lumière sur l’être humain a été une quête constante au cours de l’histoire. Par l’étendue de la réflexion abordée elle est assimilable sous de nombreux aspects à une intuition philosophique précoce. Cette intuition fut celle d’un ordre cosmique garant des conditions de l’harmonie universelle au service du bien-être humain. Dans cette organisation la lumière avait un rôle déterminant qui a pendant très longtemps été présenté dans le cadre d’une réflexion philosophique ou théologique. Elle intervenait alors en tant que déterminisme universel, en des termes différents de ceux décrits aujourd’hui par la science, mais toujours à des fins similaires : celles du bien-être physique, cognitif, spirituel de l’humain.

Nature et lumière

La fleur, représentation primordiale de la beauté, de la pureté est symbole du développement de la conscience, comme la glycine. C’est la plus haute forme de l’illumination pour le lotus. Elle est une expression de la vibration de la nature directement rattachée au cycle de la lumière. « Les fleurs, en langage mythique… comme les chandelles, par leur lumière, symbolisent la vie humaine. » Johanna Sumiala, Media and Ritual : Death, Community and Everyday life, Londres, Routledge, 2013, p. 47.

Historiquement les bénéfices obtenus de la lumière furent initialement perçus par les anciens à travers l’observation de la vie animale et de la vie végétale. Cette dernière témoignait de la manière la plus directe du rôle joué par la lumière dans l’accomplissement de son cycle de vie. La lumière est source de compréhension de la nature et d’intelligence à des fins de subsistance car elle conditionnait la vie des espèces animales ou des plantes. Elle était aussi porteuse de mystère, tout autant que la voûte céleste sous laquelle ils vivaient et d’où elle provenait. Le tout, avant même d’être reconnue comme source de la vision.

Origène d’Alexandrie 185-253, philosophe et théologien., portrait de Guillaume-Chaudière, 1584 © Wikipedia Greece

Réflexion métaphysique

Mais c’est à partir des premiers philosophes et théologiens chrétiens et jusqu’à la Renaissance que va se développer une réflexion métaphysique tournée vers l’univers et la lumière[1].

  • Métaphysique : de μετά (metá) et φυσικά (phusika), au-delà de la physique.

Celle-ci explorait à la fois les phénomènes physiques et les interprétations spirituelles réputés totalement interdépendants. Cette pensée considérait que tout comme l’Homme et l’univers, l’Homme et la lumière, sont interdépendants puisque ce qui est en haut dans le ciel est également en bas sur la terre. L’Homme, étant au centre de l’univers, et de plus constitué des mêmes éléments que le ciel, avait en lui le Soleil, la Lune et même les étoiles[2], il devenait donc la manifestation d’une harmonie universelle.

 

Rôle de la lumière

Par ces affirmations, la lumière assumait un rôle déterminant dans l’univers : la lumière – élément clé de l’univers. Elle patronnait son organisation, sa cohérence, tout comme celle de l’âme et de la sagesse humaine. Tout naturellement elle s’imposait comme véhicule de fascination, de stimulation sensorielle, intellectuelle et spirituelle. D’une part comme outil de découverte du cosmos, de l’espace, du corps, mais aussi, d’autre part, de la conscience et de l’intellect, de l’esprit, et de l’âme, et par conséquent du cerveau.

Divine Comédie, par Michelangelo Caetani, 1855 – Représentation de l’univers – Cornell University Library, cote 1071.01 © Wikipédia

Élément fondamental de l’univers

Cette narration était fréquemment proposée sous une forme métaphorique, conforme aux usages de ce temps notamment dans ses représentations picturales. Elle s’appuyait sur une vision illustrative de l’humain et de l’univers. Elle affirmait la lumière comme un élément fondamental de l’univers. C’est sur ces bases que, dans l’esprit de ces exposants néoplatoniciens, l’Homme se voyait confier la mission d’explorer et de comprendre ce phénomène et ses implications. De surcroît, puisqu’il est question de lumière, il devenait bien clair que toute connaissance ainsi acquise ne pourrait, par voie de conséquence, que le rapprocher du message divin et se trouver, selon ce courant de pensée, en parfait accord avec l’enseignement chrétien.

