Quand la lampe à huile faisait sa révolution
Avec sa lampe à incandescence, Edison invente un usage, l’éclairage électrique ne nécessitant plus ni entretien régulier ni remplacement quasi quotidien, contrairement à la lampe à huile. Et même s’il a fallu plusieurs décennies pour acheminer l’électricité dans le moindre village, la transformation fut inexorable. L’éclairage domestique n’a plus connu depuis une telle rupture d’usage. Les améliorations des lampes à incandescence et à halogène, les lampes fluocompactes, et même les LED… Chaque nouvelle lampe est vendue comme une lampe de substitution des technologies qui la précèdent. Les performances affichées – en particulier la moindre consommation électrique – sont invisibles, sauf à regarder de près sa facture d’électricité. Et encore, sur un poste de consommation d’énergie bien moindre que celui relatif au chauffage.
Immuables lampes à huile
Avant la lampe électrique, l’histoire est un peu la même. Face aux immuables chandelles, bougies et lampes à huile, la mémoire collective a oublié les améliorations obtenues en éclairage domestique. Celles apportées par la lampe d’Argand à la fin du XVIIIe siècle sont sans doute les plus marquantes.
Mais revenons aux origines des lampes à huile. Elles apparaissent dès le paléolithique supérieur pour l’éclairage des grottes. Un réceptacle (parfois juste une anfractuosité du relief) contient de la graisse animale fondue. Des fibres végétales servent de mèche et nécessitent une surveillance constante afin qu’elles ne tombent pas dans la graisse.
À partir de l’Antiquité, les lampes à huile se sont diversifiées par :
- leurs matériaux – pierre, terre cuite, métal,
- leurs formes – ouvertes, fermées avec un ou plusieurs becs pour accueillir des mèches,
- la nature du combustible – graisse animale, huile minérale ou végétale,
- leur usage – lampe mobile, lampe à pied ou suspendue.
Mais le principe de fonctionnement n’a pas fondamentalement changé.
Triple innovation des lampes d’Argand
Au XVIIIe siècle, les lampes à huile sont toujours utilisées pour l’éclairage domestique, mais elles souffrent de deux défauts principaux.
- L’huile trop visqueuse a du mal à monter régulièrement sur la mèche par capillarité. L’éclairage est irrégulier et peut créer de la fumée.
- La mèche a tendance à charbonner, ce qui nécessite de l’entretenir fréquemment afin qu’elle ne s’éteigne pas.
La première innovation est proposée en 1780 par le chimiste français Joseph Louis Proust. La lampe à réservoir latéral, ou lampe à niveau constant, repose sur le principe des vases communicants. Un tube fin permet à l’huile de s’écouler lentement de ce réservoir à la mèche, celle-ci étant toujours alimentée au même niveau.
Deux ans plus tard, le chimiste genevois Ami Argand apporte des améliorations décisives à la lampe de Proust. Il invente ce qu’il appelle un bec « à double courant d’air », qui consiste en deux cylindres creux métalliques emboîtés l’un dans l’autre et entre lesquels on place une nouvelle sorte de mèche, elle aussi cylindrique. Ce système ingénieux permet une « double » oxygénation de la flamme par l’air à l’extérieur et à l’intérieur de la mèche cylindrique. La combustion est plus complète : il n’y a plus de fumée. La lumière produite est aussi plus intense. Ami Argand va enfin placer une cheminée cylindrique en tôle, puis en verre, entourant à la fois la mèche et la flamme. Il obtient ainsi un tirage de la flamme et une lumière encore plus intense.
Inventée par Argand et nommée par Quinquet
Le succès de cette lampe révolutionnaire est immédiat en France et en Angleterre. Revers de la médaille, les contrefaçons se multiplient. Malgré deux procès victorieux, Argand ne peut empêcher l’usurpation de son invention par Antoine Quinquet qui, pour la postérité, emporte la mise. Le quatrain suivant résume la situation.
« Voyez-vous cette lampe où, muni d’un cristal,
Brille un cercle de feu qu’anime l’air vital ?
