Effets de lumière bleue : Yann Kersalé, plasticien lumière
Le bleu est la couleur du lointain, des grands horizons et de l’infini. Le bleu est calme et détend, il nous transporte dans un état de rêverie. Depuis que la lumière de couleur se répand aussi dans l’éclairage architectural, nous rencontrons de plus en plus souvent la lumière bleue. Mais pourquoi est-ce justement la lumière bleue que l’on utilise de plus en plus et pourquoi est-ce que nous, spectateurs, nous nous sentons si fortement attirés par cette couleur ? Le plasticien lumière Yann Kersalé y répond dans une interview.
Yann Kersalé, plasticien
AIK – Yann Kersalé, Vincennes, France
Comment s’inscrit le bleu dans votre travail sur le matériau lumière ?
Yann Kersalé : je n’ai pas un rapport avec le bleu qui supporte tout mon processus créatif comme Yves Klein. En fait, c’est pour une raison de contraste plutôt que de couleur que j’ai toujours utilisé la lumière bleue. J’ai commencé par la photo ; j’en ai toujours fait. Lorsque l’on prend un sujet en couleur avec du noir et blanc, si l’on veut avoir une lumière grise, il faut du bleu.
Dans mes travaux, la lumière est soit blanche, soit absente grâce à l’ombre. Le bleu crée alors une valeur de gris. Très souvent, si j’ai amené du bleu, c’est qu’il y avait du blanc à côté, pour jouer la profondeur. C’est le cas du Grand Palais à Paris, de la Base sous-marine de Saint-Nazaire ou du pont de Normandie en France.
Quels étaient vos concepts lumière autour du bleu sur ces trois réalisations de référence ?
YK : si j’ai utilisé le bleu, c’est toujours pour des raisons conceptuelles, perceptuelles pour paraphraser Gilles Deleuze. Le mot concept est mieux établi pour les philosophes que pour les artistes.
Grand Palais, Paris, France (1987)
YK : mes armatures de la verrière avaient une gestuelle assez désordonnée, une rythmique aléatoire. Elles étaient coordonnées par un immense sablier à l’intérieur que j’avais conçu pour l’occasion. Tous les jours, il était rempli avec des sauts de micro billes pour douze heures de temps. Ainsi, le squelette de la baleine était en mouvement en blanc à partir du sablier.
YK : le bleu était asservi au mouvement de respiration de l’horloge atomique de l’Observatoire de Paris. Avec son bip continuel, perpétuel et hyper-régulier, il y avait contraste dans tous les sens du terme !
Base sous-marine, Saint-Nazaire, France (1991)
YK : la Base sous-marine est au cœur de la zone portuaire et de la « Nuit des Docks ». C’est un rapport de bosse et de creux. J’ai utilisé le bleu parce qu’il y avait un creux entre les murs séparateurs de chaque alvéole.
YK : ils sont marqués en éclairage rasant blanc qui va chercher la matière du béton brut et marque les ouvertures. Le bleu servant, ici, de fond qui par effet de contraste provoque le creux.
YK : la maintenance est absolument parfaite. C’est une belle aventure entre les services techniques, le maire Joël Batteux, moi-même et toute mon équipe qui sont très respectueux et fiers du projet.
Pont de Normandie, Honfleur-Le Havre, France (1994)
YK : le pont de Normandie a été aussi une aventure extraordinaire avec un ingénieur mais la difficulté d’entretien aujourd’hui est assez complexe. C’est un rapport à la sous face. L’intérieur des jambes des pylônes est bleu, l’extérieur est blanc. La sous face du pont est dynamique avec des flashs bleus.
YK : par contre, les luminaires au-dessus du tablier sont en lumière autoroutière, au sodium haute pression. Au bout du luminaire qui éclaire la rue, il y a un petit point bleu qui ramène à la lumière d’en dessous.
Pourquoi avez-vous souvent combiné le bleu et le vert dans une variation de lumière sur les arbres ?
YK : oui, le bleu, le vert et le turquoise s’inscrivent dans mes expériences sur la sur-coloration, ton sur ton, du feuillage, de sur-naturalisation.
