Régis Mathieu, une restauration des lustres brillante
Mathieu lustrerie est une institution dédiée à la transmission et au partage des connaissances sur les lustres. Couvrant toutes les époques du Moyen Âge à aujourd’hui, l’atelier se focalise sur l’éducation du grand public. Ainsi, la lustrerie est accessible gratuitement, sur réservation. Elle propose des visites guidées où le public peut observer les artisans au travail et apprendre l’histoire des lustres afin d’en repartir enrichi d’une véritable culture des lustres. Entre restauration et éclairage LED, comment l’atelier a-t-il restauré ceux de Notre-Dame de Paris ? Rencontre avec le fondateur et dirigeant passionné de Mathieu Lustrerie.
Comment avez-vous été associé au projet de Notre-Dame ?
Régis Mathieu : Nous sommes impliqués depuis longtemps avec Notre-Dame, ayant restauré plusieurs fois ce monument. C’est le cas du lustre de la nef et d’autres grands lustres qui, heureusement, ont été préservés de l’incendie, car ils étaient exposés à la basilique cathédrale Saint-Denis. Notre expérience témoigne de notre implication et de notre expertise.
Quelle était la demande de l’architecte des bâtiments historiques ?
Régis Mathieu : Dans ce chantier particulièrement complexe de Philippe Villeneuve, la principale difficulté rencontrée a été la pollution des lustres au plomb.
Avant de pouvoir les déplacer, nous avons dû effectuer cette dépollution. C’était crucial pour nous, car il s’agissait aussi d’une première, bien différente de nos habitudes. C’est ma fille qui s’en est chargée. C’est son premier projet qui a marqué son entrée dans ce domaine.
Entre restaurer ou refaire les lustres, quelle option a été choisie ?
Régis Mathieu : Le deuxième travail consistait à décider si nous devions restaurer, nettoyer et conserver un maximum d’éléments, ou si nous devions les refaire à neuf. Pour cela, nous avons testé notre intervention sur un élément peu endommagé, situé à l’écart du centre de Notre-Dame. Nous l’avons nettoyé, ce qui a révélé beaucoup de patine et bien sûr le vernis spécifique des lustres. Malgré les dommages, l’aspect global restait acceptable.
Comment s’est passé le test d’un lustre restauré dans la cathédrale ?
Régis Mathieu : Lorsque nous avons testé ce lustre dans la cathédrale avec l’architecte en chef Philippe Villeneuve, nous avons rapidement constaté qu’il ne convenait pas du tout au nouvel éclat blanc de Notre-Dame. Nous avons alors choisi de rénover un des lustres les plus endommagés pour le restaurer dans son état d’origine le plus clinquant possible, conformément à ce que Viollet-le-Duc envisageait au XIXe siècle, c’est-à-dire des lustres qui nous font lever les yeux et aller vers les vitraux, comme une étoile suspendue au plafond.
Quelles ont été les étapes pour redonner aux lustres leur état d’origine ?
Régis Mathieu : Nous avons exploré les illustres dessins de Viollet-Le-Duc. Nous avons pu étudier les différents aspects des verres et des vernis, identifiant les zones brillantes et mates, ainsi que les interactions entre la réflexion et l’absorption de la lumière dans les pièces du lustre.
Après avoir réalisé un lustre presque à l’identique pour la restauration, le second essai s’est révélé parfait. Il ne nous restait alors plus qu’à restaurer les autres, en utilisant nos analyses comme base de travail.
Quelles sont les références du vernis et la couleur de la patine ?
Régis Mathieu : Dans la salle capitulaire de la sacristie, qui n’a pas brûlé, il n’y a pas eu d’effet du temps. Nous avions les lustres avec le bon vernis et la bonne couleur, notamment les appliques. Chaque fois que l’on finissait un lustre, nous avions un objet non restauré de la cathédrale avec lequel comparer, ce qui nous assurait la justesse de notre restauration.
