Lumière des écrans : oeil et cerveau des enfants et adolescents
Mercredi dernier, l’Académie nationale de médecine a publié un communiqué en français et anglais. Son titre : l’oeil et le cerveau des enfants et des adolescents sous la lumière des écrans. Explications de l’institution.
Recommandations de l’Académie de médecine
Pour la santé des enfants et adolescents, l’Académie nationale de médecine recommande de :
- promouvoir l’utilisation de lunettes protectrices contre la lumière bleue, en cas d’exposition prolongée aux écrans ;
- restreindre, voire proscrire, l’usage des écrans durant la nuit ;
- veiller à la régularité des horaires de coucher et de lever des enfants et adolescents pour éviter une désynchronisation de l’horloge interne ;
- introduire, dans le cursus scolaire, une sensibilisation des élèves sur les risques liés aux écrans et sur l’importance du sommeil ;
- sensibiliser les parents aux risques liés à l’usage abusif des écrans ; la baisse des performances scolaires et le repli sur soi de leurs enfants étant deux signaux d’alerte essentiels auxquels ils doivent être attentifs.
Communiqué pour la santé des enfants et adolescents
« Passé l’âge de trois ans, les écrans se révèlent, chez l’enfant, un remarquable outil de formation et d’éveil, pour peu qu’il soit encadré par les parents ou les éducateurs, et que l’accent soit mis sur son interactivité et son caractère ludique. En revanche, son usage abusif expose à des effets défavorables, notamment à l’adolescence. L’un de ces effets défavorables pour la santé tient à la nature de la lumière que génèrent ces écrans.
Depuis l’invention de l’ampoule électrique à incandescence (Thomas Edison, 1878), la recherche de nouvelles sources lumineuses a visé à améliorer leurs performances énergétiques et la qualité de la lumière émise, et à étendre aux écrans la possibilité de leur utilisation. Par de mauvais usages, la bienfaisante lumière peut se révéler une redoutable pollueuse (1). L’œil et le cerveau des enfants et des adolescents en sont alors victimes. »
L’oeil et la lumière
« La lumière est une radiation électromagnétique qui véhicule une énergie capable, en interagissant avec les tissus oculaires, quel que soit l’âge, d’endommager les photorécepteurs rétiniens.
L’exposition aux diodes électroluminescentes (LEDs), qui sont, en candela par mètre carré, mille fois plus lumineuses que les lampes à incandescence, est source d’éblouissement et peut s’avérer photo-toxique pour la rétine.
Alors que la lumière solaire et les anciennes sources d’éclairage artificiel ont une énergie homogène dans la bande du spectre visible, les LEDs disponibles actuellement émettent un pic d’émission de lumière bleue, proche du rayonnement ultra-violet, dont les effets délétères sur la rétine sont connus (1).
Cette photo-toxicité rétinienne n’est pas une brûlure aiguë, comme après l’observation imprudente d’une éclipse solaire ou la manipulation accidentelle d’un rayon laser.
L’exposition chronique aux LEDs induit des lésions cellulaires d’ordre photo-chimique particulièrement néfastes pour la rétine maculaire située au centre de la rétine et assurant la vision fine, la lecture, l’écriture et la vision colorée.
La photo-protection par des verres anti-UV et anti-lumière bleue est cruciale, surtout pour les enfants et adolescents dont le cristallin est très translucide.
Cette exposition s’avère, de plus, délétère la nuit, car elle inhibe la régénération physiologique nocturne des photo-pigments rétiniens contenus dans les photo-récepteurs. Ces pigments sont consommés le jour pour initier le phénomène de la vision, et régénérés la nuit dans une l’obscurité qui doit être totale. L’homme est bien un être à activité diurne et repos nocturne. »
Le cerveau
« L’horloge interne, située dans l’hypothalamus, pilote les processus biologiques cycliques d’une durée d’environ 24 heures. Elle est sous le contrôle de :
- facteurs génétiques (gènes d’horloge),
- physiologiques (alternance veille-sommeil),
- environnementaux (alternance lumière-obscurité).
