OptimaLux, le plan ombre et lumière à l’épreuve de la vue
En octobre 2021, le Conseil d’État Suisse a lancé OptimaLux. Il s’agit d’un plan ombre et lumière visant à supprimer l’éclairage public sur le domaine cantonal, sauf pour les passages piétons et certaines « zones d’exception ». Objectif : respecter la Stratégie nationale biodiversité 2030. Celle-ci s’aligne sur les recommandations pour la prévention des émissions lumineuses de l’Office fédéral de l’environnement. Confronté à une crise énergétique, le Conseil d’État a éteint depuis décembre 2022 l’éclairage public de six tronçons de routes cantonales, le tout pour consolider sa politique d’économie d’énergie. Ces mesures sont – à l’exception de certains sites stratégiques sensibles – toujours en vigueur, démontrant l’engagement continu du canton à agir de manière durable et responsable. Interview de Radiance 35 avec Raphaël Girouard, directeur de l’antenne marseillaise de Radiance 35. Avec Isabelle Corten, ils ont accompagné le canton de Genève dans cette démarche participative en éclairage public.
Qu’est-ce qu’OptimaLux ?
Raphaël Girouard : en Suisse, le projet OptimaLux a été lancé suite à une étude préliminaire réalisée par un groupement incluant :
- un concepteur lumière : Concepto,
- des écologues : Biol conseils,
- un bureau d’ingénierie : SD ingénierie.
L’objectif était de réduire les consommations d’énergie. L’analyse multicritère a montré que la solution la plus efficace et équilibrée était l’extinction directe des luminaires. Une solution radicale, sans technologie, pour avancer. Nous avons aidé le canton à formuler précisément le concept même du projet, à travers une question simple qui pose les bases d’un nouveau postulat. C’est une nouvelle façon de considérer l’éclairage public en ville : « si on éteint tout, que doit-on absolument rallumer ? »
Qui est impliqué dans cette extinction de l’éclairage public ?
Raphaël Girouard : Dans le canton de Genève, ce projet est dirigé par la Direction de l’entretien des routes (DER) de l’OCGC – l’Office cantonal du génie civil. Il implique aussi beaucoup d’autres services. De plus, OptimaLux met en œuvre ses mesures sur 45 communes, 266 km de voirie et plus de 8 500 points lumineux sur l’ensemble des routes cantonales autour de Genève. Donc, l’objectif assumé, c’est de supprimer les points d’éclairage public à une échelle de 2 à 5 ans, pas de faire une extinction au cœur de la nuit !
Quid de la démarche participative dans OptimaLux ?
Raphaël Girouard : Le canton au départ n’attendait pas de notre part une démarche participative pour ce projet, mais une application technique des principes développés par l’étude préliminaire. Ce n’est que plus tard que nous avons pu les convaincre des vertus d’une telle démarche.
La guerre en Ukraine et la crise énergétique en 2022 ont précipité l’application du projet en Suisse sur 7 tronçons, avant même la finalisation de notre étude basée sur une démarche participative. Avec le recul, on se rend compte que ces premières extinctions n’ont pas toutes été comprises ou acceptées.
Comment l’agence Radiance 35 est-elle intervenue ?
Raphaël Girouard : Pour mettre en œuvre le projet, Radiance 35 a collaboré avec le canton en proposant une approche participative. Nous avons travaillé avec six communes représentatives du canton. Elles ont été choisies selon plusieurs critères tels que la situation géographique par rapport au lac Léman, le type d’urbanisation, la population et même les tendances politiques.
D’octobre à décembre 2022, chacune de ces six communes ont participé à deux ateliers de travail, incluant :
- une marche nocturne, où l’on éteint l’éclairage public, avec des experts de la biodiversité.
- un atelier en salle le lendemain avec une carte mentale et un jeu de rôles, pour réfléchir avec les participants sur leur expérience de la veille, et générer de nouvelles idées.