Quel est le vernis utilisé sur les lustres ?
Régis Mathieu : Les lustres sont en bronze, que nous appelons vernis. C’est dans le décor. Le vernis est composé de gomme laquée et de Jaune de Chrome teinté ou de rouge, ce qui réchauffe la teinte.
Qu’est-ce qui n’allait pas ? L’aspect esthétique restauré ?
Régis Mathieu : Oui, la patine était trop abîmée. Surtout quand vous récupérez quelque chose d’une cathédrale toute noire, sale et crasseuse après son incendie. Vous le ramenez dans un univers tout blanc parfait, restauré et doré. Vous n’êtes pas sûr que votre travail va s’intégrer. Et là, c’était le cas. En fait, la cathédrale a demandé que l’on restaure tout à neuf.
Ce qui change beaucoup, c’est surtout la pierre qui n’avait pas été nettoyée depuis des siècles. Avec la restauration, elle est redevenue très claire, comme la cathédrale de Nantes avant qu’elle ne brûle.
Régis Mathieu : Oui, exactement, nous sommes dans cette situation, nous devons rester fidèles à ce que nous savons faire. C’est toujours de la restauration, mais il nous faut harmoniser avec l’ensemble. Faut-il garder une patine pour la cohérence avec le monument ou retrouver l’état neuf ? Dans un chantier, il est rare que l’on nous demande de remettre à neuf. Il faut qu’il se soit passé quelque chose de spécial. Pour les pierres, par exemple, nous n’avons pas simplement retiré la saleté. Nous avons travaillé pour qu’elles retrouvent leur blancheur.
Comment était l’intérieur de la cathédrale Notre-Dame de Paris au Moyen Âge ?
Régis Mathieu : Imaginons-la avant, toute colorée de peinture à l’intérieur. Elle est devenue blanche au XIXe siècle. Les lustres vont contrebalancer cette blancheur, attirant nos regards vers le haut, vers les vitraux et vers les cieux. Nous avions une volonté de créer un objet éclatant et très brillant.
Les lustres ont donc été restaurés avec le faste voulu par Viollet-Le-Duc pour leur redonner leur éclat d’origine. Ils se composent d’une architecture classique, avec une couronne ornée de feuilles Un vrai carrefour entre l’art et la nature.
Comment avez-vous intégré les sources électriques ?
Régis Mathieu : À l’époque de la conception des lustres, des bougies éclairaient l’intérieur. C’était même avant l’utilisation du gaz. Les lustres étaient donc conçus pour des bougies en cire. C’était très facile de revenir à cette couleur de lumière. Mais ici, le clergé a imposé d’intégrer un module de lumière LED biteinte qui correspondait aux besoins spécifiques de l’éclairagiste. Pour une fois, ce n’est pas nous qui avons eu la main sur la lumière.
Pourquoi des LED spécifiques ont-elles été intégrées aux lustres ?
Régis Mathieu : Pour la bonne et simple raison, selon la liturgie, la lumière des flammes change de couleur. Ainsi, vous pouvez avoir des flammes blanches, puis elles auront la couleur d’une bougie.
Quelle était l’implantation lumière de ces lustres, à l’origine ?
Régis Mathieu : À l’origine, ils étaient situés dans la nef de Notre-Dame de Paris, pas dans les arches latérales où ils se trouvent aujourd’hui. Puis dans la cathédrale Saint-Denis où nous avons posé il y a quelques années, le grand lustre qui était à l’origine au milieu de la croisée de la nef et du transept de Notre Dame de Paris.
Pourquoi ces lustres ont-ils été déplacés entre les arches latérales ?
Régis Mathieu : À Notre-Dame, ils ont été déplacés au début du XX siècle, réduisant de moitié le nombre de bougies, pour illuminer le chœur de l’église. Le projet initial était de remettre les lustres dans le chœur, mais au cours des travaux, il a été décidé de les laisser dans les arches latérales, comme au XXe siècle, contrairement aux arrangements du XIXe de Viollet-Le-Duc.
