La lumière, le travail des ambivalences, Beaufort et Lebrère
Texte d’introduction du livre Ambivalences de la lumière, de Charlotte Beaufort et Marylène Lebrère, avec l’aimable autorisation des Presses Universitaires de Pau et des Pays de l’Adour.
La lumière, ou le travail des ambivalences
Ce volume fait suite au colloque international qui s’est tenu à l’Université de Pau les 9, 10 et 11 octobre 2014 sur la thématique interdisciplinaire des « Ambivalences de la lumière »[1]. Les contributions rassemblées ici visent à démontrer la complémentarité et les interconnexions des approches des sciences humaines et des sciences exactes lorsqu’il s’agit de traiter des expériences, des théorisations et des représentations que suscite chez l’homme et dans les sociétés ce phénomène physique et immatériel—et donc par nature ambivalent – qu’est la lumière. Car la lumière est présente mais insaisissable, elle rend visible mais aveugle, elle est ondulatoire et corpusculaire, matérielle et immatérielle, éblouissante ou crépusculaire ; elle est un phénomène physique et psychophysiologique, source de visibilité et de chaleur, condition de la clarté et de l’illusion ; elle est au principe des couleurs, mais aussi déterminante pour notre perception des espaces, des surfaces, des volumes, des textures ou des atmosphères. Et ceci n’est pas sans lien avec le fait qu’elle joue en outre un rôle culturel cardinal dans la diversité des conceptions du monde, par sa place dans les mythologies, les religions, les philosophies, les sciences et leurs histoires ; elle prend une place déterminante dans le dialogue constant que l’homme entretient avec son environnement et avec les autres hommes. Condition déterminante de notre rapport au monde, elle a été et demeure l’objet privilégié de tous les savoirs et savoir-faire—intellectuels, culturels, artistiques, scientifiques et techniques—occupés à méditer, expérimenter, organiser, esthétiser, décrire et conceptualiser notre accès au visible—et à l’invisible. En elle se croisent et s’entremêlent émerveillement esthétique, investissement symbolique et religieux ou encore interrogations philosophiques et scientifiques.
Le présent volume entend donc centrer les réflexions et les travaux sur les ambivalences de la lumière aux confins de multiples domaines—histoire, religion, philosophie, arts, anthropologie, sciences, architecture, vie quotidienne, etc.—, car les arts, les sciences et les humanités trouvent dans la lumière un terrain où se posent des questions essentielles sur ce que sont l’art, la science, le monde, leurs interrelations et leurs frontières. Des approches résolument pluridisciplinaires y offrent l’occasion de sonder les confins, les porosités et les interfécondations des arts, des sciences humaines et des sciences exactes dont la lumière a si souvent été la cause.
Pour analyser ces phénomènes, le volume est organisé en trois parties traitant prioritairement de trois manières dont les ambivalences de la lumière travaillent la perception, la création, la pensée, les représentations. La première, intitulée « Labilités », met l’accent sur la manière dont les ambivalences perceptives de la lumière—tantôt du côté de la clarté, tantôt du côté du brouillage ou de l’atmosphère, tantôt du côté de la lumière réelle, tantôt de celui de la lumière représentée—ont déterminé la grande variabilité de ses descriptions et de ses théorisations. La seconde, intitulée « Effets », met l’accent sur diverses manières dont la lumière produit des effets—ou est utilisée pour produire des effets—qui engagent divers types d’ambivalence de la lumière quand elle est en même temps couleur, ombre, réelle et « représentée ». La dernière partie, intitulée « Scénographies », met l’accent sur la manière dont la lumière, de l’âge des cavernes aux architectures de verre, a été diversement utilisée pour organiser, orienter, esthétiser et/ou spiritualiser notre rapport au monde, aux espaces et à l’architecture. L’ambivalence de la lumière (souvent naturelle) consiste alors à être utilisée (pour ainsi dire culturalisée) de manière, en outre, à produire des espaces eux-mêmes résolument ambivalents.
