Pierre Guariche, la lumière domestique des années 50
« Ferme les yeux, vois ». Quelques mots suffisent à Alain Souchon pour ressusciter les années 50 et nous faire ressentir l’Âme fifties. Des vacances au Crotoy, des stars de cinéma, mais aussi quelques objets emblématiques comme la Radiola, la Simca aronde ou la Peugeot 203. Et si l’on poursuit l’exercice de réminiscence apparaîtront sans doute les luminaires domestiques dessinés par Pierre Guariche.
Les luminaires domestiques des Trente Glorieuses
Au lendemain de la guerre, il faut reconstruire des logements et les aménager. Cet élan soutenu par les pouvoirs publics amène une révolution technique dans la création et la fabrication de meubles en série. Un intérêt particulier est apporté à l’éclairage domestique, d’autant que l’électricité se déploie sur tout le territoire et dans toutes les nouvelles habitations.
Entre ingénierie et démarche esthétique, certains designers vont se spécialiser dans la conception de luminaires, comme les frères Castiglioni à Milan. Créatifs et associés à des petites sociétés de fabrication offrant une grande flexibilité, leurs succès illustrent le miracle économique des Trente Glorieuses. Dans le même esprit, l’association entre le designer Pierre Guariche (1926-1995) et l’éditeur Pierre Disderot (1920-1991) va donner naissance à l’une des plus belles collections de luminaires made in France.
Guariche-Disderot, les débuts d’une collaboration fructueuse
Les deux Pierre ont un point commun : tous deux ont été élèves à l’école Breguet formant des ingénieurs en électricité. À la différence de son aîné, Pierre Guariche n’y reste toutefois qu’une année, se réorientant vers les Arts déco. Diplômé en 1949, il débute sa vie professionnelle en concevant déjà des dispositifs d’éclairage. Dès 1952, Pierre Disderot édite ses luminaires nommés G (pour Guariche) suivi d’un nombre correspondant à peu près à l’ordre chronologique de conception. Dans la monographie publiée aux éditions Norma qui lui est consacrée, l’ensemble des luminaires qu’il a conçus est recensé. Certains ont été réédités par Sammode en 2018. Quant aux numéros manquants, ils correspondent probablement à des tentatives non commercialisées.
Le livre présente également de nombreuses illustrations issues de revues de décoration intérieure vantant le confort moderne, mais avec une vision de la vie familiale pas vraiment avant-gardiste. S’il faut bien être éclairé, c’est pour que le père lise son journal dans le canapé et pour que la mère puisse faire manger sa progéniture. Et pour qu’une Brigitte Bardot – pas encore star et sagement assisse sur son lit – effile une pelote de laine.
Luminaire G1 et principes de l’éclairage domestique
Parmi la production prolifique de 1952, le luminaire G1 est déjà un coup de maître cochant tous les principes de l’éclairage domestique sur lesquels Pierre Guariche a réfléchi.
- Des abat-jour avec une signature lumineuse empêchant de voir la source de lumière en direct.
- Une ambiance lumineuse générale par éclairage indirect et une lumière directive pour accomplir des tâches précises.
- La lumière est facilement amovible sans pour autant nécessiter de déplacer l’ensemble du luminaire.
- Un luminaire déclinable selon les usages en applique, en suspension ou sur pied.
Pour les abat-jour, Pierre Guariche avait d’abord opté pour du bristol translucide avec une forme diabolo permettant les éclairages indirect et direct. On les retrouve sous diverses variantes éditées la même année 1952 pour un luminaire sur pied pourvu d’un contrepoids (G2), ou pour des appliques (G11, G17 et G22).
La version G1 est équipée de deux réflecteurs métalliques. Le plus étroit pour l’éclairage indirect est percé à sa base pour l’évacuation de chaleur. Le plus évasé sert pour l’éclairage direct et reprend les percements, cette fois par choix esthétique. Une pièce en aluminium ouverte en son centre vient se fixer sur la surface externe de l’ampoule. Ce cache ampoule permet de ne pas perdre cette lumière en la redirigeant vers le réflecteur. Les deux abat-jour sont reliés par une rotule à une tige, avec un contrepoids à son extrémité. Aux deux tiers de la longueur, une seconde rotule permet d’adapter le luminaire en ses différentes variantes.
Mobile et cerf-volant, poétique du luminaire
Certains principes sont repris pour le luminaire G23, mais cette fois les deux réflecteurs sont dissociés et leurs formes inversées – le plus étroit étant utilisé comme liseuse. L’ensemble est composé comme un véritable mobile avec un calcul précis du contrepoids permettant la stabilité des deux bras, quel que soit l’écartement souhaité.
Pierre Guariche a également conçu des luminaires plus fonctionnels. Mais la postérité retiendra sans doute ceux à vocation poétique comme l’applique G25, également appelée « cerf-volant ». Placée dans un cône, la source de lumière éclaire à la fois vers le bas et vers le haut sur un déflecteur ouvert en son centre. La lumière indirecte est ainsi fragmentée entre la réflexion sur le plafond et celle sur le voile ondulant.
Atelier de recherches plastiques de Guariche-Mortier-Motte
En 1954, Pierre Guariche s’associe à deux autres designers, Michel Mortier et Joseph-André Motte, pour former l’ARP (Atelier de recherches plastiques). Il s’agit d’une agence en aménagement et architecture intérieure ainsi qu’en création de mobilier de série. L’originalité de cette association réside également dans la collaboration entre trois éditeurs optant pour une communication commune : Steiner pour les sièges, Minvielle pour les meubles et Disderot pour les luminaires.
La nomenclature attribue la lettre E pour les créations de l’ARP et la lettre R pour les luminaires utilisant le Rotaflex – matériau translucide – comme diffuseur. Lampes à poser et objets lumineux, de nombreux modèles non amovibles sont conçus pendant cette période et contrastent étonnamment avec les luminaires précédents de Guariche. Après trois ans seulement, l’ARP s’arrête, les carrières personnelles des designers prenant le dessus.
La fin d’une décennie pour l’éclairage domestique
Les années 50 se terminent et Pierre Guariche dessine ses dernières lampes à poser, diffusant la lumière à travers une tôle perforée ou un plexiglas opalescent. Les décennies suivantes, il s’oriente vers l’installation intérieure et tend à faire disparaître les luminaires en tant qu’objets. La lumière devient plus intégrée à l’habitation.
Aujourd’hui, l’intérêt pour l’éclairage domestique est moindre. Avoir une lumière amovible, respecter l’équilibre entre un éclairage général et un éclairage d’appoint, il serait pourtant bon de réintroduire dans nos maisons quelques préceptes des années 50…
Livres de référence autour de Pierre Guariche
Pierre Guariche
- Auteurs : Lionel Blaisse, Delphine Jacob, Aurélien Jeauneau
- Monographie
- Prix public : 65 €
- Editions Norma
Robert Mathieu, rational lighting, luminaires rationnels
- Auteur : Pascal Cuisinier
- Monographie
- Prix public : 90 €
- Editions Pascal Cuisinier, Silvana Editoriale
Photo en tête de l’article : Luminaires G1 de Pierre Guariche, réédition Sammode © Morgane Le Gall