Lumière, points de rencontres
L’architecture est le résultat d’une rencontre. Celle de la lumière avec la matière. Sans lumière il n’y a pas de matière, donc pas d’architecture. Si de jour le soleil s’avère être le narrateur incontestable de la mutation d’une architecture durant le cycle journalier et saisonnier : que se passe t-il la nuit ? Comment raconter cette autre histoire ? Quels scénarios imaginer pour une vie nocturne ?
Si les formes architecturales se sont prioritairement contraintes à des contextes lumineux naturels et des cultes de la lumière très variés selon les différentes régions du monde, comment circonscrire une culture de l’éclairage de nuit d’aujourd’hui ?
L’homme déclaré espèce diurne, déploie de plus en plus une grande partie de sa vie active la nuit. D’autant plus dans les régions septentrionales du globe où, l’hiver et la nuit sont majoritaire et l’été sont de longues journées. Il ne s’agit plus ici d’éclairer en fonction d’enjeux sécuritaires ou esthétiques mais de relier l’architecture à une culture ainsi qu’à de véritables usages et besoins nocturnes.
Parc de Telegraphbukta à Tromsø
J’ai recherché un site où les conditions lumineuses auraient à la fois un impact sur la physiologie humaine, la culture, la nature et l’architecture. Une fois Tromsø en Norvège choisie pour ses différentes caractéristiques tant naturelles, humaines, que climatiques, l’objectif a été de répondre à un besoin qui serait lié à la fois à l’architecture, à la culture et aux pratiques des habitants.
Ainsi, le site du parc de Telegraphbukta n’est pas choisi au hasard. En été comme en hiver, il est un lieu de rencontre majeur à la fois pour les habitants et pour les touristes. Non loin du centre-ville, on s’y dirige pour visiter le musée universitaire de Tromsø, pour se balader en forêt ou encore découvrir le long de l’eau des architectures vernaculaires de plusieurs époques. On y trouve la plage de Télégraphbukta, point de retrouvailles pour admirer la vue sur un bras de mer plein sud (là où les sommets des montagnes s’illuminent), pour faire des feux, un barbecue, du sport, pêcher, flâner, nager lorsque les beaux jours reviennent. ou encore fêter le retour du soleil le 15 janvier !
Composition architecturale du projet
La disposition des bâtiments à l’intérieur du projet semble éparse au premier abord, mais est fusionnelle non seulement de par la promenade, mais aussi par les usages, les volumes et surtout l’histoire commune qu’ils racontent. La promenade se vit comme une ascension ou une descente du ciel vers la mer en passant par la terre. Chacune des architectures qui ponctue la promenade est un point de rencontre, qui met en valeur une part de paysage ou d’histoire. Une rencontre avec la culture Sami et Norvégienne au travers d’une architecture qui se nourrit de lumière.
Ces architectures retranscrivent par leurs formes et leurs fonctions une culture propre au site. Il s’agit de faire resurgir l’histoire par un angle de vue, une ambiance, une émotion, grâce à la lumière. Le projet est aussi soudé par le langage architectural , les matériaux utilisés, leur structure mais la forme se distingue par la fonction qu’ils abritent et l’environnement qui les entoure (plage, forêt dense, proximité du musée).
Leur orientation choisie par rapport au soleil vient aussi renforcer ce lien. Cette descente s’incrit aussi dans les mœurs et habitudes des tromsiens. L’axe majeur du projet est déterminé en fonction de la vue qu’il offre vers la montagne la plus basse au bout du bras de mer vers le sud, mais aussi par rapport à la latitude du soleil au 23 janvier à 14h (date de retour du soleil après 2 mois de nuit totale). Le choix d’un sommet de montagne comme élément déterminant de la direction de ma promenade est aussi un rappel de la culture sami vénérant tant le paysage et définissant des éléments naturels proéminents et comme points de repère lors des migrations et comme lieux de culte.
Odden : le promontoire
Surélevé et embrassé par une forêt dense qui laisse entrevoir des vues vers le sud sur l’ensemble du projet, c’est un premier lieu d’immersion, de rencontre et de retrouvailles. Le feu au sol invite à s’y installer pour observer le ciel, et l’étage supérieur à regarder la vue vers les fjords. La structure de ce volume offrant cette entrée en contact avec le paysage est aussi une réminiscence des constructions sami.