Labilités
Mais les ambivalences de la lumière sont d’abord le fait de la grande variété de nos perceptions et de nos représentations la concernant. La lumière dessine des contours ou suscite des atmosphères, parfois brouillées. Elle se caractérise par d’extrêmes labilités et devient dès lors l’objet de réflexions et de symbolisations multiples et changeantes, en particulier parce qu’elle est la condition d’une perception nette, image d’une connaissance claire. Ainsi, chez les auteurs de l’Antiquité classique, et notamment dans la philosophie de Platon, parmi les facultés sensorielles, la vision est considérée comme prééminente. De ce privilège accordé à la vue résulte l’importance accordée à la lumière, aussi bien dans le domaine de la connaissance que dans celui de l’éthique.
La symbolique de la lumière. Le platonisme en question, Sylvain Roux
Sylvain Roux, dans son article « La symbolique de la lumière. Le platonisme en question (M. Heidegger, E. Levinas, M. Henry) », entreprend d’analyser ce privilège de la lumière dans le platonisme où elle est le premier principe de toutes choses, un soleil illuminant toutes les autres Idées. Par le biais de cette analogie, la lumière acquiert une importance particulière au sein des problématiques métaphysiques. Cependant, la pensée contemporaine, notamment la phénoménologie, a contesté ce privilège de la vision et de la lumière qui imprègne, selon elle, toute la pensée occidentale. Emmanuel Lévinas, en particulier, dans Totalité et infini, montre que le rapport à l’autre suppose de rompre avec ce modèle dans la mesure où il ne permet pas de conserver et de respecter l’altérité d’autrui. Sylvain Roux nous permet de comprendre les critiques contemporaines de ce modèle de la vision et de la lumière en en présentant et analysant les enjeux philosophiques.
La lumière dans la poésie post-tridentine : un symbole entre science, théologie et imaginaire, Florent Libral
Florent Libral, dans « La lumière dans la poésie post-tridentine : un symbole entre science, théologie et imaginaire (v. 1600-1671) », se propose de définir les caractéristiques d’une rhétorique de l’optique au XVIIe siècle et d’étudier chez les scientifiques et les religieux les métaphores et analogies renvoyant à la lumière ou permettant de la décrire dans un contexte global où celle-ci tend à perdre son statut de symbole de l’invisible pour devenir un objet d’étude pour la science mécaniste. Comment analogies et métaphores servent-elles à la fois à vider la lumière de sa symbolique chrétienne—issue de la philosophie platonicienne et de sa métaphysique—où Dieu est pensé comme « vraie lumière » ? Et de quelles façons, la lumière fut-elle réinvestie pour devenir LE symbole métaphysique par excellence ? Par-delà le simple changement d’épistémè, l’auteur montre que la dualité d’approche qui se définit et se manifeste dans cette « première modernité », correspond à une rupture séculaire des savoirs fondée sur la solidarité du scientifique et du théologique, et ce par le vecteur de l’analogie et de la métaphore.
Singularités de la lumière : ambivalence et nébulosité selon James Turrell, Ronald Shusterman
S’intéressant aux rapports entre art et science, Ronald Shusterman s’appuie sur le concept de singularités pour aborder le thème des ambivalences de la lumière. Empruntant à l’astrophysique le concept de singularité qui désigne les cas où les lois de la nature ne s’appliquent plus, il souhaite démontrer qu’il existe un certain type d’art cherchant à produire des singularités qui ne sont pas que métaphoriques. Le corpus d’œuvres analysé joue sur les repères spatio-temporels des spectateurs et avec les lois de la physique newtonienne. Les œuvres de lumière de James Turrell, d’Ann Veronica Jannsens, de Loris Gréaud et d’Olafur Eliasson sont pensées pour remettre délibérément en question les notions de rationalité et de réalité, pour bousculer sciemment notre épistémologie avec ses modèles et ses opérateurs.
