Philippe Hutinet : éducation à la conception lumière
Comment enseignes-tu la lumière ? Qu’est-ce qui est pour toi essentiel dans ce que tu transmets ?
Philippe Hutinet : je dois d’abord préciser une chose. J’ai toujours regretté que toutes mes interventions dans le domaine de l’enseignement soient de trop courtes durées.
Donc, je vais te dire comment j’aimerais enseigner la lumière et ce qui devrait en être l’essentiel.
Par exemple, la licence Conception et management en éclairage proposée par l’IAE, où j’ai prodigué durant trois ans des cours centrés sur le Plan Lumière, totalisait 40 heures par an. C’est bien évidemment trop court. Si la finalité est bien évidemment la structure et la méthode d’établissement d’un dossier de ce type, et pour qu’elle soit parfaitement comprise et intégrée par les élèves-apprentis, il est nécessaire d’avoir le temps d’aborder préalablement toutes ses composantes que sont les aspects politiques, géographiques, historiques, sociologiques et culturels liés à toute ville présente sur les cinq continents. Il est totalement illusoire de penser qu’une ville occidentale s’aborde de la même façon qu’une ville africaine ou orientale. Or, chacun de ces thèmes nécessite au minimum dix heures de cours.
Ensuite, il est nécessaire que les élèves-apprentis soient mis en situation de concevoir et de réaliser un projet de mise en valeur pour qu’ils touchent du doigt les exigences de la conception et les contraintes multiples de la réalisation. Et c’est seulement après que tous ces points ont été travaillés et réellement assimilés par l’auditoire que l’on peut aborder de façon pertinente et efficace l’étude et la réalisation d’un dossier Plan Lumière.
Pour qu’une telle formation atteigne un niveau satisfaisant il faudrait qu’elle se développe sur 100 à 120 heures et non 40 comme actuellement.
Que penses-tu de la mise en place d’un Master de conception lumière en France ?
Philippe Hutinet : malgré ce que j’ai pu dire précédemment, je ne peux que m’en féliciter. Toute formation liée à ce secteur d’activité est bien évidemment la bienvenue. Ce que je regrette, c’est qu’il s’agit, là encore, d’une formation limitée à un an. Ce qu’il nous manque c’est une formation de longue durée, de 3 ou 4 ans, débouchant sur un diplôme d’état à l’instar des architectes et paysagistes.
Pourquoi en France, comme en Allemagne ou en Angleterre, la profession aborde peu la lumière naturelle dans les projets ?
Philippe Hutinet : mais tout simplement par l’absence de formation, digne de ce nom et diplômante, que j’évoquais précédemment. Cet enseignement n’existant pas, l’éclairage naturel reste le pré-carré des architectes français.
Quel serait le lieu le plus adapté pour accueillir une telle formation de la conception lumière ?
Philippe Hutinet : compte tenu de sa situation géographique au sein de l’Europe, je pense qu’elle devrait être mise en place sur l’agglomération lyonnaise et en particulier à l’Ecole d’Architecture de Lyon.
Inclure cette formation diplômante au sein de cette école d’architecture permettrait de créer les passerelles indispensables à la compréhension mutuelle, entre architectes et concepteurs, qui aujourd’hui fait souvent défaut. De plus, la proximité immédiate avec l’ENTPE ainsi qu’avec le CEA et le CSTB, basés à Grenoble, compétents en matière d’éclairage urbain. Des liens avec chacune de ces structures doivent être établis pour cette formation.
Sans oublier le Cluster Lumière à Lyon et le OLAC situé à 45 minutes de l’agglomération lyonnaise.
Pourquoi trois ans ?
Philippe Hutinet : c’est une estimation de durée au regard des compétences transversales à acquérir pour que ce métier prenne enfin ses lettres de noblesse.
En vrac et non limitatif : outre les connaissances purement techniques en optique, ainsi que pour les appareils, les sources, les systèmes de gestion, les protocoles de commandes, les règles élémentaires en électricité… il doit y avoir des modules relatifs à la politique de la ville, à l’urbanisme, l’architecture, l’histoire de l’art ainsi qu’à la sociologie. Les étudiants devront également, à minima, aborder l’éclairage naturel et se pénétrer des recherches menées par le CEA par exemple. Pendant leur cursus, ils devront être aussi confrontés, à plusieurs reprises et sur des sujets différents, à la conception et à la réalisation de projet. Des rencontres devront aussi avoir lieu avec l’École des Architectes-Paysagiste de Versailles et d’autres structures d’enseignements de niveau équivalent. Enfin, les six derniers mois seraient consacrés à la réalisation des mémoires de fin d’étude comme pour les architectes.
Quelle est la valeur d’un diplôme ?
Philippe Hutinet : un diplôme d’État sanctionne une fin d’études. Il prouve que la détentrice ou le détenteur de ce diplôme a suivi avec succès la formation considérée. Il indique par conséquent que son terrain a été cultivé et préparé à être fertile et prospère mais il est simplement préparé. J’ai toujours dit, lors de mes interventions, que quelle que soit la qualité de l’enseignement qu’il a reçu tout étudiant doit considérer, lorsqu’il quitte l’établissement, qu’il ne sait rien par rapport à la réalité quotidienne de la profession à laquelle il se destine.
Elle ou il acquerra ses vrais compétences en travaillant pendant quelques années au moins à l’intérieur d’une ou plusieurs structures existantes.
Que penses-tu de l’image de la conception lumière française à l’étranger ?
Philippe Hutinet : le savoir-faire français en la matière est apprécié et suivi à l’étranger. Nous avons une façon particulière d’aborder la problématique lumière, tant en indoor qu’en outdoor. Pour la grande majorité des étrangers, la « Culture » c’est français. Comme l’architecture est une des expressions culturelles et que la lumière y est particulièrement attachée, il n’y a qu’un pas pour considérer que la lumière française est une référence. Le problème est que la majorité d’entre nous ne savons pas nous vendre à l’international. Ça, c’est aussi culturel !
Quel est alors l’objectif de la lumière ?
Philippe Hutinet : en guise de conclusion, je dirais que la lumière doit être
- Émotion,
- Plaisir
- et Bien-être.
Si au moins une de ces caractéristiques n’est pas au rendez-vous, c’est que le projet est loupé.
Que l’on se comprenne bien, ces trois critères sont certainement les plus difficiles à satisfaire surtout lorsque l’on s’adresse à un très grands nombre d’observateurs aux âges, origines et cultures variés.
Propos recueillis par Vincent Laganier
24 juillet 2012 à Lyon, France
Poursuivre l’interview de Philippe Hutinet
- Concepteur lumière, un métier
- La scène, du théâtre à l’opéra de Lyon
- Effets, nuances et qualité de la lumière
- Réalisation lumière et les femmes
Photo en tête : Rotonde de la Villette, Paris – Conception lumière : Louis-Clair, Light Cibles © Vincent-Laganier
Lieu
- Philippe Hutinet
- Beaurepaire, France