Anna-Eva Bergman fait briller l’abstraction
Du 31 mars au 16 juillet 2023, le musée d’art moderne de Paris présente la première grande rétrospective de l’artiste norvégienne Anna-Eva Bergman. Depuis quelques années, les institutions muséales tentent de se faire pardonner les décennies d’invisibilisation des artistes femmes. Et pour l’art abstrait, il y a encore beaucoup à faire tant des artistes majeures comme Bergman sont largement méconnues du grand public.
Anna-Eva Bergman sans Hans Hartung
Les commissaires d’exposition se confrontent à un dilemme supplémentaire dans le cas assez fréquent des couples d’artistes. Il y a un an et demi, le musée d’art moderne de Paris avait opté pour une exposition consacrée au couple Anni et Josef Albers, formé – dans tous les sens du terme – au Bauhaus. Ici, les œuvres d’Anna-Eva Bergman sont exposées sans évoquer les travaux de Hans Hartung, représentant de l’art abstrait et précurseur des avant-gardes de l’après-guerre. Un choix judicieux qui permet de sortir la peintre norvégienne de l’ombre de son célèbre mari, et de rendre justice à sa démarche artistique très personnelle.
Anna-Eva Bergman (1909-1987) et Hans Hartung (1904-1989) se sont rencontrés puis rapidement mariés à Paris en 1929. Après quelques années de bohème désargentée et sans enfant, Anna-Eva le quitte en 1938. Ils divorcent et ne se voient plus pendant 15 ans. Ils se croisent à nouveau en 1952 lors d’une rétrospective de Julio Gonzalès, le beau-père de Hans… au musée d’art moderne de Paris ! Ils ne se quitteront plus. Ils se remarient et font construire une villa atelier à Antibes qui deviendra après leurs morts en 1994 la fondation Hartung-Bergman. Ouverte à la visite du public depuis 1 an, la fondation a beaucoup contribué à cette rétrospective.
Malgré leur compagnonnage artistique très fort, Hans et Anna-Eva n’ont jamais créé ensemble. A l’action painting d’Hartung répond la pose méticuleuse de feuilles métalliques de Bergman : deux pratiques et deux visages de l’abstraction.
De la caricature à l’abstraction
C’est donc débarrassée des anecdotes biographiques du couple que l’exposition présente le cheminement artistique d’Anna-Eva. Avant d’être cette peintre de l’abstraction, elle fut reconnue pour ses talents d’illustratrice et de caricaturiste pour la presse. Elle pratiqua cette activité pendant 25 ans avant de renier ce gagne-pain qui l’éloignait de la peinture. La rétrospective passe sans transition aux années 1950. L’artiste a 40 ans et a effacé toute représentation humaine de ses œuvres. Cette ellipse ne doit pas masquer le long cheminement rempli d’expérimentations qu’elle a mené les années précédentes.
La nature comme source d’inspiration
En 1950, Anna-Eva entreprend seule un voyage dans le Finnmark, région du nord de sa Norvège natale, qui va la bouleverser. L’expérience du soleil de minuit, les iles telles des rochers géants surnageants de l’eau, cette nature imposante va l’inspirer. Elle s’oriente vers ce qu’elle appelle « l’art d’abstraire ». Montagne, rocher, vallée, fjord… les noms que Bergman donne à ses tableaux témoignent de ce l’on peut entendre comme un art d’extraire l’essence d’un paysage. Cette démarche d’extraction et de simplification l’amène à choisir l’horizon comme thème de ses peintures avec des compositions rappelant celles du peintre américain Rothko qu’elle admire.
L’usage des feuilles métalliques, qu’elles soient d’or, d’argent, de cuivre ou d’aluminium, lui permet d’atteindre de forts contrastes en luminosité, et de traduire des reflets changeants et plus généralement des sensations jusqu’alors peu explorées dans l’art abstrait. Le feu, le soleil, l’océan et ses vagues, la pluie, des paysages lunaires… L’art de Bergman tend vers la cosmologie.
Des reflets difficiles à reproduire
Comment expliquer le décalage entre la force évocatrice de l’œuvre d’Anna-Eva Bergman et la méconnaissance de celle-ci par le grand public. Outre l’invisibilisation des artistes femmes évoquée ci-dessus, une raison technique peut également être avancée. Il est difficile de reproduire correctement les reflets sur une feuille métallique, qui constituent la signature des peintures de Bergman. Et une œuvre non reproduite est une œuvre oubliée.
Eclairer une peinture d’Anna-Eva Bergman est donc un défi que ce soit à l’intention d’un photographe ou d’un visiteur du musée. Pour l’exposition, un éclairage uniforme a été raisonnablement choisi pour les grands formats : de belles photos assurées ! Mais pour apprécier les subtiles variations de la lumière réfléchie sur les feuilles métalliques, il faut observer des peintures plus petites. Quand le regard devient rasant, les reflets étincelants se ternissent jusqu’à s’éteindre. Comme pour les peintures de Pierre Soulages, il faut se déplacer autour des œuvres d’Anna-Eva Bergman pour en saisir l’émotion. Une seule solution : voir ses peintures « en vrai ». Et pour commencer au musée d’art moderne de Paris jusqu’au 16 juillet 2023.
Infos pratiques
- Musée d’art moderne de la Ville de Paris
- Première grande rétrospective de l’artiste norvégienne Anna-Eva Bergman
Lieu
- Musée d'Art Moderne de Paris
- Paris, France
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