Cluster des Médias : éclairage, inclusivité et biodiversité
Au nord de Paris, du Bourget à Dugny, le Cluster des Médias s’implante dans deux villes. Après les premières études des architectes urbanistes et paysagistes des agences TVK, BASE et OLM, la maîtrise d’œuvre des espaces publics est conduite par les bureaux d’études techniques OGI et D’ici là. Dès le début de l’aménagement, l’agence de concepteurs lumière ON fait partie de l’équipe.
- Comment l’éclairage extérieur et la biodiversité ont-ils pris leurs marques ?
- Quels sont les concepts de gestion d’éclairage public mis en œuvre ?
- Comment l’éclairage urbain répond-il à l’innovation ?
Interview exclusive du concepteur lumière Vincent Thiesson et du chef de projet lumière Olivier Peronny de l’agence ON.
Quel était le cahier des charges du Cluster des Médias ?
Vincent Thiesson : Le projet d’aménagement se répartit sur deux sites dans les villes du Bourget et de Dugny. Il y a deux phases distinctes. La première, pour les Jeux olympiques, a été livrée par la Solideo à Paris 2024 en mars dernier, pour six mois. Après l’événement sportif, le maître d’ouvrage réintégrera son poste pour terminer les aménagements. Ce sera la phase héritage.
Quel est l’objectif d’aménagement de ces communes ?
Vincent Thiesson : Au Bourget, le projet était initialement destiné au volley-ball pour les Jeux olympiques, puis il a été réorienté vers l’escalade. En phase héritage, il comprendra un parc sportif.
À Dugny, le village des journalistes est conçu comme un quartier de logements sous la forme d’une ZAC classique. Durant les Jeux, ce site hébergera les journalistes, puis il deviendra un vrai quartier de ville.
Olivier Peronny : Ces deux zones du Cluster des Médias sont reliées par une passerelle qui enjambe l’autoroute A1. Un marché séparé du nôtre en conception-construction.
Comment la phase héritage est-elle prise en compte ?
Vincent Thiesson : À côté des enjeux de la Solideo, il y avait la question de l’héritage post-Jeux olympiques. Bien qu’elle opère pour la postérité, il fallait aussi aborder la courte période cruciale de la compétition sportive. Comment répondre aux différences d’usage du site entre la période des Jeux, où le parc des journalistes sera actif 24 h/24, et l’après, qui verra une réutilisation plus calme et résidentielle du quartier ?
Olivier Peronny : En phase héritage, l’objectif sera de terminer l’aménagement du quartier en ajoutant les derniers bâtiments résidentiels, mais aussi des équipements culturels et sportifs manquants. Ainsi, il deviendra un grand parc urbain avec deux écoles créées dans le cadre de ce projet.
Quel était le programme en éclairage extérieur ?
Olivier Peronny : L’appel d’offres comprenait un cahier des charges et un programme visant à créer un territoire environnementalement parfait, accessible universellement et innovant techniquement. Ces trois éléments ont été essentiels pour lancer la réflexion sur le projet lumière.
Comment l’agence ON a-t-elle répondu par la lumière ?
Vincent Thiesson : Au début, c’était le même projet lumière pour les deux territoires.
Olivier Peronny : Pour répondre aux enjeux environnementaux, il est nécessaire d’avoir peu d’éclairage, tandis que pour l’accessibilité des PMR, des niveaux d’éclairement élevés sont requis. L’enjeu était donc de concilier ces deux objectifs opposés.
Vincent Thiesson : Afin d’atteindre cet objectif, nous avons réuni dans une même salle le bureau d’étude sur l’environnement Zefco, l’écologue Urban Eco et celui de l’accessibilité Acceo avec l’agence TVK.
Olivier Peronny : La solution est principalement technique pour concilier ces deux enjeux opposés.
Quelle réponse technique a été développée ?
Olivier Peronny : Le premier point concerne la gestion des temps d’éclairage en fonction du besoin : allumage, extinction ou réduction de puissance pour assurer l’accessibilité quand cela est nécessaire. La nuit, en l’absence d’usagers, l’éclairage est minimisé pour préserver l’environnement, tout en maintenant l’accès 24 h/24. Un système de détection de présence ajuste l’éclairage au niveau adéquat.
