La ville idéale en France est-elle une smart city durable ?
Face à la pandémie, le confinement et ses conséquences, chacun se pose des questions. Contraint de passer plus de temps chez lui, le citadin (re)découvre son intérieur. La ville alors tant appréciée pour sa diversité et son progrès semble soudainement plus menaçante. L’exiguïté, le bruit, la pollution, le manque de naturel, l’anonymat et toutes les névroses qui en découlent prennent toute la place. En attendant, on se tourne alors vers la campagne. Mais n’est-il pas temps de repenser la cité pour qu’elle devienne agréable ? Quelle est la ville idéale en France ?
Ville idéale, de la Renaissance au projet utopique
L’architecture de la Renaissance est plus connue que son urbanisme. Pourtant, cette période posa les fondements d’une organisation raisonnée de la ville. Contre le tissu bigarré des cités médiévales, la grille s’impose. Le public prend le pas sur le privé pour satisfaire des règles harmoniques et exprimer le pouvoir du souverain.
Une géométrie stricte qui inspirera le classicisme de Versailles ou de Saint-Germain-en-Laye. La ville idéale se traduit dès lors par des axes majeurs venant domestiquer la nature et raser des quartiers comme le Paris d’Haussmann ou le plan Voisin de Le Corbusier l’ont imaginé.
D’autres villes (re)naissent sous l’impulsion de figures emblématiques telles que Vitry-le-François et Le Havre. Avec des systèmes urbains clairement identifiés, elles se développent de manière rapide et efficace. Mais cette logique productiviste connaît des limites quand on observe les projets utopiques trop isolés de Claude-Nicolas Ledoux ou de Charles Fourier.
« Si, selon la maxime des philosophes, la cité est une très grande maison, et si inversement la maison elle-même est une toute petite cité, pourquoi ses membres ne seraient ils pas à leur tour considérés comme de petits logis. »
Léon-Battista Alberti, De Re Aedificatoria, L.I,Ch.9, 1452
Ville nouvelle et architecture de dalle
Les années 1960 marquent l’histoire de l’urbanisme français vers une ville plus agréable. Pour remplacer des habitations précaires et maîtriser leur développement, la « ville nouvelle » voit le jour. Avec des outils de planification, ce statut permet une réflexion à grande échelle pour organiser le territoire.
Neufs nouvelles villes sortent de terre autour de Paris mais aussi dans d’autres régions de l’hexagone : Villeneuve-d’Ascq, L’Isle-d’Abeau, Nord-Ouest de l’étang de Berre, Vaudreuil, Cergy-Pontoise, Évry, Saint-Quentin-en-Yvelines, Marne-la-Vallée et Sénart.
Transports, centres commerciaux, campus et curiosités architecturales tentent de créer de nouveaux pôles résilients. On y réinterroge les principes de la ville : des circulations devenues aériennes jusqu’aux noms des rues anhistoriques. L’architecture de dalle qui remplace les traditionnels cœurs historiques est entourée par des îlots de logements possédant chacun leurs services. Une autonomie qui généra des isolements alors tant décriés de nos jours. Cependant, ces lieux figés dans une image désuète de la modernité proposent des diversités culturelles, cultuelles et urbanistiques pertinentes favorisant le « vivre ensemble ».
Smart city et ville intelligente
Smart city : anglicisme qui exprime un modèle mondialisé. Terme qui fait rêver ceux qui placent leurs espoirs dans les technologies de l’information et de la communication. Après les films de science-fiction, la ville voit les gadgets se démultiplier. L’idée est d’améliorer économie, mobilité, environnement, modes de vie et administration au sein d’une gestion optimisée. L’ubiquité semble alors possible et l’espace se veut de plus en plus interactif avec les citadins devenus des usagers.
Tendant vers une homogénéisation des métropoles, le citoyen du monde peut accéder à de nombreux services instantanément. Une approche égalitaire séduisante qui doit être confrontée à d’autres problématiques. En effet, santé publique, pannes, pertes de liens sociaux et des libertés individuelles, fractures numériques, déshumanisation, pollutions des data center et cyberattaques sont autant de limites à cette approche techniciste de la fabrique urbaine. Mais alors, qu’est-ce qu’une ville agréable à l’heure du développement durable ?
Ville verte, développement durable et pensée urbaine
Le développement durable que l’on résume trop souvent par l’écologie doit aussi intégrer la question économique et sociale. Comme pour se racheter, la ville multiplia les démarches écologiques. Parfois trop timides ou accusées de « Greenwahsing », ces dernières doivent cependant être intégrées dans des réflexions longues et à grande échelle. Effectivement, les parterres de rond-points ou le manteau vert que l’on colle sur des projets défectueux ne sont pas viables.
La pensée écologique est encore plus maltraitée quand elle devient un argument de vente ou le sujet d’une compétition entre villes développées. La technologie s’invite parfois en tentant de dompter la nature avec des solutions sophistiquées. Or, réduction des reconstructions et donc des dépenses énergétiques, valorisation des circuits courts et prise de conscience globale de l’état d’urgence d’agir sont les maîtres-mots d’un aménagement durable des villes. Il est peut-être temps de replacer celui qui créa la ville idéale – l’individu – au centre de l’attention. Pouvant répondre à son instinct animal et assurer sa responsabilité d’humain, il est l’avenir de la pensée urbaine.
Ville partagée, humaine et soutenable
Les grandes tentatives de maîtrise de la ville idéale ont conduit à transformer l’expression « ville humaine » en oxymore. En effet, l’habitant, ignoré pendant des années, a perdu son rôle dans le développement de la ville. Pourtant, ce n’est qu’avec une mobilisation collective qu’une qualité de vie sera de retour. Quand P.M. aborde la résilience dans « Voisinages et communs », il cherche à subdiviser l’organisation territoriale en plusieurs unités réduites. Sans parler de repli égoïste indifférent à l’intérêt général, il promeut une valorisation locale. Une densité mesurée qui appelle à l’échange entre voisins pour une meilleur gouvernance. Car si il est facile de se décharger de ses responsabilités sur les gouvernements qui se succèdent, l’action mutualisée est plus complexe.
Pourtant, le citoyen du XXIe siècle a aujourd’hui suffisamment de recul pour faire un constat des expériences passées. La crise mondiale que nous traversons nous rapproche de l’inconnu qui vit juste à côté. La superposition de programmes inclusifs et les collaborations entre différents acteurs de la conception vont dans ce sens. Et si le progrès de demain consistait à traduire « sustainable » par soutenable et non plus que par durable. Sans régresser, la Cité grecque ou le modèle médiéval ne pourraient-ils pas nous inspirer de nouveau ? Faire enfin en sorte que la ville soit « ouverte aux citoyens du monde entier » comme le mot cosmopolite le signifie.
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Photo en tête de l’article : « Un Cercle immense » en construction, Saline royale, Arc-et-Senans, France – vue aérienne © Leo Guyot, 21/02/2021
Livres
Lumières sur la ville, une histoire de l’éclairage urbain, Agnès Bovet-Pavy
De la première lanterne royale au Li-Fi, un livre inédit, documenté et illustré sur la vie nocturne. Lumières sur la ville, histoire de l’éclairage urbain. |
La lumière urbaine, éclairer les espaces publics, de Roger Narboni
Livre fondateur du métier de concepteur lumière en France. La lumière urbaine, éclairer les espaces publics, de Roger Narboni. Une référence collector. |
Night studies, regards croisés sur la nuit
Nuit, histoire, perceptions, représentations, activités, espace public, nuits d’ailleurs, populations, mise en lumière, poésie, prospectives. Night studies. |
Bel article bravo