La bande bleue du spectre lumineux est la plus active sur l’horloge. Le signal lumineux est transmis à l’horloge puis, après de nombreux relais, à la glande pinéale qui secrète la mélatonine, hormone-clé considérée comme l’aiguille de l’horloge.
L’organisme est synchronisé lorsque cet ensemble fonctionne en harmonie avec l’environnement, c’est-à-dire est exposé à la lumière le jour et à l’obscurité la nuit, l’humain étant un animal diurne.
Lors d’expositions chroniques à la lumière durant la nuit, y compris d’écrans (smartphones, tablettes, ordinateurs), des troubles du rythme veille-sommeil apparaissent en lien avec une désynchronisation de l’horloge interne. »
Écrans la nuit, tard le soir et santé publique
« De nombreux adolescents s’exposent aux écrans, y compris tard la nuit. Les données sur la santé, le vécu scolaire et les comportements préjudiciables pour la santé des élèves de 11, 13 et 15 ans de 45 pays de la région Europe de l’OMS (2), ont révélé que 30 % des adolescents communiquent en ligne, y compris tard le soir avec, pour certains, une véritable addiction à internet ou aux jeux vidéo (3).
Chez ces adolescents, en résulte un sommeil tardif, lié à une augmentation de la vigilance générée par un retard de phase de l’horloge et à une inhibition de la sécrétion de mélatonine, impliquée dans l’endormissement.
En France, alors que les besoins en sommeil de l’adolescent sont d’environ 9 heures par nuit, 14 % des collégiens et 29 % des lycéens dorment moins de 7 heures les jours de classe (4). Une dette de sommeil est présente chez 26 % des collégiens et 43 % des lycéens.
Elle a pour corollaire une fatigue le matin au lever, rapportée par 30 % des collégiens et 40 % des lycéens, et une altération des capacités d’apprentissage liée à une diminution de la vigilance et de l’attention, dont résulte une baisse des résultats scolaires pouvant aller jusqu’au retard scolaire, le travail scolaire étant jugé stressant par 31% d’entre eux.
De plus, sont soulignés les troubles de l’humeur (stress, anxio-dépression) et du comportement avec violence et hyperactivité, ainsi que des perturbations métaboliques (17 % des garçons et 11 % des filles sont en surpoids ou obèses à 11 ans), en lien avec l’inactivité physique et la consommation d’aliments sucrés (2).
Jet-lag social des enfants et adolescents
« Ces enfants et adolescents se trouvent ainsi dans un état de désynchronisation, appelé « jet-lag social », caractérisé par une dissociation dans laquelle :
- le temps biologique (l’horloge interne),
- le temps astronomique (la montre)
sont dissociés de la vie sociale.
La récupération du sommeil durant le week-end ne fait que conforter la désynchronisation de l’adolescent.
Par l’importance de la population concernée et des pathologies qui en résultent, l’exposition chronique des enfants et adolescents à la lumière des écrans durant la nuit est un problème de santé publique (1, 3).
En induisant une phototoxicité rétinienne et une dérégulation du rythme veille-sommeil, source de perturbations du sommeil, de troubles cognitifs et de l’humeur, le mésusage des écrans (smartphones, tablettes) mène à un concentré de pollution lumineuse, délétère pour l’adolescent, qui en est un grand utilisateur. »
Références de l’Académie de médecine
3. World Health Organization. WHO Releases New International Classification of Diseases (ICD 11), 2018
Source : Académie nationale de médecine, 8 février 2023
Approfondir le sujet
- Pollution lumineuse et santé publique, Académie de Médecine
- Lumière bleue LED : 3 paramètres à prendre en compte, Jean-Jacques Ezrati et Richard Zarytkiewicz
- Écrans connectés : les filtres lumières bleue sont-ils efficaces pour le sommeil ?
- La pollution lumineuse, rapport d’information n° 769, OPECST
Photo en tête de l’article : adolescent jouant au jeu vidéo devant un écran d’ordinateur le soir, pollution lumineuse pour le sommeil © Fabio Principe, iStock