L’Office cantonal de l’agriculture et de la nature (OCAN) a été partie prenante du projet, très impliqué dans cette démarche participative, grâce entre autres aux membres du CCO-G, spécialistes des chiroptères. Nous avons ensemble perfectionné la méthodologie au fil des ateliers.
Qui était associé à ces ateliers participatifs ?
Raphaël Girouard : Initialement, ces marches et ateliers étaient destinés uniquement aux services techniques des communes. Cependant, ces dernières ont approuvé notre idée d’ouvrir ces initiatives à l’ensemble de la population.
Comment s’est passée l’élaboration de la matrice ?
Raphaël Girouard : Après chaque atelier, une analyse transversale mettait en lumière les principaux facteurs contribuant à un sentiment de sécurité. C’est à travers ce travail collaboratif et la démarche participative que nous avons pu identifier des critères objectifs et subjectifs importants, bien que le résultat se résume finalement à trois lignes essentielles dans un tableau.
Ces lignes englobent des aspects tels que la perception des limites ou le confort visuel, qui se basent sur des témoignages sensibles de participants. Ils n’auraient pas émergé sans l’approche participative.
De manière synthétique, nous avons proposé une matrice au canton pour procéder à l’extinction. Il a été heureux de voir se formaliser, à travers un outil concret, leur volonté de pouvoir argumenter, de façon presque irréfutable, leur volonté de suppression des éclairages.
Quelles sont les zones d’exception en éclairage public ?
Raphaël Girouard : Sur les routes cantonales, des zones comme les passages piétons, leurs zones d’approche, les quais des transports publics – tramway et certains arrêts de bus – ou encore les passages sous voies, restent éclairées la nuit. Le tout pour des raisons de sécurité, en conformité avec les pratiques en vigueur. A ces zones « sans débat » s’ajoutent toutes celles que la matrice a permis de « rallumer ». Au total, ce sont 48% des éclairages qui ont été rallumés, dont 96% sans passer par la matrice, et 4% grâce à la matrice, soient un peu plus de de 150 points lumineux.
Par là même, elle contribue à une meilleure visibilité et sécurité dans les zones critiques, tout en respectant les directives d’extinction nocturne de la DER de l’OCGC. En bref, c’est aussi 4 % de plaintes en moins pour les communes, car si ces 150 points avaient été éteints, ça aurait été un sacré tollé !
Comment Radiance 35 a-t-elle défini ces zones allumées ?
Raphaël Girouard : Sans obligations légales ou normatives spécifiques, ces zones d’exception nécessitent une attention particulière. La matrice indique, via des critères objectifs et subjectifs totalisant plus de 10 points, qu’il est préférable de maintenir l’éclairage allumé dans certains endroits. Par exemple, près des zones d’activités ou des établissements scolaires sans passage piéton. Éteindre les lumières dans ces endroits pourrait avoir des conséquences négatives.
Quand les six tronçons de route cantonale ont-ils été éteints ?
Raphaël Girouard : Entre décembre 2022 et mi-2023, le projet a été appliqué sur six tronçons soigneusement sélectionnés, selon leur faible usage et leur sensibilité écologique, notamment. Bien que les réalités de chaque lieu soient différentes, les routes cantonales éteintes sont : la route du pont Butin, la route de Meyrin, la route du Bois-de-Bay, la route de Satigny, la route de Thonon et la route de Lausanne.
Où en est le projet OptimaLux actuellement ?
Raphaël Girouard : Actuellement, la quasi-totalité des communes a été consultée par un bureau d’études concernant l’application du projet OptimaLux. Nous sommes dans une phase d’expérimentation d’un an pour évaluer l’impact de cette initiative malgré la motion en cours déposée par une députée. Si cette dernière est jugée fondée et a un impact conséquent, elle pourrait entraîner une suspension temporaire du projet. Il n’existe pas de solution parfaite ; on ne peut qu’allumer ou éteindre l’installation, sans option intermédiaire viable.
