Interview

Jacques Gouteyron : la naissance des mâts bois en éclairage

Comment est née Aubrilam, en Auvergne ? Interview exclusive de Jacques Gouteyron, l’entrepreneur des premiers mâts bois en éclairage public de Brioude.

Aubrilam est née en Auvergne, à Clermont-Ferrand et Brioude, grâce à l’esprit d’entrepreneur de Jacques Gouteyron. C’est le pionnier des mâts bois pour l’éclairage public. Depuis 1978, l’entreprise se consacre à l’amélioration continue et à l’innovation. Elle offre ainsi des solutions de qualité supérieure, fabriquées en France.

Quel est ton parcours de formation ?

Jacques Gouteyron : Après mon bac S en 1973, j’ai choisi Sup de Co. Mon père est mort la 2e année d’une crise cardiaque à 50 ans !

Pourquoi cet événement familial a-t-il changé ta vie ?

Jacques Gouteyron : J’ai rejoint l’entreprise familiale, spécialisée dans le négoce de matériel électrique au côté de ma mère Monique et mon frère ainé Maurice. Nous étions une trentaine, avec une équipe dynamique pour la représentation de marques comme Eclatec, Thorn EMI ou Silec.

L’histoire de mon père est fascinante ! Agent Eclatec, il a aussi fondé une compagnie aérienne. Il pilotait avec une licence IFR de vol sans visibilité, qu’il a passée aux US, sans même détenir un BEPC ou un CAP. Une vie pleine de rebondissements !

 

 

À quel moment es-tu devenu patron de l’entreprise ?

Jacques Gouteyron : Mon frère a créé l’agence de Bordeaux. Quelques années après, je lui ai racheté les parts de l’entreprise de Clermont. À la suite de ce split, je me suis retrouvé patron avec ma mère. L’entreprise marchait bien et il y avait une bonne ambiance. J’ai même fondé d’autres sociétés.

Comment l’idée du mât bois est-elle venue de la ville de Brioude ?

Jacques Gouteyron : En 1976, mon père a rencontré Jean-Paul Chambriard, maire de Brioude et sénateur de l’époque, qui possède des forêts et une usine de bois. Il lui a parlé de la rénovation des éclairages publics nécessitant une centaine de mâts avec lanternes bipuissance Eclatec. Le maire a suggéré d’utiliser les mâts lamellés-collés de sa production. Mon père lui a proposé de les distribuer. Jean-Paul Chambriard a accepté et mon père s’est engagé à devenir le distributeur européen de ces mâts en bois.

Il est mort peu de temps après en juillet 1977.

Quel est le juste prix pour vendre des mâts bois à l’installateur ?

Jacques Gouteyron : Début 78, j’ai reçu un « télex » de l’Entreprise Électrique, aujourd’hui filiale de Vinci, me demandant un prix pour 100 mâts en bois de 8 mètres avec une console de 1,50 mètre. C’était pour, pour Brioude. Je consulte l’armoire à contrats qui confirme notre distribution exclusive pour toute l’Europe ! J’ai appelé l’entreprise, confirmé que tout était bon, puis envoyé mon devis.

Nuancier d’émotions – couleur, matière, lumière – extrait page Origine © Aubrilam

Puis la commande est tombée…

Jacques Gouteyron : Après des mois, j’avais oublié cette histoire quand soudain, l’entreprise me rappelle pour passer commande ; une excellente nouvelle ! Mon ami d’enfance Michel Habouzit, ingénieur en mécanique aéronautique, fraîchement embauché, m’assure qu’il ne devrait pas y avoir de souci. D’autant plus que l’usine est toute proche, à seulement 70 km.

Comment s’est passée la visite de l’usine de bois ?

Jacques Gouteyron : Après une visite complète, nous confrontons monsieur Chambriard à l’absence d’une usine de mât en bois. Il nous montre finalement quelques prototypes de 3 mètres de haut dans la cour (ni semelle, ni port, ni embout), puis un catalogue de produits similaires américains, expliquant s’en être inspiré. C’était assez léger 😊

D’une hauteur de 3 à 8 mètres en quelques mois ?

Jacques Gouteyron : Oui, les mâts devaient faire 8 mètres de haut. Nous ferions les modifications nécessaires avec l’aide d’un bureau d’études compétent. J’ai proposé de commencer par la semelle, malgré la surprise initiale de l’élu. Bien qu’il ait d’abord été réticent à l’idée d’intégrer du métal dans son œuvre, nous sommes finalement parvenus à un accord constructif. À l’issue des négociations, Michel Habouzit, mon apprécié responsable commercial, a été promu responsable technique du projet. Une position qu’il a acceptée avec enthousiasme. En effet, calculer une aile d’avion est un peu plus compliqué qu’un mat. Les deux travaillent avec le vent.

C’est ainsi qu’est née Aubrilam, avec la ville de Brioude ?