À l’instar de la philosophie de la Grèce antique, on s’adonnait donc à une exploration par la pensée des mécanismes et des phénomènes propres au macrocosme de l’univers. En les perçant à jour, on ne manquerait pas ainsi d’enrichir la connaissance du microcosme que représente l’humain. Cette réflexion ne manquait pas d’opposant dans l’Église de l’époque. Il est évidemment nécessaire de la replacer dans un contexte scientifique qui privait encore fréquemment l’observateur des instruments et par conséquent d’une méthodologie plus précise qui n’arriveront qu’avec Galilée et Kepler.

Énergie essentielle de la lumière

Dante Alighieri (1275-1321) à la fin du bas Moyen Âge nous propose une sorte d’inventaire littéraire illustrant la pensée de l’époque dans la Divine Comédie. Ce même modèle philosophique, métaphysique y est revisité dans le contexte des réflexions scientifiques les plus récentes. C’est une sorte d’inventaire des connaissances du moment. Son thème : l’énergie essentielle de la lumière. Les astronomes, les mathématiciens, philosophes et physiciens arabes avaient, à l’époque, introduit un certain nombre de visions nouvelles à propos de cette force invisible notamment en traduisant puis réélaborant les textes grecs. Dans cet ouvrage, Dante envisage la lumière sous tous les angles possibles, qu’ils soient philosophiques, théologiques ou métaphysiques. Pour le démontrer, il l’aborde également sous l’angle de l’optique. Exemple : cette description provenant des travaux du physicien persan Ibn Sahl au Xe siècle. Nous avons isolé ici un passage toujours aussi surprenant à 700 ans de la mort du poète. Dans ce dernier, il nous décrit le phénomène de la réflexion spéculaire du prélude à la loi de Descartes/Snell. Il s’appuie sur l’observation de la réflexion de la lumière sur la surface d’un cours d’eau.

Loi de la réfraction © R. Caratti-Zarytkiewicz

 

« Comme quand il vient de l’eau ou du miroir

le rayon ricoche sur le côté opposé,

et monte selon un angle égal

à celui qui descend, et s’éloigne autant

qu’une pierre chutant d’une même distance,

ainsi que le montrent l’expérience et la science ;

ainsi il me semblait être percuté,

là devant moi par la lumière réfractée ;

et mon regard fut rapide à la fuir. »

Dante Alighieri, La Divine Comédie, Purgatoire, chant XV, 16-24.

Traduction : Marc Mentré

 

Dans l’esprit de l’auteur, cette description méthodique, vient sans doute compléter le portrait que l’érudit de l’époque se fait de la lumière, elle qui est capable de se manifester autour de nous, comme en nous, de mille manières différentes.

Lumière et amour

Dans les dernières pages du Paradis, dans un contexte poétique tout aussi intense qu’illustratif, il nous offre en conclusion une ultime synthèse de la vision de son temps. Ici interviennent conjointement la lumière et l’amour en tant que protagonistes insaisissables mais garants des équilibres universels. Car l’amour (à l’instar de ce que représentent aujourd’hui pour nous les ondes gravitationnelles ou la matière noire) est également une puissance invisible et difficile à cerner. Cet amour est identique en tout point à celui qui parcourt les pensées et les sens. C’est le sentiment le moins contrôlé par l’être humain, objet de toutes les spéculations, il est la cause du bonheur de l’homme et de la femme, mais parfois aussi cause de leur perte. Il est donc aussi mystérieux que la lumière et par conséquent lui aussi est un messager du divin.