Comme un poisson dans l’eau Expériences, rêveries et poétiques de la lumière, Filippo Fimiani
À la croisée entre discours, expérience perceptive et imaginaire, Filippo Fimiani met pour sa part en évidence toute la force, la complexité et l’ambivalence du « process » analogique chez l’homme. S’appuyant sur le concept d’empathie développé par Robert Vischer, il analyse le rapport étroit entre l’analogique, l’esthésique, l’extatique et l’esthétique. La lumière, considérée par Vischer comme « la forme de liaison la plus générale du sujet à l’objet », est, selon lui, saisissable à travers les sensations physiques de chaleur ou de froideur qu’elle procure à l’homme. La relation entre la lumière et l’homme passe d’abord par le medium actif : corporel et sensoriel. Cette expérience vécue nourrit l’imaginaire et conditionne l’empathie : medium passif, intériorisé. Reste également à considérer attentivement le medium ambiant, là où nous vivons. La conjonction de ces trois media (corporel et sensoriel, empathique et ambiant) conditionne et paramètre notre rapport à la vie, aux autres existants, à l’art (intermédiation de l’art). Les ambivalences de la lumière oscillant entre ombre et lumière sont à la fois fondamentales dans notre individuation ontologique, mais elles sont également une poétique et une métaphore de notre rapport à un monde tout aussi ambivalent.
Lueur et crépuscule. Les quasi-choses : plus elles sont vagues, plus leurs effets sont importants, Tonino Griffero
Dans la suite de cette approche, c’est par l’entremise du concept d’atmosphère que, dans « Lueur et crépuscule. Les quasi-choses : plus elles sont vagues, plus leurs effets sont importants », Tonino Griffero aborde les ambivalences de la lumière comme « quasi chose ». Le concept d’atmosphère, aussi imprécis soit-il, peut être « défini comme une précondition qualitative et sentimentale de notre rencontre spatiale et sensible avec le monde ». Notre relation au monde et aux choses dépend avant tout du contexte d’immersion qui est et devient à nos yeux un contexte atmosphérique. Griffero évoque les différents contextes atmosphériques (lumineux nébuleux, crépusculaires, ombreux, etc.) liés aux interactions entre lumière et matière, sources d’expériences ambivalentes dont les effets éphémères et immatériels (et néanmoins bien réels) sont partagés par tous.
De Pausias à Turner, les ambivalences de la lumière peinte, Charlotte Beaufort
C’est bien évidemment de ce rapport à un monde changeant que les peintres ont, de tout temps, témoigné en s’efforçant de reproduire la diversité du visible par des moyens de peinture. Dans « De Pausias à Turner, les ambivalences de la lumière peinte », Charlotte Beaufort montre comment, avant l’essor de l’impressionnisme, la pratique des peintres se révèle indissociablement liée à une pensée évolutive des ambivalences de la lumière peinte, à la fois lumière représentée dans l’istoria et lumière réelle renvoyée par le tableau et perçue par le spectateur. Selon les contextes historiques et les conceptions de l’art pictural, les techniques des peintres jouent diversement de cette ambivalence fondamentale. En tentant révolutionnairement de la réduire en prônant la « praticabilité » qui donnât la priorité au médium, Turner tournait le dos à une esthétique de l’effet illusionniste. En même temps, il confirmait que la labilité de la lumière peinte était déterminante dans l’évolution des conceptions de la peinture.
Texte d’introduction du livre Ambivalences de la lumière, de Charlotte Beaufort et Marylène Lebrère, avec l’aimable autorisation des Presses Universitaires de Pau et des Pays de l’Adour.
Effets
On le voit, l’importance de la lumière dans la pensée est liée à son extrême labilité, à sa capacité de susciter des perceptions et des représentations diverses, voire opposées. C’est que la lumière s’appréhende principalement à travers la diversité de ses effets. Et de fait, c’est la diversité et l’ambivalence des effets de la lumière qui souvent motive les recherches scientifiques, technologiques ou artistiques.
Perles, papillons, pigments. Quels dialogues avec la lumière ?, Patrick Callet
Ainsi, Patrick Callet, dans « Perles, papillons, pigments. Quels dialogues avec la lumière ? », aborde le domaine peu connu de la photonique et de la biophotonique qui permet de visualiser, en fonction de leur structure à plusieurs échelles, les couleurs issues du monde vivant qui produisent des effets visuels complexes, comme, par exemple, les ailes de certains papillons d’Amazonie, des perles ou des coquillages. Ces couleurs sont structurales et on est en mesure de les modéliser scientifiquement, afin d’étudier les structures responsables de ces effets faisant interagir différentes longueurs d’ondes de la lumière visible. Les résultats sont ensuite appliqués à l’élaboration de pigments nacrés pour des peintures, de cosmétiques et d’encres. Patrick Callet montre comment la lumière, utilisée comme instrument de mesure, d’observation, de simulation et de restitution de ces interactions avec la matière présente un grand nombre de polyvalences, d’ambivalences ensuite appliquées à l’industrie.