Leur technique de construction du grenier est utilisée à des fins évidentes de surélévation mais aussi pour libérer l’espace au sol. D’ici l’on peut observer les étoiles au travers d’une trémie ouverte vers le ciel qui rappelle la vue zénithale que l’on trouve dans les tentes nomades. Les esprits de la nature en langue Sami.
Sortis de l’observatoire, l’on redescend au pied des arbres. La forêt de pins s’aère, les bouleaux se font de plus en plus nombreux.
Luondu : la sépulture de l’ours
A mi-chemin, une forme triangulaire est percée de bout en bout par des fenêtres. En s’approchant, on distingue un extrait du musée, les ossements de l’ours qui lévitent à l’intérieur.
Coupe longitudinale – Luondu, bâtiment autour de la sépulture de l’ours, Tromsø, Norvège – Projet d’architecture : Lumière, points de rencontres, ESA Paris © Maximilien MusscheCette architecture fait référence au rituel de l’ours dans la culture Sami. Il est considéré comme un être supérieur. Tous les ossements étaient préservés et disposés dans la sépulture en respectant l’anatomie de l’animal.
On gravite autour du bâtiment pour le comprendre, puis on y rentre pour une interrogation sur l’histoire du lieu, l’histoire autochtone. Une invitation à en découvrir plus sur la culture sami hébergée dans le musée avoisinant.
Im heim : à la maison
La plage étant déjà un lieu de rencontre important dans la ville, je décide d’en faire le point névralgique de mon projet.
On y trouvera une place centrale circulaire avec des gradins, au milieu de laquelle se trouve un grand feu. La place sera lieu de spectacles, de fêtes, de réunion ou d’observation.
Le programme architectural vient ponctuer ce parcours fusionnel. Chaque étape, chaque architecture racontant une part d’histoire. Si ces architectures sont toutes des lieux de potentielles rencontres, chacune invite à une rencontre différente ; avec la lumière, l’environnement, une culture, avec l’autre et avec soi. Le langage reprend des formes simples qui s’inspirent de l’architecture vernaculaire locale et autochtone, en écho avec le paysage, tout en nuances et sobriété.
De prime abord, l’archétype de la maison norvégienne, avec son toit et de petites fenêtres pour se protéger de la neige et du froid, ne répond pas aux contraintes lumineuses extrêmes de cette région. Cependant, ces fenêtre si sombres en été et emplies de vie et de lumière en hiver témoignent bien d’une appropriation de la nuit. Chaque fenêtre racontant sa propre histoire. Aussi, la fenêtre sera l’un des éléments clé du vocabulaire du projet. Chacune apporte aux intérieurs une intensité et une température de couleur.
Une toiture classique, avec deux pans qui s’intègrent dans le paysage me permet d’ajouter un angle de lumière supplémentaire. Le bardage en bois et sa couleur, élément caractéristique des maisons norvégiennes, sera utilisé sur chaque architecture comme brise-soleil amovible permettant une maîtrise de la lumière. Ce bardage doublé de luminaires vient filtrer la lumière le jour et diffuser la lumière la nuit.
Membres du jury
- Directeur de diplôme : Bertrand Renaud, professeur de philosophie à l’ESA Paris.
- Président de soutenance : Sébastien Chabbert, professeur d’architecture, ESA, et architecte, Wonderland Productions.
- Expert : François Migeon, co-fondateur de l’agence de concepteurs et plasticiens lumière et concepteur lumière, 8’18’’,
- Architecte DESA diplômé à l’ESA : Luc Izri.
- Enseignant de l’ENSA Nantes : Vincent Laganier, rédacteur en chef, Light ZOOM Lumière.
- Candide : Fanny Tassel, professeur à l’ESA dans la discipline Observatoire et corps – Art, et architecte plasticienne.
La présentation du mémoire de Maximilien Mussche a eu lieu le 10 juillet 2017 à l’Ecole Spéciale d’Architecture de Paris. Le diplôme d’architecte ESA a été remis à l’unanimité avec les félicitations du jury.
Équipe du projet
ZOOM -
Lieu
- Parc de Telegraphbukta
- Tromsø, Norvège
Livres
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