En quoi consiste la phase d’adaptation prévue ensuite ?
Raphaël Girouard : Initialement, le canton avait planifié une phase d’adaptation où la question de l’éclairage s’orienterait non plus vers le « où éteindre/éclairer » mais plutôt vers le « comment ».
Cette phase de test cruciale permettrait d’identifier les points à améliorer et de déterminer les modalités d’éclairage de ces zones, notamment en termes de teintes, de luminosité, de temporalité et de technologie. Tout cela précéderait la mise en œuvre complète du projet OptimaLux, à condition que sa phase de test soit concluante. Pour l’heure, la phase d’adaptation n’est pas d’actualité pour le canton, à ce que je sais.
Pourquoi le pont Butin a-t-il été rallumé ?
Raphaël Girouard : Le pont Butin franchit le Rhône entre Lancy et Vernier, à l’ouest de Genève. Il fait actuellement l’objet de discussions en lien avec l’extinction puis le rallumage de son éclairage après des plaintes. En Suisse, les plaintes et postulats sont pris très au sérieux. Ils peuvent influencer les décisions politiques.
Le projet OptimaLux, qui visait à modifier l’éclairage du pont, a été suspendu en raison d’une motion déposée devant le Grand Conseil par une députée partiellement tétraplégique et malvoyante (et athlète paralympique !) ayant exprimé ses inquiétudes après une expérience nocturne à vélo. Le projet est en réexamen, et son avenir reste incertain. Les développements sont couverts par la presse, bien que les résultats finaux ne soient pas encore connus [N.D.L.R. Interview réalisée le 10 juin 2024. Le Canton de Genève annonce le 28 juillet 2024 la poursuite des extinctions du réseau d’éclairage public situé sur le domaine public cantonal.]
Comment la ville de Genève appréhende-t-elle sa trame noire ?
Raphaël Girouard : Avant ces premiers retours d’expérience d’OptimaLux, la ville de Genève a révisé son plan lumière de 2019 à 2023 avec Radiance 35. En outre, l’objectif était de définir une trame noire et ses implications, jusqu’à l’éventuelle extinction complète de l’éclairage public.
Dernièrement, la ville de Genève a pris une initiative intéressante en décidant d’éclairer uniquement les voies de mobilités douces (trottoirs, bandes et pistes cyclables, mais plus les routes). Il est donc officiellement prévu d’augmenter progressivement l’éclairage de ces voies à travers divers projets. C’est un changement significatif dans la politique d’éclairage public.
Qu’en est-il de l’éclairage public dans la ville de Genève ?
Raphaël Girouard : Jusqu’à présent, une partie importante de l’éclairage est réalisé par caténaires, avec des luminaires centraux. Les nouveaux projets envisagent toutefois une approche différente pour améliorer la mobilité et l’éclairage, ce qui nécessitera une révision complète du système d’éclairage actuel. Cette transition se fera graduellement au fil des projets d’aménagement urbain.
Un exemple de projet de restauration de la trame noire ?
Raphaël Girouard : Oui, nous travaillons activement à la restauration de la trame noire à Genève et nous étions prêts à passer en phase de test sur trois sites stratégiques, donc la petite rade, le cœur actif de la ville. Malheureusement, ils ne se dérouleront pas cette année en raison d’un timing trop serré qui ne permet pas de valider certains paramètres, comme l’heure d’extinction des éclairages par exemple. Nous étions ouverts à la négociation avec la ville, mais cela n’a pas abouti dans les temps impartis. Cette situation, comme pour Optimalux, met en lumière le poids des décisions politiques dans la gestion de projets environnementaux.
Interview réalisée en visioconférence par Vincent Laganier le 10 juin 2024.
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Photo en tête de l’article : Raphaël Girouard, paysagiste, urbaniste de la nuit, concepteur lumière, chef agence Sud – portrait, OptimaLux © Radiance 35