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Cavités lumineuses, reflets d’ombres : présences absentes et dramaturgies de la lumière, Cristina Grazioli
Cristina Grazioli, pour sa part, explore dans son texte « Cavités lumineuses, reflets d’ombres : présences absentes et dramaturgies de la lumière », la place et le rôle grandissants de la lumière et de l’ombre dans le théâtre moderne et contemporain. La lumière artificielle n’est plus là pour simplement rendre visible la scène, mais, depuis Adolphe Appia, devient un élément agissant de la dramaturgie, au même titre que l’acteur. Cristina Grazioli nous présente toute une gamme de moyens d’expression plastique reposant sur l’expérience que l’on fait du visible, tous constitutifs de la lumière en elle-même et de son caractère proprement ambivalent. A travers le prisme de la lumière et de l’ombre, l’auteure traite en particulier des relations entre présence et absence sur la scène, ainsi que de la manière dont poétiques et dramaturgies de la lumière contribuent par leurs effets à suggérer les contours d’impermanences et d’ambivalences mondaines aussi bien qu’humaines.
As Dark as Light, Garry Fabian Miller
Les ambivalences de la lumière que Lawrence Gasquet analyse dans « As Dark as Light : Garry Fabian Miller et les ambivalences de la lumière photographiée », font interagir le sensible, l’intelligible, l’émotionnel et le rationnel. L’analyse de l’auteure est sous-tendue par la problématique de l’ombre, clé épistémologique du travail de l’artiste. Utilisant les techniques photographiques des débuts de la photographie, en travaillant avec des temps d’exposition très longs, G. F. Miller s’emploie à capturer méthodiquement la lumière résiduelle. Ce qui l’intéresse est ce que nous appelons communément « l’obscurité », ce que l’homme perçoit comme une absence de lumière. Cette « absence de lumière » correspond pour l’artiste à une « absence de temps » : en tentant, par ses expériences photographiques, de recréer cet « espace atemporal » (selon ses propres termes) où la prééminence de la faculté visuelle cède le pas à l’intériorisation et aux autres sens, il s’interroge sur les enjeux de la perception de la lumière.
L’ambivalence spatio-temporelle des images holographiques : une esthétique paradigmatique de la lumière, Philippe Boissonnet
C’est en partant du constat que dans l’analyse de la perception de la lumière, la lumière induit deux attitudes relationnelles, l’une active et l’autre réceptive—dualité qui fait naître des ambiguïtés d’ordre psychophysiologiques et phénoménologiques—que Philippe Boissonnet s’intéresse aux qualités esthétiques trop peu connues de l’image holographique dans son article intitulé « L’ambivalence spatio-temporelle des images holographiques : une esthétique paradigmatique de la lumière ». L’holographie révèle la dualité de la nature de la lumière même, à la fois corpusculaire et ondulatoire, et c’est en cela qu’elle ne fait pas partie du même paradigme spatio-temporel que la photographie. Si, en art, la lumière est travaillée, consciemment ou non, comme matériau purement expressif, l’image holographique intéresse les artistes pour sa capacité à faire vivre une coexistence spatiale entre l’image et le corps, jetant ainsi un nouveau trouble (un doute) dans la perception. Le texte explore ces aspects particulièrement ambivalents de l’esthétique des espaces lumineux holographiques.
Texte d’introduction du livre Ambivalences de la lumière, de Charlotte Beaufort et Marylène Lebrère, avec l’aimable autorisation des Presses Universitaires de Pau et des Pays de l’Adour.
Scénographies
D’une certaine manière, depuis les couleurs nacrées jusqu’aux éclairages de théâtre, en passant par l’holographie, la photographie ou l’exploration par les peintres des rapports entre lumière réelle et représentée, tout ce qui a trait aux effets ambivalents de la lumière relève déjà d’une certaine manière d’interroger ou de manipuler la vision, et donc d’une forme de mise en vue ou de mise en scène. Dans cette dernière partie, les auteurs se sont attachés à analyser diverses circonstances dans lesquelles l’homme a pu utiliser les ambivalences de la lumière à des fins scénographiques, pour conditionner la perception individuelle et collective de surfaces, de volumes ou d’architectures.
