Nicolas Houel : chercheur en études urbaines nocturnes
chercheur en études urbaines nocturnes
Comment la nuit est devenue ton sujet de recherche ?
Nicolas Houel : c’est assez rigolo. J’ai eu peur du noir très longtemps. La lumière était pour moi un élément indispensable car légèrement salvateur.
Avec Skedanoz, je me suis aperçu que la nuit était le meilleur moment pour apprécier le patrimoine. C’est un espace-temps particulier que l’on a fait évoluer et qui est le support de la lumière artificielle.
Quels ont été les étapes de ton cheminement intellectuel ?
Nicolas Houel : j’ai commencé à m’intéresser à la nuit obscure et tout ce qu’elle représentait. Dans mon article sur où est passée la nuit noire, je cite le travail exceptionnel de Tim Edensor de 2013. Il parle de la nuit noire et du rapport que l’Homme a avec elle aujourd’hui. C’est quelque chose de passionnant, car nous avons une certaine capacité à ne pas vouloir aborder la nuit historique, l’obscurité naturelle.
De là à faire une thèse sur la pédagogie de la sobriété lumineuse, il n’y avait qu’un pas ?
Nicolas Houel : [rires] En effet, j’ai trouvé une configuration professionnelle pour étoffer mon approche de l’obscurité qui me permet d’apprendre encore plus sur la technique, sur les aspects sociaux, sociétaux, administratifs et juridiques… La thèse est une manière d’explorer le sujet et de pouvoir rendre objectivable mon approche, plus scientifiquement. Comment expliquer à une commune qu’on peut éteindre une partie de l’éclairage, pas seulement pour une question d’économie d’énergie, mais parce qu’elle peut y trouver une forme de sécurité, de tourisme… Afin de le faire mieux entendre, il faut se documenter et écrire. C’est l’objectif de ma recherche sur la pédagogie de la sobriété lumineuse.
Où en est l’étude d’éclairage d’un skate-park en rive de Loire ?
Nicolas Houel : dans le cadre de la thèse à l’ensa Nantes dans le service EPICE de Nantes Métropole, ce premier projet est mené avec la SAMOA, Société d’aménagement de l’île de Nantes. Récemment, elle a assuré la maîtrise d’ouvrage du réaménagement des berges de la rive Nord de l’île, notamment avec un skate-park.
Nicolas Houel : l’idée est de confronter les usages des sportifs avec une ouverture plus longue du terrain en soirée.
- Quels éclairages sur-mesure concevoir ici pour les besoins spécifiques des sportifs ?
Nous travaillons sur une forme de concertation citoyenne où nous construisons l’éclairage du skate-park de l’île de Nantes avec eux. Cette étude de cas devrait faire l’objet d’une publication scientifique ensuite.
L’évaluation citoyenne fait aussi partie d’un autre projet d’éclairage pour un cheminement doux ?
Nicolas Houel : à côté de ce projet, nous sommes en train d’explorer la possibilité d’éclairer un cheminement doux en bord de Loire. L’objectif expérimental est de faire attention à toutes les sources lumineuses pour n’éclairer ni la végétation, ni l’eau. Nous voulons voir à quoi l’espace public ressemble quand nous ne mettons pas en valeur les arbres et l’eau.
Nicolas Houel : dans le cadre de cette expérimentation, pour souhaitons ouvrir un regard plus large sur l’intervention, et allons mettre en place une évaluation citoyenne, en plus de la nôtre, pour comprendre comment les gens réagissent à ces propositions.
Qu’en est-il de l’expérimentation Interactive Data Light ?
Nicolas Houel : c’est dans la veine actuelle de la smart city, de tous les fabricants qui réfléchissent à comment un mobilier d’éclairage peut faire autre chose que d’éclairer la nuit. Nous avons développé un dispositif qui vient répondre aux grandes problématiques de la politique actuelle, comme la réduction de la pollution lumineuse et la réduction de la consommation d’énergie, par l’éclairage à détection.
