Interview

Christine Badinier, de l’éclairage à la conception lumière

L’éclairage en architecture et la conception lumière du patrimoine. Rencontre avec Christine Badinier, conceptrice lumière et directrice de l’agence LEA à Lyon.
21 janvier 2025

Quel a été ton parcours de formation jusqu’à la lumière ?

Christine Badinier : Je suis architecte DPLG – diplômée par le gouvernement – de l’école d’architecture de Lyon. Durant ma dernière année d’études, il ne me restait plus qu’un certificat à obtenir. Je l’ai fait à l’ENTPE de Lyon parce que l’école d’architecture préparait son déménagement à Vaulx-en-Velin. C’est une collaboration similaire à celle entre l’INSA et l’Ecole d’archi de Lyon afin de rapprocher ingénieurs en génie civil et futurs architectes. J’ai ainsi eu l’occasion de travailler au Laboratoire des Sciences de l’Habitat (LASH), où j’ai rencontré Marc Fontoynont. C’est là que j’ai commencé à étudier la lumière naturelle.

Comment les maquettes étaient-elles utilisées en éclairage ?

Christine Badinier : Marc Fontoynont se concentrait sur les contrats européens. Il recherchait des personnes pour réaliser des maquettes d’architecture. Pour l’un de ses projets, il m’a contactée un été pour me proposer de participer à l’élaboration de maquettes à l’échelle 1/10. Ces maquettes avaient pour but d’étalonner les logiciels de simulations d’éclairage développés au LASH par rapport à la réalité. Les maquettes permettent de mesurer le facteur du jour, rapport entre lumière extérieure et intérieure par ciel couvert, comme si on était dans le bâtiment. Ce fut ma première expérience concrète en éclairage architectural.

ENTPE – École nationale des travaux publics de l’Etat de Lyon, Vaulx-en-Velin, France – Architecte Jacques Perrin-Fayolle – Façade en béton du bâtiment © David M., Panoramio, Wikipédia

Quand es-tu partie en Espagne ?

Christine Badinier : Une fois mon diplôme d’architecte obtenu, j’ai passé un an à Barcelone grâce à un contrat d’études de la région Rhône-Alpes, jumelée à la Catalogne, bien avant l’existence d’Erasmus. Mon séjour était financé par une sorte de bourse française et était concentré sur des projets européens, incluant des études sur l’ensoleillement et la lumière naturelle.

Comment es-tu revenue en France ?

Christine Badinier : Je suis revenue à Lyon, où Marc envisageait de créer son entreprise pour développer l’éclairage de manière innovante. Il a collaboré avec le bureau d’études Girus à Villeurbanne que j’ai intégré pour travailler sur l’éclairage et développer une antenne éclairage. Par la suite, j’ai croisé la route de Laurent Fachard grâce à des projets communs, notamment des diagnostics pour des centres commerciaux.

 

 

En quoi consistaient ces diagnostics pour des centres commerciaux ?

Christine Badinier : Nous faisions des diagnostics en nous concentrant sur l’éclairage, passant de la lumière naturelle à la lumière artificielle. Nous explorions les grandes surfaces, comme les supermarchés, pour comprendre leurs sources de lumière naturelle, comme les ouvertures zénithales. Nous mesurions également l’éclairage artificiel, avec l’intervention de Laurent sur cette partie, niveaux d’éclairement, températures de couleur, sources…

Centre commercial Megamall de Rabat, Maroc – Conception lumière : CMN – Photo : Iokern79 – Tripadvisor

Comment as-tu commencé à travailler en tant qu’indépendante ?

Christine Badinier : Je suis partie vivre à Paris pour suivre mon futur conjoint et j’ai commencé à travailler à mon compte. Laurent m’a sollicitée pour plusieurs projets, dont des diagnostics d’éclairage naturel et artificiel sur des sites comme le Palais des Papes et le Mont-Saint-Michel. Par la suite, nous avons aussi analysé l’éclairage de la gare du Nord, améliorant ainsi mon expertise en lumière artificielle.

Quel a été ton premier projet d’éclairage urbain ?

Christine Badinier : Laurent m’a proposé de participer au diagnostic d’un projet d’aménagement pour la future ligne de tramway à Nice. Malgré mes doutes sur mes compétences pour mener un projet d’une telle envergure, j’ai accepté et travaillé conjointement avec lui. Ce fut un projet vraiment formateur.

Pendant cette période, je jonglais entre Paris, Nice et Lyon, et parfois je ne savais plus où était garé mon véhicule entre l’aéroport et la gare. Cet épisode reflète bien les défis logistiques et personnels que l’on peut rencontrer dans des projets urbains d’une telle envergure.

Quand es-tu retournée à Lyon ?