Le rôle de la lumière dans l’art des grottes au Paléolithique supérieur, Marc Groenen
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ces pratiques scénographiques utilisant la lumière « artificielle » remontent à la préhistoire. Durant une très longue période comprise entre 35000 et 9000 av. notre ère, les hommes ont orné les parois, les plafonds et les sols de grottes baignant dans l’obscurité. Les témoignages artistiques laissés par les hommes dans de tels lieux impliquaient donc le développement de modes d’éclairage adaptés. Marc Groenen, spécialiste de l’art pariétal, mène depuis de nombreuses années des recherches approfondies sur le rôle de la lumière et la question de l’éclairage dans les grottes du Paléolithique supérieur dont il dévoile ici une partie. Après avoir montré l’absence de traitement archéologique du rôle de la lumière dans le Paléolithique supérieur, il émet de nouvelles hypothèses en se basant, non sur pas des relevés, mais sur une approche contextuelle qui intègre les qualités architectoniques de l’espace, la notion de point de vue et la conformation naturelle des parois. On découvre alors que la lumière, comprise comme authentique moyen d’éclairage—et donc comme objet de technique—, a une double fonction, à la fois plastique, dans la mise en forme des représentations pariétales, mais aussi scénographique et de mise en scène du décor en articulant dialectiquement l’ombre et la lumière, les plans visibles et les plans invisibles.
Dans ces rapports entre ombre et lumière, visible et invisible, c’est sans doute déjà quelque chose des rapports entre les hommes et l’au-delà, entre la religion et l’art, entre les pouvoirs religieux et l’architecture qui se joue dans l’obscurité vacillante des grottes éclairées préhistoriques. Tant et si bien que tout ce qui peut avoir trait aux rapports entre lumière et architecture se trouve engagé dans cette problématique des ambivalences scénographiques de l’éclairage.
Rendu Loisel Splendeur divine, flamme efficace et éclats métalliques, Adeline Grand-Clément et Anne-Caroline Rendu Loisel
Il en va au moins pour partie ainsi, lorsque, dans une perspective comparatiste, expérimentale et contrastive, Adeline Grand-Clément et Anne-Caroline Rendu Loisel, proposent de confronter les usages rituels de la lumière en Mésopotamie et en Grèce anciennes afin de retrouver les catégories de pensée propres à chacune de ces cultures. Dans leur texte intitulé « Splendeur divine, flamme efficace et éclats métalliques : regards croisés sur les usages de la lumière et la mise en scène du divin en Mésopotamie et en Grèce », elles soulignent qu’aux yeux des Anciens, différentes formes d’éclats lumineux existaient, délimitant et définissant les rapports entre les hommes et les dieux. Si la lumière est la condition même de l’existence humaine, elle est aussi celle de la manifestation du divin. Dès lors, l’analyse des deux auteures est sous-tendue par les problématiques suivantes : dans quelle mesure l’utilisation et la mise en scène de la lumière dans ces contextes rituels nous renseignent-elles sur les rapports entre les hommes et le monde invisible ? Quels sont les matériaux et les dispositifs qui permettent de créer des effets lumineux variés ? De quelle façon contribuent-ils à l’efficacité du rituel ?
Sacrée lumière et divine architecture : lumière et éclairage naturels des lieux de culte grecs antiques, Marietta Dromain
C’est encore assurément des rapports scénographiques entre lumière et architecture que, sondant la question du rapport des Anciens à la lumière d’un point de vue architectural et cultuel, Marietta Dromain étudie la mise en lumière des temples et des édifices au sein des sanctuaires grecs. « Sacrée lumière et divine architecture : lumière et éclairage naturels des lieux de culte grecs antiques » résulte de cet angle d’approche récent qui tend à démontrer que l’éclairage naturel est une composante, voire une condition déterminante de l’édification d’un monument ; ceci, tant d’un point de vue pratique qu’esthétique, symbolique et religieux, en exprimant la présence du dieu dans sa demeure. Mariette Dromain s’attache à montrer combien l’analyse du lien entre lumière naturelle et architecture passe obligatoirement par l’étude minutieuse des diverses mises en scène, utilisations et fonctions de la lumière naturelle en contexte cultuel, ainsi que de son environnement historique et architectural.