Une fois encore, nous couplons cette expérimentation à une équipe d’évaluateurs, qui va nous permettre d’étudier, en partie, l’acceptabilité sociale d’un éclairage à variation d’intensité et de scénario d’allumage.
Nicolas Houel : nous espérons dans ce sens contribuer à la démocratisation des sources lumineuses intelligentes, car les sollicitations industrielles auprès des aménageurs sont de plus en plus fortes, ne rendant la prise de décision que plus difficile, ralentissant la mise en place d’une partie de la rénovation de l’éclairage public, qui pourrait être équipée de ces dispositifs.
Avec Interactive Data Light, nous expérimentons dans l’île de Nantes une solution matérielle qui vient, en plus, récupérer des données. Nous sommes en train de l’analyser et nous observons des éléments de réponse très pragmatique comme :
- quand la température augmente, l’éclairage consomme-t-il plus ou moins d’électricité ?
Nicolas Houel : notre idée est d’accompagner, de manière réaliste, l’évolution du matériel d’éclairage. Dans le prolongement d’autres projets qui ont été réalisés à grande échelle, l’idée est de proposer un outil à la collectivité où elle peut avoir accès à des données sur la qualité des données physiques de son espace public. Par exemple, nous pouvons croiser le nombre de véhicules qui passe par jour avec l’ambiance sonore, la qualité de l’air et la vitesse des véhicules et s’apercevoir à un moment que : quand les véhicules roulent à 30 km/h, il y a moins de dégagement de particules fines et moins de bruits. Alors, c’est moins accidentogène en termes de mobilité douce. Interactive Data Light peut-être une solution à déployer pour construire des aires dite « apaisées », avec des revêtements de sol différents et qui font la part belle aux cyclistes et aux piétons.
Quelle est ta réflexion à l’heure actuelle sur la nuit ?
Nicolas Houel : par le travail de recherche scientifique et les cas pratiques, j’aimerais contribuer à la reconsidération de l’approche actuelle de la temporalité de la nuit et de l’obscurité. La perception sensible de la lumière et de la pénombre est fondamentale chez l’être humain, et je m’interroge aujourd’hui sur les raisons de l’absence d’une forme de pédagogie s’y rapportant. L’ACE étudie les approches possibles à la mise en place d’une véritable formation à la conception lumière, c’est une mission pionnière qu’il faut suivre de près et accompagner, car elle a de fortes chances de devenir indispensable dans les décennies à venir.
La pédagogie fait d’autant plus sens que nombre d’individus adorent quand la nuit des étoiles filantes arrive ou sont bouche bée devant la beauté d’une photo de la voie lactée. Un à deux siècles en arrière, ces des éléments étaient accessibles tout le temps, dès que le ciel était dégagé. La lumière artificielle a permis une nouvelle approche de la temporalité de la nuit et de ses usages. Nous avons aujourd’hui identifié des considérations énergétiques, sanitaires et environnementales qui questionnent l’éclairage artificiel en ville la nuit, et l’apparition de concepts type trame noire invite l’éclairage artificiel à trouver de nouvelles formes pour atteindre le leitmotiv pertinent mais encore flottant de l’AFE, éclairer juste.
La réflexion s’ouvre alors sur les opportunités politiques, économiques, sociales mais aussi et surtout pédagogiques pour assurer une rénovation de fond et de forme de l’éclairage artificiel comprise et admise de ses acteurs et usagers.
Propos recueillis par Vincent Laganier le 7 septembre 2018.
A suivre
Nicolas Houel : l’aventure des spectacles Skedanoz en Bretagne
Approfondir le sujet
- Sobriété énergétique en éclairage
- Sauver la nuit, de Samuel Challéat
- Night studies, regards croisés sur la nuit
- L’Observatoire n°53 : cultures de la nuit, quels enjeux et quels défis ?
- « S’émanciper de l’électricité » Nicolas Houel
- L’éclairage public participe-t-il moins à la pollution lumineuse ?
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