Christine Badinier : Je suis retournée à Lyon en 2001 pour m’installer et « m’imposer » chez Laurent Fachard, d’abord en freelance. Au début, je n’étais pas directement impliquée dans les projets, mais progressivement, à force d’apprendre, j’ai eu plus de responsabilités jusqu’à prendre en charge certains projets dont l’éclairage du quartier de la Duchère par exemple. Laurent savait partager ses convictions. Nous partagions des visions similaires, ce qui m’a permis de progresser dans l’entreprise. J’y suis salariée depuis 2006.

Parc du Vallon, boulevard de la Duchère, Lyon, France – Paysagiste : ILEX Paysage – Concepteur lumière : LEA © Vincent Laganier,

Que Laurent Fachard t’a-t-il appris ?

Christine Badinier : J’ai appris à faire un projet construit, à poser les bases de la réflexion, non seulement technique, mais aussi dans la pensée lumière, avec une grande rigueur, et une construction propre du projet d’éclairage qui réponde aux besoins. J’ai appris à construire un projet lumière comme on construit un bâtiment. On pose les fondations, la lumière principale, fonctionnelle, puis une lumière secondaire d’ambiance ou d’accentuation. C’était la bible de départ du projet que l’on perpétue encore chez LEA.

Malgré son caractère pas toujours facile à vivre, Laurent pouvait être généreux. Nous avions accès à de très beaux projets. Grâce à tout ce que j’ai appris chez Les éclairagistes associés, progressivement, j’ai fait ma place et suis devenue un « pilier » de l’agence.

Quels sont les projets préférés de ta carrière ?

Christine Badinier : Le projet de la place Morgan à Salon-de-Provence. J’ai collaboré avec l’agence Alain et Sonia Marguerit de Montpellier. C’est un plaisir de travailler avec des personnes qui partagent leur savoir, leur culture, leur analyse du site. Le projet a impliqué une longue période de réalisation, intégrant une réflexion sur l’histoire de la ville. C’est un projet complet avec mise en valeur urbaine, paysagère et architecturale. L’utilisation de projecteurs à changement de gobo et de couleur était une première pour moi. Il a fallu concevoir des mâts adaptés et réaliser des gobos pour chaque événement de la ville.

Place Morgan, Salon-de-Provence, France – éclairage urbain – Paysagiste Alain et Sonia Marguerit – Concepteur lumière Laurent Fachard, Christine Badinier © LEA – Les Éclairagistes Associés

Christine Badinier : Sur le projet inspirant des Terrasses Boieldieu à la Défense, j’ai collaboré avec Empreinte, une agence de paysage lilloise. Luca Olivreau a conçu les bancs en béton comme des étages de bureaux. De mon côté, j’ai dessiné les mâts d’éclairage sur lesquels j’ai empilé des luminaires. Ce fut un défi technique important, notamment dans l’intégration de l’éclairage dans les bancs, idée de Laurent que j’ai mise en œuvre avec succès.

Mobilier éclairage urbain, Terrasses Boieldieu, Paris La Défense – Paysagiste Empreinte – Concepteur lumière Laurent Fachard, Christine Badinier © LEA – Les Éclairagistes Associés

Christine Badinier : À Montauban, j’ai éclairé les allées Mortarieu et de l’Empereur, ainsi que la place Roosevelt. J’ai réalisé dans le cadre de ce projet les mises en lumière de plusieurs bâtiments emblématiques de la ville, dont La Poste. La maire voulait rivaliser avec l’éclairage de Toulouse et s’inspirer de Carcassonne pour l’éclairage de mise en valeur architecturale.

Place Roosevelt, Montauban, France – Architecte paysagiste Dessein de Ville – éclairage urbain – Concepteur lumière Laurent Fachard, Christine Badinier © LEA – Les Éclairagistes Associés

Comment l’agence LEA a-t-elle éclairé le palais de l’Élysée ?

Christine Badinier : Je me souviens, c’était pendant la fête des Lumières, j’étais sur la grande roue avec mes enfants lorsque Laurent m’a appelée pour me dire qu’on avait gagné le concours pour la mise en lumière de l’Élysée. Notre équipe, l’une des trois en compétition, a eu la chance de remporter ce contrat. C’était début décembre et on se préparait pour un gros chantier à réaliser avant Noël. Nous avons développé ce projet ambitieux en répondant rapidement aux exigences strictes du lieu. La conception de ce projet fût un vrai travail d’équipe. Sa réalisation un vrai défi, un travail diurne et nocturne intensif sur 10 jours pour respecter des délais courts. C’est grâce à notre capacité à répondre à un cahier des charges technique précis et à collaborer avec des entreprises pour fournir des produits déjà fabriqués que nous avons relevés ce défi avec succès.

Comment vois-tu l’avenir de la conception lumière ?

Christine Badinier : Notre profession devra s’adapter, inventer de nouvelles manières d’éclairer afin d’adapter nos conceptions aux nouvelles contraintes énergétiques et de respect de la biodiversité. L’avenir de la conception lumière dépendra donc des jeunes. Ils devront innover tout en prenant en compte l’impact environnemental de l’éclairage.