Le deuxième point consiste à jouer sur les tonalités de lumière. En début de soirée et pendant la nuit, l’éclairage combine des tonalités de 3 000 à 2 200 K. Plus tard dans la nuit, seule la tonalité de 2 200 K est conservée pour maintenir un niveau de veille, car les études environnementales ont montré que les tonalités plus chaudes impactent moins la biodiversité.
Comment les corridors écologiques sont-ils pris en compte ?
Vincent Thiesson : La notion de corridor écologique est particulièrement importante dans le parc des sports, où la biodiversité est faible, excepté le long de corridors tels que l’autoroute A1.
Situé à proximité, le Village des Journalistes impliquait la préservation de ce corridor existant entre les parcs. Il abritait des chauves-souris et des grenouilles. Pour déplacer ce batracien, des initiatives spéciales de pêche à la grenouille ont été réalisées lors de longs week-ends.
Comment l’éclairage public est-il piloté ?
Olivier Peronny : Selon le déplacement des usagers, un système de télégestion est mis en place pour permettre aux mâts de communiquer entre eux et gérer l’éclairage nocturne. Des détecteurs de présence activent ou éteignent les luminaires après un passage.
Du côté du Bourget, le contrôle se fait par CPL – courant porteur en ligne – et à Dugny, la communication passe par la fréquence radio en Zhaga. Cette différence est due au changement de plan en cours de route par la ville de Dugny. Elle a choisi de ne pas suivre notre projet d’éclairage initial et d’imposer l’utilisation de lanternes de style différent.
Comment les lanternes de style ont-elles été choisies ?
Olivier Peronny : La ville de Dugny souhaitait installer des lanternes de style spécifique. Notre défi était « sportif ». Comment répondre alors aux objectifs environnementaux et d’accessibilité universelle fixés par la Solideo ?
La difficulté résidait dans la nécessité de trouver un fabricant capable de répondre à ces exigences. Par exemple, il fallait que les lanternes changent de température de couleur, aient un détecteur de présence et soient aussi pilotables. Nous avons choisi des luminaires Eclatec.
Quels sont les points invisibles par rapport à l’innovation ?
Vincent Thiesson : Il y a d’abord un travail de signalétique invisible mais crucial pour l’accessibilité qui a été réalisé en collaboration avec le studio de Design B-Headroom. Nous avons travaillé pour optimiser la position des supports d’éclairage public pour faciliter l’inclusivité. Pourtant, malgré ses avantages, ce travail n’a pas été mis en avant par la Solideo.
Ensuite, nous avons participé à un appel d’offres sur l’innovation de mobilier urbain en éclairage. Il nous a permis d’explorer les fonctionnalités potentielles des mâts d’éclairage dans l’espace public. Initialement, nous avions proposé une solution simple et low cost avec des boutons-poussoirs pour l’éclairage public, mais elle a été rejetée. Nous nous sommes donc tournés vers des capteurs de environnementaux et l’utilisation de la data pour faire évoluer l’éclairage urbain selon les conditions d’usage.
Comment la question de la réversibilité est-elle appréhendée ?
Vincent Thiesson : La moitié du terrain du village des journalistes est encore inoccupée avec de nombreux chantiers visibles, car, le modèle économique de la Solideo dépend de celui des promoteurs immobiliers. Entre-temps, une crise immobilière a ralenti le développement. Cependant, ce projet fascinant soulève la question de la réversibilité à court terme.
L’agence ON réfléchit à l’éclairage des liaisons piétonnes qui doivent être mises en place dans 5 ans. Comment les mentalités vont-elles évoluer ? Peut-être aurions-nous dû envisager des autoroutes cyclables plutôt que de garder des plans précédemment établis ? Quoi qu’il en soit, ce fut un plaisir de répondre à cette question de réversibilité en phases J.O. et héritage.
Propos recueillis par Vincent Laganier en visio le 12 juin 2024.
À suivre…
Cluster des Médias : mobilier urbain et lumière en héritage
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Photo en tête de l’article : Parc des sports, mat projet Technilum, éclairage urbain – Concepteur lumière agence ON – Cluster des Médias de Paris 2024, Le Bourget, Seine-Saint-Denis, France © Julien Falsimagne
Équipe du projet
Lieu
- Cluster des Médias, village des journalistes
- Dugny, France
Livres
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