Pourquoi le nombre de bougies sur chaque lustre a-t-il changé ?
Régis Mathieu : Nous avons tout de même recréé les bougies pour chaque lustre, conformément à la commande initiale et ajouté 50 % de nouveaux bougeoirs pour revenir à l’état du XIXe siècle. Il y a donc deux fois plus de bougies qu’au XXe siècle, soit une quarantaine de points lumineux aujourd’hui.
Comment l’électricité est-elle arrivée dans ces lustres au XXe siècle ?
Régis Mathieu : L’arrivée de l’électricité était vue comme une modernité excitante. Malheureusement, cela a mené à des modifications regrettables sur les lustres, comme l’ajout de simples douilles où étaient fixées des ampoules dirigées vers le bas, altérant leur esthétique originalle. Aujourd’hui, notre perception a changé et nous valorisons davantage la préservation des détails authentiques des lustres et reconnaissons leur richesse esthétique.
Dans quelle matière fabriquez-vous les bougies de ces lustres ?
Régis Mathieu : La partie bougie est en aluminium. Cependant, il y a une patine dessus. Le tube en aluminium est peint à la couleur de la cire. Donc, nous perdons le côté translucide d’une vraie bougie.
Comment éclairez-vous d’habitude les lustres avec des bougies ?
Régis Mathieu : Nous avons un brevet sur une ampoule, mais il n’est pas utilisé à Notre-Dame car la lumière doit changer de couleur. Nous avons trois puissances différentes avec un fourreau en silicone qui imite parfaitement la cire. On garde le côté translucide d’une bougie, mais on peut jouer avec la couleur de la flamme, elle reste celle d’une flamme. Pour beaucoup de nos clients dans des châteaux et des institutions, c’est un détail important.
Quel souvenir garderez-vous de cette restauration de Notre-Dame ?
Régis Mathieu : La restauration de Notre-Dame nous a plongés dans une époque où des métiers comme les tailleurs de pierre et les charpentiers étaient essentiels. Nous avons redécouvert des techniques anciennes et recréé l’histoire plutôt que de simplement la préserver.
Ce projet symbolique a uni tous les compagnons impliqués, partageant une profonde émotion, qui plus est, au service de Dieu. C’est encore plus symbolique. Cela soulève aussi une question : sommes-nous aujourd’hui capables de reconstruire une cathédrale médiévale ? En France, la réponse est probablement un oui retentissant.
Pourquoi avoir réalisé une exposition sur les lustres Notre-Dame ?
Régis Mathieu : Mathieu Lustrerie et son équipe de communication ont été sollicités par le magazine La Fabrique de Notre-Dame de Paris de l’établissement public pour exposer les lustres de la cathédrale à Gargas dans le Lubéron. Nous avons créé une exposition intitulée Reconstruire Notre-Dame dans une grande salle de 1 000 m² et 14 m de hauteur, recréant l’ambiance originale des lustres.
Les visiteurs étaient émus et disaient ressentir l’éclat de Notre-Dame. Des archives avec des dessins de Viollet-Le-Duc révélant l’inspiration derrière les designs des lustres étaient également exposées. Nous voyons vraiment l’inspiration des lustres, la feuille avec un enroulage. Cette exposition a changé la perception des visiteurs sur les lustres de Notre-Dame, enrichissant leur compréhension de l’histoire et du design de la cathédrale.
Combien de luminaires ont été restaurés pour Notre-Dame ?
Régis Mathieu : Nous avons restauré plus d’une centaine de produits, notamment des appliques des piliers latéraux, des lustres entre les arches de la nef et dans les chapelles, deux candélabres du chœur et des appliques autour du chœur. Le travail le plus important a été réalisé sur les lustres, car ils étaient très endommagés.
Quelle est la source d’inspiration des appliques ?