Quai de gare au crépuscule pour prendre le train © Vincent Laganier

Christine Badinier : Par ailleurs et c’est un cri du cœur, il reste encore beaucoup à faire concernant la pollution lumineuse. Malgré certains efforts, je suis toujours aussi en colère vis-à-vis de l’éclairage privé. Les parkings, les zones industrielles ou les espaces ferroviaires sont très souvent suréclairés et leurs éclairages sont mal dirigés. Les LED ont remplacé les projecteurs sodium, certes ils ont réduit leurs consommations énergétiques mais leurs éclairages sont toujours aussi néfastes pour l’environnement.

Comment transmettre ton savoir-faire aux jeunes ?

Christine Badinier : Je consacre actuellement du temps à la transmission de mon savoir-faire aux jeunes de notre agence. Mon rôle consiste à les former dans le domaine de l’éclairage, un domaine qu’ils connaissent peu malgré leur formation en BTS design d’espace, par exemple. Je leur fournis les outils nécessaires, les initie au langage technique et les guide dans la construction et la rédaction de leurs projets. C’est essentiel pour exprimer clairement leurs idées.

Pour quelle raison faut-il savoir écrire ses idées ?

Christine Badinier : Pour s’exprimer clairement, il est crucial que les idées soient bien structurées dans son esprit. Au lycée, les cours de philosophie, de français et les exercices rédactionnels visent à enseigner cette aptitude à écrire. Elle est fondamentale pour articuler professionnellement des idées variées. Cependant, écrire de manière correcte reste compliqué de nos jours.

Qu’en est-il des photos in situ sur un projet ?

Christine Badinier : Parfois, j’hallucine. Les jeunes préfèrent utiliser Street View pour illustrer un document alors qu’ils ont à disposition un reportage photographique de qualité bien supérieure prises sur le terrain. L’informatique est un outil qui ne suffit pas toujours à remplacer l’humain.

Los Angeles, États Unis, installation Urban Light © Chris Burden, Google Street View

Quel est le rôle de la formation continue dans ton métier ?

Christine Badinier : Les formations comme celles de l’ACE, de l’AFE et du Cluster Lumière sont des outils intéressants qui permettent de se tenir à jour. Elles fournissent des outils spécifiques peu connus. En dehors de cela il existe peu de formations techniques approfondies spécifiques à l’éclairage. C’est une lacune dans notre branche.

Quel est le rôle de la directrice d’agence conceptrice lumière ?

Christine Badinier : Mon rôle est de stimuler la créativité, qui est le cœur de notre métier, et de cadrer le processus pour la concrétiser. J’apporte également ma propre expérience pour éviter certaines erreurs fréquentes ou que j’ai moi-même commises.

Pour autant, les associations ou les écoles peuvent aussi contribuer à cette mission de formation. En fin de compte, le rôle du chef d’agence ou du concepteur lumière est de transmettre cette vision plus personnelle aux jeunes recrues afin de créer une dynamique collective qui permette d’innover, de créer des projets sensibles qui résistent à l’usure du temps.

Propos recueillis à Lyon le 29 octobre 2024 par Vincent Laganier

 

 

Approfondir le sujet

Équipe du projet

Concepteur lumière Les Éclairagistes Associés Laurent Fachard Christine Badinier
Laboratoire de recherche LASH - Laboratoire des Sciences de l'Habitat Marc Fontoynont
Paysagiste Alain Marguerit Empreinte Luca Olivreau ILEX Paysage
Architecte Dessein de Ville
Artiste Chris Burden

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Fondateur de l'agence de relations publiques LZL Services depuis 2023. Son thème : la lumière et l’éclairage. Rédacteur en chef et éditeur du portail français n°1 Light ZOOM Lumière depuis 2012. Architecte diplômé de l’École nationale supérieure d’architecture de Nantes. Éclairagiste urbain de 1997 à 2013 en Europe. Auteur de huit ouvrages de référence sur la ville, le bâtiment et le millénaire. Enseignant sur l'histoire de la conception lumière à l’ENSA Nantes et à l'éclairage dans l'art contemporain à l’ENSATT Lyon.
  • Belle interview. Il est rare de mettre en avant les caractères d’inventivité, de générosité et de partage qui participent à la réussite d’un projet puis de sa réalisation. Mes plus beaux souvenirs professionnels, je les dois à LEA ; Laurent Fachard, Christine et Joseph mais aussi à ceux auxquels Laurent faisait appel ponctuellement. Je pense évidemment à Marc Fontoynont et à feu MC2 entre autres. Le monastère de Brou, le château de Pierrefonds, le Mt St-Michel, l’Elysée. Que de magnifiques projets presque tous réalisés. Longue vie à LEA. Sincèrement, VV.

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