Canal Saint-Martin, Paris, France (2003)
YK : on sait très bien que toutes les gammes chaudes, rouge, orange, ambre ou jaune ne passent pas très bien sur ces feuillus et les arbres à feuilles caduques. Il suffit de voir les branches à proximité du sodium dans les rues pour s’apercevoir que c’est une catastrophe !
Quais du port, Cherbourg, France (1994)
Quel sens donnez-vous à ces mêmes couleurs qui balisent les fûts coniques du mobilier lumière à Cherbourg ?
YK : là, c’est un lien avec la marée. Le vert signifie la marée basse. Le bleu est un subterfuge car il me fallait une couleur symbolique pour la marée haute. Par l’addition des deux, je peux avoir toute une gamme du bleu au vert qui change, imperceptiblement, en fonction des quatre heures de la marée.
Ascenseur à péniches, Thieu, Belgique (1999)
Comment fonctionnent les lumières l’ascenseur à péniches sur canal du Centre ?
YK : un peu pour les mêmes notions. Ici, c’est plutôt une respiration perpétuelle. D’abord, les portiques sont éclairés en blanc pur statique et les parois extérieures de l’ascenseur en turquoise. Ensuite, quand les bassins à péniches entre en mouvement, les bacs remplis d’eau passent du turquoise au bleu. Semblable à des aquariums, c’est le rapport à la rivière, à la symbolique de l’eau, bleu ou verte, sur l’extérieur.
Pourquoi l’eau est une constante parmi vos réalisations que l’on retrouve dans vos usages la lumière bleue : l’eau contenue, l’eau franchie et l’eau proche ? Est-ce votre sensibilité de marin qui vous influence à ce sujet ?
YK : il peut y avoir des clichés symboliques, mais on peut aussi aller plus loin ! Je pense, tout simplement, que cette couleur fait le lien avec la matière elle-même. Le bleu fonctionne de toute façon mieux avec l’eau. Il apporte plus de réflexion, plus de réfraction sur un élément liquide qu’avec du rouge notamment.
« 779 – Cette couleur fait à l’œil une impression étrange et presque informulable. En tant que couleur, elle est énergie ; mais elle se trouve du côté négatif, et dans sa pureté la plus grande, elle est en quelque sorte un néant attirant. Il y a dans ce spectacle quelque chose de contradictoire entre l’excitation et le repos. »
Johann Wolfgang von Goethe sur La théorie de couleurs (Zur Farbenlehre), Tübingen, 1810. Extrait du chapitre “ Effet physique et psychique de la couleur ”, sixième édition, Le Traité des couleurs, Triades, Paris, 1973.
Extrait de l’article de Vincent Laganier, « Effects of blue light », Professional Lighting Design – PLD – magazine, n°40, page 30-35, novembre 2004, VIA – Verlag für Innovationen in der Architektur, Guetersloh, Allemagne.
Approfondir le sujet
- 12 installations lumière inspirantes de Yann Kersalé
- La Nuit des Docks de Yann Kersalé a vécu, Saint-Nazaire, France
Interviews de designers
English interview
Citations
Suite de l'article
Introduction | Lumière bleue : définition et photobiologie |
Page 1 | Lumière bleue LED : 3 paramètres à prendre en compte |
Page 2 | Lumière bleue des écrans et smartphones : filtres ou lunettes ? |
Page 3 | Lumière bleue : éclairage des enseignes lumineuses |
Page 4 | Écrans connectés : les filtres lumières bleue sont-ils efficaces pour le sommeil ? |
Page 5 | La lumière LED est-elle dangereuse pour la rétine ? Fiction ou réalité |
Page 6 | Effets de lumière bleue : Yann Kersalé, plasticien lumière |
Page 7 | Effets de lumière bleue : Erik Selmer, architecte concepteur lumière |
Page 8 | Effets de lumière bleue : Jonathan Speirs, lighting designer |
Lieu
- SN AIK, Yann Kersalé
- Vincennes, France