Régis Mathieu : Je n’ai travaillé qu’en me basant sur les travaux de Viollet-le-Duc. Tous les luminaires datent de cette époque à Notre-Dame. Par exemple, une applique en forme de dragon pas trop stylisé qui crache quelque chose qui se divise en trois pour tenir des bougies. Elles évoquent un charmant décor gothique. Ce dragon crachant du feu symbolise un style de représentation typique de cette période. Nous le retrouvons également dans les gargouilles et les motifs végétaux.
Quelle source lumineuse est choisie pour les appliques ?
Régi Mathieu : N’en déplaise aux dragons, il y a 3 bougies. Mais toutes les sources lumineuses qui étaient des bougies au temps de Viollet-Le-Duc ont été uniformisées par l’éclairagiste en LED biteinte. Elles seront blanches à la demande.
Que pensez-vous de l’évolution de l’éclairage des lieux de culte ?
Régis Mathieu : Dans le jeu de la lumière, l’éclairage traditionnel de la cathédrale se fait par la lumière naturelle des bougies ou celle qui traverse les vitraux. Aujourd’hui, nous cherchons à retrouver cette ambiance. Conçus par des architectes comme Viollet-Le-Duc à une époque précise, les lustres servent l’architecture en réfléchissant, absorbant ou projetant la lumière.
Nos ampoules actuelles suffisent pour éclairer des monuments historiques sans surcharger, respectant les miroirs, les dorures et les marbres qui nécessitent une lumière tamisée et bien placée. Or, le besoin moderne d’un éclairage plus intense, typique du XXIe siècle, a introduit des spots lumineux à Notre-Dame. Ils permettent de modifier l’ambiance lumineuse à souhait, sans temps d’adaptation pour les yeux. Cette évolution répond à une demande contemporaine tout en tentant de respecter les intentions originales de l’architecture et les exigences du clergé.
Quelle doit être la place de la modernité dans la lumière ?
Régis Mathieu : Malgré les débats initiaux sur la restauration à l’identique du bâtiment après l’incendie, le clergé a opté pour un choix audacieux : faire appel à des designers contemporains pour créer des designs modernes pour le mobilier liturgique. Aujourd’hui, la modernité ne cherche pas simplement à innover, mais à restituer. Ainsi, une lumière plus moderne a été réalisée. Comme nous sommes dans des monuments historiques, il y la possibilité de changer dans quelques années pour revenir à une bougie ancienne ou d’envisager la prochaine innovation. Nous parlons ici uniquement de lumière réversible.
Propos recueillis par Vincent Laganier en visio, le 18 novembre 2024.
Approfondir le sujet
- Cathédrale Notre-Dame de Paris, une reconstruction lumineuse
- Programme de la réouverture de cathédrale Notre-Dame de Paris
- Le luminaire décoratif, retour sur la journée d’étude
Photo en tête de l’article : Cathédrale Notre-Dame de Paris, eclairage intérieur, vôute en pierre calcaire, croisée de la nef et du transept, vue d’ensemble, France – Plasticien lumière Patrick Rimoux – Photo © Julio Piatti, Notre-Dame de Paris
Lieu
- Notre-Dame de Paris
- Paris, France
Livres
Rebâtir Notre-Dame de Paris, livre officiel de la restauration
Découvrez « Rebâtir Notre-Dame de Paris ». Un magnifique livre de photographie sur la reconstruction de la cathédrale. Un cadeau idéal pour les fêtes. |
Éclairage et lumière du IIIe millénaire, 2000-2050, un livre collector
Le phénomène éclairage a vécu une mutation. Ville, architecture, conception lumière, pollution lumineuse... Qu'en sera-t-il demain ? |
Le Passeur de lumière : Nivard de Chassepierre maître verrier
Nivard de Chassepierre. Le passeur de lumière, maître verrier. Découvrez cet artisan sublime, funambule oscillant entre le ciel et l'ombre. |