L’inconstance de la lumière du jour : une contrainte technique et un matériau de création pour l’architecture, Virginie Nicolas
Conceptrice lumière, Virginie Nicolas a pour métier de concevoir et de réaliser des plans lumière architecturaux et urbains. Dans « L’inconstance de la lumière du jour : une contrainte technique et un matériau de création pour l’architecture », elle fait état de ses réflexions sur le rapport entre lumière du jour et architecture. En s’appuyant sur l’analyse de cas de réalisations récentes, parfois personnelles, elle met en évidence combien en architecture, la lumière du jour est à la fois un matériau et un outil de création incontournable, complexe, stimulant, mais ambivalent par nature—en particulier parce qu’il est toujours changeant. Architectes et concepteurs lumière doivent sans cesse compter avec ce caractère impermanent, inconstant et imprévisible de la lumière solaire et avec la relation ambivalente que nous entretenons avec ce « matériau » qui est à la fois sensible, esthétique et bienfaiteur, mais aussi nocif. Cette ambivalence fondamentale de la lumière implique finalement la conception de dispositifs architecturaux à la fois « perméables » et « partiellement défensifs », car la lumière doit être tantôt accueillie et tantôt repoussée.
Ambivalence de la lumière ou richesse de l’éclairage, Jean-Jacques Ezrati
C’est bien de cette même ambivalence d’une lumière à la fois nécessaire et dangereuse que doit traiter la scénographie muséale. Dans « Ambivalence de la lumière ou richesse de l’éclairage », Jean-Jacques Ezrati, éclairagiste conseil à la Direction des Musées de France, rappelle que la lumière, qu’elle soit naturelle, artificielle ou mixte, est source d’ambivalences pour l’éclairagiste de musées puisqu’elle doit servir à rendre visible (lisible) les œuvres tout en évitant de les détériorer. Mais surtout, elle doit aussi, et de plus en plus, participer activement à la scénographie de l’exposition en utilisant toutes les dernières technologies en matière d’éclairage, notamment dynamique. L’auteur met ainsi l’accent sur le rôle expressif et signifiant de la lumière qui, là encore, dans ces temples modernes que sont les musées, ne sont pas sans importance sur notre relation à l’espace et sur les conditions d’expérience des œuvres.
Ainsi, à travers ce dernier exemple comme à travers toutes études réunies dans ce recueil, on aura compris qu’une ambivalence majeure de la lumière est sans doute que, se présentant comme l’image de la clarté ou de l’Un divin et immuable, elle ne cesse d’être traversée ou travaillée, voire retravaillée, par de multiples formes, elles-mêmes ambivalentes de labilités, d’effets et de scénographiques. C’est sans doute ce qui en fait un objet si complexe et riche à l’exploration duquel ce volume voudrait contribuer.
BEAUFORT, Charlotte, Marylène Lebrère. « La lumière, ou le travail des ambivalences », in Ambivalences de la lumière (Collection « Espaces, Frontières, métissages »), sous la direction de Charlotte Beaufort et Marylène Lebrère, Pau, Presses Universitaires de Pau et des Pays de l’Adour, 2016 : 13-20.
[1] Le colloque, intitulé « Ambivalences de la lumière : expériences, représentations, théorisations », a été organisé par Charlotte Beaufort et Marylène Lebrère pour le Centre Inter-Critique des Arts et des Discours sur les Arts (CICADA, EA 1922) et l’Institut de Recherche sur l’Architecture Antique (IRAA, USR 3155-CNRS), dans le cadre de la Fédération de recherche « Espaces, Frontières, Métissages » de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour. La présente publication a, en outre, bénéficié d’une aide du laboratoire PLH-ERASME (EA 4601) de l’Université de Toulouse II Jean-Jaurès.Texte d’introduction du livre Ambivalences de la lumière, de Charlotte Beaufort et Marylène Lebrère, avec l’aimable autorisation des Presses Universitaires de Pau et des Pays de l’Adour.