Selon Dante et selon ses contemporains qui s’inspirent du système ptolémaïque[3] basé sur une cosmogonie géocentrique, amour et lumière, proviennent tous deux de l’empyrée aux confins de l’univers physique. À partir de cette ultime sphère (voir l’illustration ci-dessus), la lumière se combine à « L’amour qui meut le soleil et les autres étoiles »[4] , car les mouvements de l’univers ne peuvent procéder que de leur union. Ces deux énergies astrales échappant à l’entendement humain sont ici jugées seules capables de générer le mouvement des astres et de garantir les équilibres cosmiques, tout comme ceux de la sagesse humaine. Au terme de toute réflexion, ces deux forces puissantes, mystérieuses et bénéfiques ne peuvent que s’associer pour orchestrer et harmoniser l’univers tout comme elles gouvernent l’humain.

Praticiens des arts visuels

Nous arrivons enfin à la Renaissance et d’ici là nous pourrions encore citer d’autres personnages emblématiques de la pensée occidentale comme Roger Bacon ou Robert Grosseteste et bien d’autres qui ont exploré le thème de la lumière en suivant cette tradition. Mais celui qui conclura notre parcours est le philosophe Marsilio Ficino ou Marsile Ficin[5] (1433-1499). Il fut l’un des principaux chantres du néoplatonisme tout autant que grand inspirateur de ceux que Vasari a appelé les artefici del disegno (ou « praticiens des arts visuels »)[6]. Ceux-ci sont des figures intellectuelles de premier plan, tels Leon Battista Alberti, Michel-Ange ou Raphaël, architectes autant que peintres, sculpteurs, mathématiciens, philosophes ou musiciens. Comme lui, ils voient en la lumière, lorsqu’elle est invisible, l’élément fondamental de la création, de la matière comme de l’intellect, de la vérité et de l’âme : une authentique énergie cognitive. Elle est fondatrice de l’humain dans sa dimension la plus vertueuse. Lorsqu’elle devient « visible et finie »… alors elle est « la cause des choses visibles »[7].

 

 
 

À suivre…

Bien-être, lumière et architecture pendant la Renaissance

Notes de lecture

[1] Dès le début du premier millénaire après J.-C., des philosophes et théologiens tels Origène (185-253), Saint Augustin d’Hippone (354-430), etc. confrontent les textes dits païens remontant à la Grèce antique et au monde gréco-romain avec le christianisme en prenant en compte les textes attribués à Hermès Trimégiste. Ce courant de pensée va connaître son apogée durant la Renaissance. Origène, Homélie sur le Lévitique, Ve Homélie.

[2] Dante Alighieri, La Divine Comédie, Purgatoire, chant XV, 16-24.

[3] Arnold D. Graeffe, « Dante’s Image of the Universe », in Praire Schooner, University of Nebraska Press, p. 317.

[4] Dante Alighieri, La Divine Comédie, Paradis, chant XXXIII, 145.

[5] Marsilio Ficino. Quid sit lumen, traduit du latin par Bertrand Scheffer, Paris, éditions Allia, 2017, chap. XI, Catena aurea : « Lux, lumen, splendor, claritas, tous les degrés d’illumination descendent de Dieu jusque dans la matière, engendrant, comme par irradiation, l’articulation de l’être même. »

[6] André Chastel, « L’artiste », in Eugenio Garin (dir.), L’Homme de la Renaissance, Paris, Seuil, « Point-Histoire », 1990, p. 255.

[7] Marsilio Ficino, op. cit., chap. IV.

Ce texte est une version complétée de la conférence présentée par les auteurs dans le cadre du colloque éclairage de l’université de Troyes, le 30 septembre 2021 : de l’éclairage circadien au HCL (Human Centered Lighting) : integrative lighting, ou éclairage intégratif.

 

Approfondir le sujet

 

Photo en tête de l’article : fleur rose, couleur jaune © R. Caratti-Zarytkiewicz

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Éclairagistes conseil. Tous deux se sont réunis en collectif sur le thème de la lumière et de la santé et se consacrent ensemble à la réalisation de projets, à l’enseignement et à l’exploration des conditions dans lesquelles ces nouvelles perspectives influent sur la pratique de la conception des environnements éclairés.
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