Revoir van Eyck au musée du Louvre
Il n’y a pas que La Joconde au Louvre. Si elle attire moins de visiteurs que la célèbre Mona Lisa, La Vierge du chancelier Rolin n’en est pas moins considérée comme un chef-d’œuvre de la peinture occidentale. Elle est l’œuvre de Jan van Eyck qui, quelques décennies avant Léonard de Vinci, va perfectionner la technique de la peinture à l’huile. Le peintre a superposé de fines couches de peinture appelées glacis afin de moduler les couleurs et de rendre avec réalisme les ombres, les reliefs ou les effets de matière. Après avoir traversé ces couches translucides, la lumière est diffusée par la préparation blanche sur laquelle elles ont été appliquées. Tel un vitrail, les glacis filtrent la lumière qui semble ainsi provenir de l’arrière du tableau.
Jan van Eyck nous place face à la Vierge
Presque carré, le tableau étonne d’abord par la précision des détails par rapport à ses dimensions assez modestes (66 cm x 62 cm), qui rappelle l’art de l’enluminure.
À notre droite, une Vierge à l’Enfant couronnée par un ange. À notre gauche, le chancelier Rolin en prière. Homme politique majeur au service du duc de Bourgogne Philippe le Bon, Nicolas Rolin fut le commanditaire de ce tableau de dévotion qu’il pouvait sans doute emporter dans ses nombreux déplacements. Pas de méprise, le chancelier ne s’estime pas au niveau de la Vierge. Le chapiteau au-dessus de lui représente des épisodes bibliques évoquant des péchés bien terrestres, comme une mise en garde. Face à La Vierge de Lucques, prêtée pour la première fois par le Städel Museum de Francfort, le visiteur est placé dans une position proche de celle du chancelier Rolin.
La composition de La Vierge du chancelier Rolin est structurée par la convergence des lignes de fuite au centre du tableau. Une perspective bien maîtrisée qui semble aller à l’encontre du prétendu retard des primitifs flamands sur ces questions par rapport aux peintres italiens. Cette impression est confirmée en 2021 par le chercheur Gilles Simon. En analysant numériquement plusieurs œuvres de van Eyck, ce spécialiste de la vision par ordinateur affirme que le peintre a probablement fabriqué un dispositif optique pour construire les perspectives de ses peintures.
Revoir Paris
Le titre de l’exposition Revoir van Eyck est une invitation à redécouvrir le tableau restauré pour la première fois. Était-ce voulu par Sophie Caron, commissaire de l’exposition ? Ce titre semble aussi être un clin d’œil à la chanson Revoir Paris de Charles Trenet. Pourtant, les liens entre van Eyck et Paris sont ténus. En 1435, date estimée d’exécution du tableau, la France ne ressemble pas vraiment à notre Hexagone actuel.
Certes, l’épopée de Jeanne d’Arc et le sacre de Charles VII à Reims en 1429 ont marqué un tournant décisif dans la guerre de Cent Ans. Mais Paris est toujours occupée par les Anglais et n’est plus le centre économique et culturel qu’elle était un siècle plus tôt.
Entre les tours de Bruges et Gand
Pour (re)voir van Eyck, il faut plutôt aller sur les terres de Philippe le Bon, et plus précisément entre les tours de Bruges et Gand. Commençons à Gand, où le monumental polyptyque de l’Agneau mystique réalisé par les frères van Eyck se déploie à l’étroit dans l’ancien baptistère de la cathédrale Saint-Bavon.
Débutée en 2012, la restauration partielle du polyptyque a fait l’objet d’une exposition en 2020, prématurément interrompue par le confinement lié au covid. Les visiteurs chanceux ont pu admirer les panneaux restaurés avec une proximité inédite.
Jan van Eyck est sans doute encore plus associé à la ville de Bruges. Reliée à la mer du Nord et aménagée de nombreux canaux, Bruges constituait alors l’une des places commerciales et financières parmi les plus importantes d’Europe. Au musée Groeninge, La Vierge au chanoine Van der Paele constitue un autre chef-d’œuvre de van Eyck. Si le tableau partage de nombreux points communs avec La Vierge du chancelier Rolin, ses dimensions sont très différentes : 141 cm x 176 cm, mais il existe toujours la même précision dans les détails à des échelles submillimétriques.
La Vierge d’Autun
La Vierge du chancelier Rolin est arrivée à Paris en 1800. Elle intègre les collections du Louvre, récemment transformé en musée. Aujourd’hui encore dénommé Vierge d’Autun, le tableau a été conservé pendant plus de 350 ans dans la ville bourguignonne, au sein d’une chapelle de l’église Notre-Dame-du-Châtel, démolie à la Révolution. Au niveau du chœur de l’ancienne église, les archéologues ont découvert le tombeau de Nicolas Rolin en 2020. Le chancelier garda un attachement fort pour sa Bourgogne natale. En 1441, il fonde les hospices de Beaune avec sa femme Guigone de Salins. Ils sont représentés comme donateurs sur le polyptyque du Jugement dernier de Rogier van der Weyden, autre monument de la peinture flamande. Au XIXe siècle, les panneaux du retable ont été sciés dans leur épaisseur pour en exposer à la fois l’envers et l’endroit.
Le traité d’Arras
Parmi les mystères que renferme La Vierge du chancelier Rolin, l’identité des deux petits personnages observant le paysage reste largement débattue. Celui avec le turban rouge est probablement le peintre lui-même. Ne s’est-il pas déjà représenté dans le reflet du miroir convexe des Époux Arnolfini (à la National Gallery de Londres) ? D’autres aimeraient donner une dimension géopolitique au tableau : une rencontre au sommet entre Charles VII et Philippe le Bon contemplant la paix retrouvée entre Français et Bourguignons grâce au traité d’Arras signé en 1435. Côté bourguignon, le chancelier Rolin était à la manœuvre, et van Eyck sûrement présent. Le peintre avait en effet également un rôle d’ambassadeur auprès du duc de Bourgogne.
Après dix-neuf ans d’occupation anglaise, Charles VII revoit Paris en 1437, mais ne s’y installe pas, préférant le Val de Loire. C’est en roi victorieux qu’il est représenté par Jean Fouquet. Un portrait de trois quarts à la peinture à l’huile selon les usages des primitifs flamands. Conservé à la Sainte-Chapelle de Bourges, il intègre le Louvre en 1838, quelques décennies après la Vierge d’Autun. La guerre civile franco-bourguignonne est alors définitivement oubliée, et le centralisme culturel durablement établi !
Infos pratiques
- Revoir van Eyck, La Vierge du chancelier Rolin.
- Musée du Louvre.
- Aile Sully, 1er étage, salle de la chapelle.
- Du 20 mars au 17 juin 2024.
Approfondir le sujet
Livre : Jan van Eyck, Als Ich Can
- Auteur : Ludovic
- Éditeur : Presses universitaires du Septentrion, 2021.
- 288 pages.
Exposition : autour de Charles VII
- Les arts en France sous Charles VII, 1422-1461.
- Musée de Cluny, Musée national du Moyen Âge.
- Du 12 mars au 16 juin 2024.
Approfondir le sujet
Lieu
- Musée du Louvre
- Paris, France
Bravo pour ce texte excellent. Mady