France-Japon : culture lumière en architecture et en rêve
Que vas-tu faire pendant les Jeux Olympiques de Tokyo ?
Akari-Lisa Ishii : j’ai fait partie du comité de branding des Jeux Olympiques de Tokyo et du comité de sélection de la mascotte des JO. Des travaux bénévoles par rapport à l’esprit olympique et ma compétence dans le design. Ils m’ont demandé d’être un relais de la flamme olympique. Avec le Covid, je ne sais pas si je pourrais y aller… J’ai commencé à courir un petit peu mais bon, 200 mètres, ça ira. Symboliquement, c’est quelque chose qui me touche beaucoup car tu portes une flamme, tu cours pour faire le relais, donc tu fais partie de la chaine qui fait ce relais symbolique de la lumière, pour un geste de paix et de spiritualité.
- Offre d’emploi I.C.O.N. : Chef de projet (H/F)
Comment as-tu vécu les confinements ?
Akari-Lisa Ishii : pendant les confinements, j’ai continué à faire mes recherches sur la culture de la lumière. Je suis en train d’écrire beaucoup de textes en japonais. Espérons qu’un jour, je pourrais les publier au Japon.
Je suis toujours intéressée par la recherche culturelle et intellectuelle derrière ce qui se passe. Je parle de la différence de la culture de lumière entre l’Est et l’Ouest. J’essaie de comprendre d’où viennent ces différences. Je recherche la cause, la racine dans la peinture, la littérature, l’architecture et le cinéma. Donc, ça touche au large spectre de la lumière et à l’histoire.
Quelle réalisation lumière as-tu conçue pour les JO de Tokyo ?
Akari-Lisa Ishii : j’éclaire le stade national de Tokyo construit spécialement pour ces Jeux olympiques et paralympiques de Tokyo par l’architecte Kengo Kuma. Il a beaucoup utilisé le bois sur quatre étages. Pour un stade de cette taille, c’est immense. Néanmoins, son concept est de le camoufler dans la forêt. C’est quelque chose de complètement étonnant, surtout du point de vue occidental. C’est une structure qui marque la force et l’acte humain. C’est très démonstratif politiquement !
Alors, la volonté de l’architecte , c’était de réaliser le bâtiment en bois, le plus bas possible et pas trop dominant. Il est situé dans la forêt qui se trouve au milieu de Tokyo. Harmonieusement, il est intégré dans son environnement et la nature.
Une fois utilisé pour les JO, il faut que ça se fonde dans la vie des citoyens. Ainsi, il y a une promenade dédiée pour l’utilisation quotidienne des tokyoïtes. Mais aussi une place publique, en cas de force majeur naturelle qui est assez fréquent là-bas, pour que les gens puissent s’y réfugier.
Quel est le concept lumière pour le stade national de Tokyo ?
Akari-Lisa Ishii : il est aussi le plus discret possible. Le concept de conception lumière a suivi cette direction. J’ai décidé de projeter sur les auvents les ombres portées de la végétation installée sur trois étages. Quand tu regardes le stade, ce n’est pas le bâtiment qui est éclairé ; ce sont les ombres qui se projettent sur l’édifice. Ainsi, sa régularité structurelle très forte est volontairement cassée. Bien éclairer uniformément, ça aurait démontré sa force et sa puissance, mais je ne voulais pas laisser dans le noir un tel bâtiment. Donc la solution était de l’éclairer dans son environnement.
Qu’est-ce que ta culture japonaise t’a apporté dans la conception lumière ?
Akari-Lisa Ishii évidemment, quand je fais quelque chose, il y a une référence à trois phénomènes qui ressortent doucement de ma culture japonaise.
Premièrement, c’est la façon de travailler toujours harmonieusement avec les gens. Ça vient de ma culture. En France, ça arrive de taper sur la table ou de claquer une porte. C’est la dernière chose que je pourrais faire !
Deuxièmement, c’est l’expression d’être très sobre, subtile, avec de la finesse et un bon sens, simple mais qui a un effet. Je ne veux pas que ça soit vulgaire ou trop flashy. Il y a toujours une élégance que je recherche dans ma création lumière.
Troisièmement, l’intégration des techniques l’expression. C’est de l’art de faire de la lumière, un peu comme de l’artisanat japonais, mais qui a aussi une fonctionnalité. Au Japon, l’art n’est pas quelque chose à contempler et à respecter sur le mur. C’est quelque chose qu’on utilise au quotidien. Même le pot du thé est très beau ; c’est une œuvre d’art. Il y a une beauté et une fonctionnalité. Ce n’est pas une dualité. Chez nous, l’art peut être utile. Cette approche de l’art est très proche de l’art de vivre. C’est peut-être ce côté-là qui me fait chercher le bon équilibre entre la beauté et la technique qui le sublime. Ils sont tous les deux nécessaires pour la conception lumière.
Pour autant, j’essaie d’être neutre quand je fais un design. Je n’ai pas trop de cliché, de dépendance ou de relation avec la tradition de ma culture japonaise.
En résumé, quelle est la spécificité de ton travail ?
Akari-Lisa Ishii : j’ai trouvé un petit slogan « SHE lighting ».
S, pour smart, parce que l’on parle de smart lighting, d’intelligence technologique, mais aussi il faut que ce soit correct et juste. Smart par rapport à l’écosystème et le côté réglementaire pour ce soit juste.
H, comme harmonie. Le relationnel avec les acteurs du projet. Harmonie avec le contexte du bâtiment où il est situé, les usagers et la composition de la lumière, Harmonieuse avec l’environnement. Être écologique ce n’est pas respecter le règlement pour moi. Mais, il faut cohabiter avec l’environnement et la nature.
E, la dernière chose est l’élégance. Faire mes choses propres et belles avec un équilibre et une simplicité.
Voilà donc c’est trois choses que j’essaie de faire dans chaque projet I.C.O.N. et la manière dont je travaille quotidiennement
Quel est ton rêve lumière pour l’avenir ?
Akari-Lisa Ishii : il y a une dizaine d’années déjà, j’ai été contactée par le ministre de la Culture de Tunisie, avant le printemps arabe, pour éclairer un festival folklorique des peuples du Sahara. C’était une commande pour éclairer un spectacle. En allant sur place, je me disais qu’il fallait que l’éclairage soit la clé pour promouvoir l’écosystème du petit village qui se trouve à l’entrée du Sahara. Ils ne vivent que des visites du désert avec les chevaux, les ânes et les chameaux.
J’ai monté un projet pérenne pour le festival, où l’on peut visiter le Sahara by night, avec des panneaux photovoltaïques montés sur les chameaux, avec des lampes à l’huile de palme produites par des locaux. Donc, ça fait travailler la culture, les artisans et toute la commune autour de la lumière, comme un projet social.
Mais quelques mois plus tard, le grand renversement politique est arrivé et je n’ai toujours pas réussi à réaliser ce genre de projet. Donc, ça peut être ailleurs au fond du Turkistan ou du Machu Picchu.
Propos recueillis par Skype par Vincent Laganier le 23 février 2021.
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Photo en tête de l’article : Tokyo National Stadium, architecture et lumiere du jour, Shinjuku city, Tokyo, Japon – Architecte Kengo Kuma © Daryan Shamkhali, Unsplash
Lieu
- Stade national de Tokyo
- Tokyo, Japon
Équipe du projet
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