Myopie, daltonisme, dyslexie : des lunettes magiques ?
Freiner la progression de la myopie, permettre aux daltoniens de mieux distinguer les couleurs, aider les dyslexiques à lire plus efficacement. C’est la promesse de trois solutions technologiques sous forme de lunettes.
Microlentilles par milliers pour limiter la myopie
C’est peut-être la maladie du siècle. La moitié de la population mondiale pourrait être myope d’ici 2050. S’il existe des facteurs génétiques, la forte augmentation s’explique par nos modes de vie : le temps passé à l’intérieur et la forte sollicitation de la vision de près.
Qu’est-ce que la myopie ?
La myopie survient lorsque le globe oculaire est trop allongé. L’image d’un objet lointain se forme à l’avant de la rétine et paraît floue. Des verres ophtalmiques classiques permettent de la corriger. Les images en vision centrale sont alors nettes, mais celles en vision périphérique vont se former au-delà de la rétine. L’accommodation va entraîner un allongement du globe oculaire qui nécessiterait un changement de verre correctif. La progression de la myopie est donc un cercle vicieux qu’il est difficile de ralentir, surtout lorsqu’elle apparaît chez de jeunes enfants.
Principe des lunettes multifocales pour myopes
Après des années de recherche, le fabricant japonais Hoya, puis le fabricant français Essilor commercialisent des lunettes multifocales, prouesses de conception optique. La partie centrale du verre corrige la myopie afin d’avoir une vision nette. En périphérie, des centaines de microlentilles invisibles (400 pour le Miyosmart d’Hoya et 1 021 pour le Stellest d’Essilor) permettent de créer un volume de lumière en avant de la rétine afin de limiter la progression de la myopie. Un essai clinique de grande ampleur a permis de valider l’efficacité des verres. On peut à présent s’en procurer, mais uniquement sur ordonnance d’un ophtalmologiste.
Comment lutter contre la myopie ?
Si nous ne souhaitons pas que tous nos enfants portent ces lunettes pour limiter la progression de la myopie, il convient d’adopter certaines habitudes. L’objectif est de ne pas maintenir une vision de près trop longtemps :
- passer plus de temps à l’extérieur,
- privilégier le visionnage sur un écran de télévision à quelques mètres plutôt que sur une tablette à 15 centimètres,
- faire des pauses visuelles régulières lors de travail sur écran. On recommande 20 secondes de pause toutes les 20 minutes.
Mieux discriminer les couleurs contre le daltonisme
Comment l’œil perçoit-il les couleurs ?
L’œil humain possède trois types de photodétecteurs pour la perception des couleurs. Par leurs formes, ils sont appelés « cônes » et sont situés sur la fovéa, petite zone de la rétine. Ils se distinguent par les longueurs d’ondes auxquelles ils sont sensibles. Schématiquement, il s’agit du bleu, du vert et du rouge, mais ces domaines spectraux se chevauchent fortement.
Qu’est-ce que le daltonisme ?
Le daltonisme est une anomalie de perception des couleurs qui provient généralement d’une lacune d’un des trois types de cônes. Le plus fréquemment, il s’agit de ceux sensibles au vert ou au rouge.
On hérite génétiquement du daltonisme. Les gènes codant les récepteurs du vert et du rouge sont situés sur le chromosome X. Par conséquent, il y a beaucoup plus d’hommes (8 % des Français) que de femmes (0,4 % des Françaises) qui sont daltoniens.
Corriger de manière passive le daltonisme est impossible : on ne peut pas recréer de l’information non détectée. Toutefois, les signaux reçus par les cônes ne sont pas directement transmis au cerveau. Ils subissent au préalable un codage et le cerveau interprète les couleurs par « paires antagonistes » noir/blanc, vert/rouge, bleu/jaune. La confusion vert/rouge est la forme la plus courante du daltonisme.
Principe des lunettes pour daltoniens
La société californienne EnChroma a développé des verres qui filtrent la lumière afin de lever cette ambiguïté. Ce filtrage est délicat, car le découpage du spectre doit être précis. En pratique, ce sont comme des lunettes de soleil avec des verres colorés tirant vers les pourpres. La vie en rose…
L’effet de curiosité fonctionne à plein régime. On ne compte plus les vidéos présentant des personnes testant pour la première fois ces lunettes. On y entend de nombreux Amazing ! devant des ballons multicolores. Les daltoniens ne voient pas mieux toutes les couleurs, mais en discriminent davantage certaines, qui leur apparaissent plus saturées.
Une fois passé cet enthousiasme initial, il est difficile de croire que les daltoniens porteront ces lunettes en permanence. C’est en effet la comparaison avec et sans lunettes qui provoque l’étonnement. Et le daltonisme n’étant généralement pas handicapant, il n’y a pas de nécessité de les porter. Quant à savoir si votre voiture est plutôt bleue ou verte, pas la peine d’être daltonien pour se poser la question ni de porter ces lunettes pour espérer obtenir une réponse universelle…
La technologie contre la dyslexie
Qu’est-ce que la dyslexie ?
La dyslexie est un trouble de la lecture et de l’écriture dont la cause est encore sujette à débat.
En 2017, trois chercheurs français mettent en évidence un lien entre dyslexie et perception visuelle. Ils montrent que certains dyslexiques n’auraient pas d’œil directeur. La conséquence serait la création d’images miroirs les empêchant de bien distinguer des lettres ressemblantes, comme le b et le d.
Principe des lunettes pour dyslexiques
La société française Atol a créé des lunettes électroniques baptisées Lexilens, envoyant une lumière pulsée sur les yeux qui simule le mécanisme d’œil directeur. Les montures ont été dessinées afin de ressembler fortement à des montures classiques et d’être le moins stigmatisantes possible.
Sur un principe similaire, la start-up Lili for Life commercialise depuis peu la lampe Lili, qui envoie des flashs lumineux imperceptibles à une fréquence réglable.
Des sites Internet présentent des témoignages d’enfants et d’adultes dyslexiques qui ont noté des améliorations significatives dans leur pratique de la lecture.
Ces solutions technologiques ne font toutefois pas l’unanimité. Elles ne sont par exemple pas recommandées par la FFDYS, association française des « dys ».
- D’une part, ces solutions dont le prix est élevé ne sont pas adaptées à toutes les formes de dyslexie.
- D’autre part, leur commercialisation aurait mérité d’attendre une validation clinique indépendante.
Après ces retours négatifs, la société Atol a nuancé sa communication. Elle souligne à présent l’importance d’un suivi de la personne dyslexique par un orthophoniste et précise avec prudence que leurs lunettes « soulagent certaines formes de dyslexie ». Autrement dit, les lunettes miracles n’existent pas encore.
Approfondir le sujet
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Photo en tête de l’article : chat de gingembre avec lunettes de soleil © Mark_KA, iStock
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