Conception lumière architecturale à l’heure du digital
Comment définirais-tu l’essence de ton métier de conceptrice lumière ?
Anne Bureau : c’est participer à la construction et à la perception de l’espace par la lumière… et les ombres. C’est utiliser le médium technique de la lumière pour permettre de bonnes conditions visuelles, valoriser les usages, mettre en valeur l’espace lui-même ou ce qu’il contient. L’approche d’un concepteur lumière n’est pas seulement quantitative (comme c’est souvent le cas pour les ingénieurs), elle est aussi qualitative et intentionnelle.
Anne Bureau : de mon point de vue, un concepteur lumière a une façon singulière d’approcher l’éclairage, comme un architecte à une manière singulière d’approcher la construction d’espaces. À cela s’ajoute la sensibilité au temps nocturne qui est un point très particulier à notre profession.
Que penses-tu de la lumière digitale aujourd’hui ?
Anne Bureau : c’est très bien la lumière digitale. Je pense qu’il y a des parcours professionnels entiers qui vont se faire (et se font déjà) dans la lumière digitale. Comme il y a des concepteurs lumière architecturaux, il va y avoir des concepteurs lumière digitaux, avec la même complexité et la même profondeur… Mais concepteur lumière digital ce n’est pas concepteur lumière architectural. Il ne faut pas confondre. En architectural, il faut prendre des projecteurs et regarder comment ça marche, manipuler la lumière !
Comment définis-tu la conception lumière digitale ?
Anne Bureau : je parlais de domaines différents où la finalité n’est pas la même. La conception lumière se passe dans un espace physique. La finalité de la conception lumière digitale est de concevoir un environnement d’éclairage dans un espace numérique qui va émerger, par exemple, de la réalité augmentée, un film, un jeu vidéo… Les gens qui bossent chez Pixar sont de vrais lighting designer d’espace virtuel ! [ndlr : Lighting artist : jeux vidéo et modélisation 3D lumière]
Quel est la différence avec la conception lumière architecturale ?
Anne Bureau : moi, je suis architectural lighting designer [ndlr : en français, conceptrice lumière architectural]. Il y a du vent, de l’eau et de la pluie. Il fait chaud ou froid. Ce n’est pas un métier que de bureau. Je me suis choppé un rhume plus d’une fois pendant des réglages lumière en soirée…
En architecture, il y a une personne dans l’espace qui perçoit avec ses yeux. Ce n’est pas la même contrainte que quand un lighting artist crée une animation. C’est la même chose avec les chefs opérateurs ; ils créent dans le monde de l’image pour le cinéma ou la télévision.
Quelle est la place des outils numériques dans le métier ?
Anne Bureau : dans notre métier, les outils numériques sont des outils numériques. Ce n’est pas la finalité. Nous créons avec de vrais matériaux. Ils ne sont pas faits pour être vus sur un écran ou à travers un casque 3D.
Anne Bureau : parfois, je râle car, mes stagiaires font des calculs et à côté nous avons des échantillons. Je leur dis « tu le mets dans le couloir et tu l’allumes. Et on va voir si ça marche ou pas ».
Que dire à un jeune pour devenir concepteur lumière architectural ?
Anne Bureau : la lumière, c’est magique et c’est technique. C’est un truc sur lequel tu as bossé pendant des années et quand tu allumes ; ils ont des étoiles dans les yeux. Je ne sais pas s’il y a beaucoup de métiers qui permettent de faire ça ! Même si on passe beaucoup de temps à expliquer ce que l’on va faire, ça reste assez intangible pour les gens. Nous cherchons le moment où ils vont voir l’espace sous la lumière pour de vrai et nous espérons que ça va leur plaire.
Anne Bureau : de plus, dans mon métier, il ne faut pas compter ses heures. Il n’y a pas d’horaires fixes. D’abord, parce que c’est un métier prenant. Ensuite, nous le pratiquons, en partie, la nuit. Un architecte, il bosse aussi beaucoup mais il n’est pas obligé de travailler le soir. Pour nous, il faut qu’il fasse nuit pour voir l’éclairage extérieur (et aussi parfois l’éclairage intérieur).
Interview réalisée le 6 mars 2020 par téléphone.
A suivre…
Pratiques actuelles de la conception lumière et formation
Approfondir le sujet
- Développement du métier de concepteur lumière en France
- Métiers de la conception lumière et de l’art en éclairage
- Métiers de la conception lumière, entre l’artiste et l’ingénieur
- Lighting artist : jeux vidéo et modélisation 3D lumière
Photo en tête de l’article : Chapelle Corneille, auditorium de Normandie, Rouen – Architectes : King Kong – Scenographe : Ducks Sceno – Conception lumière : Wonderfulight – Photo : Eric Peltier
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