Tranquille avec éclat, ardente sans fumée,
Argand la mit au jour, et Quinquet l’a nommée. »
Il a été « diffusé à l’occasion de la première du Mariage de Figaro (27 avril 1784) au théâtre de l’Odéon », précise Vincent Monnet dans Campus no 125 de l’université de Genève.
Comble de l’imposture, Quinquet devient un nom commun pour désigner une lampe d’Argand. Bien que désuet aujourd’hui, on le trouve encore en 1956 sous la plume d’Aragon, « le bonheur n’est pas un quinquet de taverne », et même au sens figuré pour « œil » comme dans la chanson « Tel qu’il est », interprétée par Fréhel :
« C’est complet, il est muet.
Ses quinquets sont en biais.
C’est un fait que tel qu’il est.
Il me plaît. »
Chanson Tel qu’il est, interprétée par Fréhel
Malgré les contrefaçons, Ami Argand crée une manufacture de lampes avec la bénédiction de Louis XVI. La Révolution française de 1789 marque un rude coup d’arrêt à ses affaires. Mais il a d’autres cordes à son arc et continue à apporter des améliorations à diverses inventions jusqu’à sa mort en 1803.
Éclairage sans ombre
L’inconvénient des lampes Proust, Argand et Quinquet est la position du réservoir qui masque une partie de la lumière émise par la flamme. À partir de 1810, des modèles sont proposés pour éviter ces effets d’ombres, notamment en plaçant le réservoir sur la partie supérieure, autour du brûleur. Ces lampes à pied vont marquer le style (on ne parlait pas encore de design) des intérieurs de l’époque.
Autre approche plus sophistiquée, Bertrand Guillaume Carcel place cette fois le réservoir dans la partie inférieure. Un mécanisme d’horlogerie, qu’il suffit de remonter de temps en temps, actionne une petite pompe immergée dans le réservoir qui achemine l’huile de colza vers la mèche. Onéreuse et fragile, elle est réservée à une clientèle huppée. La quantité d’huile consommée pouvant être précisément quantifiée, elle va toutefois convaincre les métrologues français de la choisir comme source étalon. Durant un court temps (de 1880 à 1884), le carcel devient la nouvelle unité de l’intensité lumineuse valant environ 10 bougies en anciennes unités.
À l’origine de l’éclairage du XIXe siècle
La force des innovations de la lampe d’Argand se mesure dans leur utilisation pour d’autres lampes tout au long du XIXe siècle. Au début du siècle apparaît l’éclairage au gaz. Parmi les nombreux becs à gaz, celui de type Argand est un bec à trous circulaires disposés en couronne. La flamme formée est ainsi cylindrique et profite du double courant d’air, comme son équivalent pour la lampe à huile.
À partir de 1860, le « pétrole lampant » est utilisé comme combustible dans une lampe d’Argand. Plus volatile que les huiles végétales, le pétrole va monter le long de la mèche par simple capillarité sans avoir recours aux mécanismes complexes précédemment décrits. Les lampes à pétrole remplacent rapidement les lampes à huile.
Dernier soubresaut dans l’histoire des lampes à huile : l’invention par l’Autrichien Carl Auer von Welsbach des manchons à incandescence dans les années 1890. Il obtient de fortes luminosités en dissociant pour la première fois la production de chaleur par combustion et l’émission de lumière par incandescence du manchon. Le bec Auer est l’association du manchon incandescent à un bec Bunsen à gaz. Adapté sur une lampe à pétrole, on obtient ce que l’on appelle une lampe à pression.
Mais cette innovation pour un usage à grande échelle arrive trop tardivement. La lampe électrique d’Edison a déjà commencé à s’imposer pour l’éclairage domestique.
Approfondir le sujet
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- Inventions de sources d’éclairage, Phozagora
- Figuier –Les Merveilles de la science, 1867 – 1891, Tome 4, Wikisource
- Éclairage, chauffage et eau aux XVIIe et XVIIIe siècles, livre de Stéphane Castelluccio, Eyrolles
Photo en tête de l’article : portrait de James Peale, réalisé en 1822 par Charles Willson Peale – lampe à huile Argad – Bridgeman Art Library, Founders Society purchase and Dexter M Ferry Jr fund © Charles Willson Peale
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