Jacques Gouteyron : Nous avons réussi cette première affaire en 1978. Quarante-six ans plus tard, les mâts bois d’éclairage urbain de Brioude sont toujours là. Ce fut notre première référence !

Aubrilam était née avec ce projet d’éclairage urbain de la ville de Brioude.

D’où le nom : AUvergne BRIoude LAMellé-collé = AU BRI LAM. Quelle créativité 😊

Quelle a été l’étape suivante, après cette première affaire ?

Jacques Gouteyron : Après avoir réussi une première installation de 100 unités à Brioude, j’ai proposé à Henri de Mazieu, notre responsable éclairage de notre entreprise de négoce de monter un réseau commercial pour la vente de mâts en bois.

Mon frère fut évidemment le 1er agent à Bordeaux. Mais, je ne réalisais pas les difficultés à venir. Nous étions emballés par les produits.

Comment as-tu produit le premier catalogue ?

Jacques Gouteyron : Sans réalisation, nous avons décidé de créer un catalogue. Pour cela, avec Michel Habouzit, nous avons donc démonté et transporté des poteaux en bois de 3 mètres sur lesquels nous avons fixé des lanternes à travers la ville. L’absence de Photoshop à cette époque a pesé lourdement sur nos épaules. Nous les avons photographiés dans divers lieux. Cela nous a permis de bâtir une collection de visuels pour le premier catalogue.

 

 

Définir la grille tarifaire des mâts en bois, une gageure ?

Jacques Gouteyron : J’ai défini des tarifs en listant soigneusement nos coûts. Pour chaque article, je connaissais les prix des poteaux en acier, aluminium ou fonte. Pour établir le juste prix en veillant à être rentable, tout en offrant un bon rapport qualité-prix, Aubrilam a toujours eu une approche audacieuse qui a été notre force. Sans crainte, je me suis positionné au-dessus du marché. J’ai saisi l’occasion de valoriser nos produits lorsque le marché était prêt à accepter des prix plus élevés.

Comment construit-on une entreprise en amélioration continue ?

Jacques Gouteyron : Fabriquer un produit de qualité implique des investissements significatifs, mais c’est cette approche rigoureuse qui justifie son prix élevé. En vendant le produit cher, on finance l’amélioration continue. Apprendre de ses erreurs à travers la recherche, les thèses, et persévérer malgré les échecs façonne l’excellence. Mon expérience chez Aubrilam illustre que la qualité reconnue d’un produit est le fruit de nombreuses années de travail assidu et d’amélioration constante, gage de sa valeur et de sa réussite.

Usine de production des mats en bois lamellé-collé, vue ensemble du site industriel, Brioude, Haute-Loire, Auvergne-Rhône-Alpes, France © Aubrilam

L’entrepreneuriat ne se décrète-t-il pas ?

Jacques Gouteyron : Récemment, en écoutant France Musique, j’ai entendu une violoniste qui expliquait l’influence familiale sur sa carrière. Elle a grandi entourée de musiciens et naturellement, elle a suivi cette voie. Elle n’imaginait pas qu’il existait d’autres métiers. Ça m’a fait réfléchir à l’importance des exemples familiaux. Dans ma propre famille, il y a une grande diversité de métiers, mais tous ont en commun la passion et le dévouement. Cela montre que l’environnement dans lequel on grandit forge une partie de notre avenir. Pourtant, c’est l’enthousiasme et l’amour pour notre travail qui jouent un rôle essentiel, finalement.

Combien de temps a pris la construction d’Aubrilam ?

Jacques Gouteyron : Pendant 10 ans, j’ai investi dans Aubrilam sans voir de bénéfices, compensant les pertes grâce à mes autres entreprises dans des secteurs comme la climatisation et l’informatique et le négoce de matériel électrique. Malgré les défis de l’époque, où le bois n’était pas prisé, j’ai persévéré jusqu’en 1990, animé par la conviction parfois mise en doute, que mes efforts finiraient par porter leurs fruits.

Propos recueillis par Vincent Laganier à Marseille le 30 mars 2024.

 

 

À suivre…

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Équipe du projet

Matériel d'éclairage Aubrilam Eclatec
Fondateur Jacques Gouteyron
Entrepreneur associé Monique Gouteyron Maurice Gouteyron
Salarié Michel Habouzit Henri de Mazieu
Élu Jean-Paul Chambriard Ville de Brioude
Installateur L’entreprise électrique
Station de radio France Musique
Rédacteur en chef et éditeur du portail Light ZOOM Lumière depuis 2012. Architecte diplômé de l’École nationale supérieure d’architecture de Nantes. Éclairagiste par passion depuis 1997 en Europe. Auteur de sept ouvrages de référence sur la lumière, l'éclairage, la ville et le bâtiment. Enseignant en éclairage à l’ENSA Nantes et à l’ENSATT Lyon.
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