Philippe Hutinet : la scène, du théâtre à l’opéra de Lyon
Comment as-tu commencé dans la lumière ?
Philippe Hutinet : c’est une longue histoire qui remonte au milieu des années soixante. Electricien de formation, mon premier contrat, au sein d’une toute petite compagnie théâtrale du sud de la France, a été un poste d’électricien de scène. Etant le seul technicien, j’ai tout de suite été dans l’obligation de concevoir, réaliser et restituer chaque soir les éclairages de scène.
Quelques treize ans plus tard, j’ai créé mon premier éclairage scénique pour une scène nationale de la région parisienne. Depuis lors, je n’ai cessé de concevoir des éclairages pour le théâtre, la danse, l’opéra ainsi que pour un court métrage et quelques captations télévisuelles.
Comment travaillais-tu la lumière à l’Opéra de Lyon ?
Philippe Hutinet : à chaque fois que je devais intervenir sur une œuvre et selon les décors dessinés par le décorateur, je me nourrissais notamment des peintres. Par exemple, pour Cosi fan tutte de Mozart en 1986 à l’Opéra de Lyon, c’est Murillo et notamment son tableau Le jeune mendiant de la collection du musée du Louvre à Paris qui m’a inspiré.
Le rapport entre la lumière solaire et l’ombre, à la fois franche et profonde, de ce tableau m’ont
profondément touché et inspiré, pour la conception des éclairages de Cosi, œuvre lyrique très « solaire » s’il en fût.
Fort de l’orientation esthétique choisie ainsi qu’en fonction du décor et de la mise en scène, je déterminais les projecteurs à utiliser, leur quantité ainsi que leur position dans l’espace en établissant ce que l’on appelle le « plan de feux ». Ensuite venaient le temps des réglages et de la construction des effets lumineux sans oublier les « top » à fixer précisément sur la partition.
Qu’en était-il de la technique à cette époque là ?
Philippe Hutinet : la très grande majorité des projecteurs utilisés pour l’éclairage scénique était équipée de lampe à incandescence. Nous avions aussi à notre disposition quelques projecteurs équipés de lampes à décharge de type HMI et également des ensembles de réglettes avec des tubes fluorescents. Les économies d’énergie n’étaient pas, à cette époque, au centre des préoccupations.
Je me souviens avoir fait vibrer le transformateur de l’Opéra de Nantes, situé à l’époque au troisième dessous de scène. Pour Falstaff, j’avais fait installer environ 400 projecteurs. La majorité d’entre eux fonctionnait simultanément car au lieu d’avoir un projecteur sur une zone, fonctionnant à 80 % par exemple, j’en mettais deux en les faisant travailler à 40 %. Cette manière de faire me permettait d’obtenir une « épaisseur » lumineuse et un « grain » de lumière particuliers.
Quels sont les plus beaux souvenirs de ta carrière ou de tes expériences que tu as vécues avec la lumière ?
Philippe Hutinet : durant les étés 1974 et 75, on m’avait proposé d’assurer seul la technique son et lumière du Festival des Châteaux et Hauts Lieux de Bourgogne (festival itinérant). Il s’agissait d’investir des châteaux, des églises, des chapelles, des cloîtres dans lesquels un spectacle musical ou théâtral était donné pour une soirée. Outre l’aspect scénique, je devais aussi sécuriser l’accès du public, en éclairant le cheminement emprunté par les spectateurs et, si je le pouvais, mettre en lumière une partie de l’édifice qui accueillait la manifestation. Sans prétention aucune, je me suis amusé à mettre un projecteur par-ci, par-là pour mettre ces lieux en fête. C’est vrai que j’y ai pris beaucoup de plaisir. Le temps a passé et ce plaisir c’est transformé en passion, en devenant une activité professionnelle à compter de février 1988.
Quand as-tu décidé de te mettre à ton compte ?
Philippe Hutinet : j’étais à l’époque Directeur de Production de l’Opéra de Lyon et du Festival d’Aix-en-Provence. Je m’empresse de dire que je dois tout au monde du spectacle qui a fait de moi ce que je suis, donc je ne renie absolument rien.
A un moment, j’ai été fatigué par la pression énorme, permanente et quotidienne, que j’avais sur les épaules, aussi bien à Lyon qu’à Aix, et des mille et un problèmes à régler chaque jour. Certains pertinents et nécessaires mais beaucoup d’autres qui étaient plus de l’ordre du caprice d’artistes. J’ai ce que l’on pourrait appeler « péter » un câble et donc décidé d’arrêter cette aventure de 20 ans.
C’est exactement le 2 août 1985, après avoir fermé les portes de l’Archevêché d’Aix, que j’ai pris cette décision.
L’idée que l’espace urbain allait devenir mon futur tas de sable s’est très vite imposé à moi. L’expérience évoquée précédemment n’y est bien sûr pas étrangère. J’ai tâtonné pendant deux ans et demi et puis je me suis lancé dans l’aventure tout début 88.
A cette époque, nous étions quelques pionniers qui ne se connaissaient d’ailleurs pas ou peu. Il y avait principalement Yann Kersalé, Roger Narboni, Laurent Fachard, Alain Guillot, Louis Clair…
Propos recueillis par Vincent Laganier
24 juillet 2012 à Lyon, France
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Lieu
- Philippe Hutinet
- Beaurepaire, France