Sara Castagné, la conception lumière made in France
Quelle est votre parcours dans la conception lumière ?
Sara Castagné : j’ai appris le métier à Concepto, où j’ai travaillé une dizaine d’années. Début 2000, j’ai rejoint Vincent Thiesson, avec lequel nous avons grandi ensemble dans les années 90 à Concepto. J’ai collaboré avec lui durant trois années avant la création de l’agence ON, puis j’ai créé LUMINOcité début 2009. Neuf ans plus tard Concepto absorbe LUMINOcité et je deviens directrice générale, associée de Roger Narboni.
Comment êtes-vous devenue directrice générale de Concepto ?
Sara Castagné : quand on regarde ce parcours, il est logique que je sois restée dans « ma famille » ! Le fait de m’être confrontée à la création d’un bureau de conception lumière m’a fait grandir et apprendre le métier de chef d’entreprise. J’ai pu concevoir une centaine de projets dont la moitié s’est réalisée !
La structure était petite avec deux ou trois personnes à piloter, avec les mains dans toutes les opérations. Là, je change d’échelle et prends de la hauteur. Ce nouveau challenge me permet d’établir une stratégie et d’inventer une vision pour l’avenir de Concepto, à moyen terme avec Roger Narboni, et sans doute à long terme sans lui. Partager avec lui est un vrai plaisir, j’ai beaucoup de chance alors j’en profite pleinement !
Comment appréhendez-vous ce nouveau défi ?
Sara Castagné : c’est très excitant d’essayer d’anticiper les évolutions de la conception lumière et donc de l’architecture, de la construction, du paysage et de l’urbanisme ! Tous les champs sont ouverts, la route est à tracer, il faut choisir son chemin.
Beaucoup de questions se posent, à la fois sur :
- les nouvelles façons de concevoir,
- les nouvelles technologies qui seront déployées,
- les nouveaux clients,
- les nouvelles formes d’architecture,
- les nouvelles figures urbaines,
- les nouveaux designs,
- les innovations futures.
Tout ça dans un monde incertain, dont on dit qu’il ne s’est jamais aussi bien porté… et dont on présage aussi un avenir très différent, avec les conséquences du réchauffement climatique… Alors, j’écoute mon intuition qui me guide dans mes choix et je crois au développement de la conception lumière.
Il faut dire aussi que l’équipe de brillants talents est formidable !
Nous sommes 11 (sans compter les stagiaires), de 22 ans à 65 ans, avec un juste équilibre entre compétences, expériences et expertises tout en gardant une extrême fraîcheur et des énergies nouvelles.
Que pouvez-vous nous dire sur l’évolution des mentalités et des pratiques, à la fois des concepteurs et des maîtres d’ouvrage ?
Sara Castagné : deux choses contradictoires, parce que c’est complexe !
D’abord, il y a une forte évolution de la demande de compétence lumière dans les programmes, ce qui nous permet d’être appelés par des architectes, des paysagistes, des urbanistes pour rejoindre des équipes autour de projets. Les maîtres d’ouvrage publics et privés nous sollicitent aussi pour mener des réflexions globales, ou pour faire des maîtrises d’œuvre lumière. Nous vivons avec joie la prise de conscience que notre discipline valorise un projet, et pas seulement dans les projets de mise en lumière pure.
Cependant, je dirai qu’il y a encore du chemin à faire, nous sommes reconnus mais une fois qu’on nous connait ! Il est donc nécessaire que nous poursuivions le travail auprès des maîtres d’ouvrage, que nous travaillions notre notoriété auprès des professionnels maîtres d’œuvre, que nous reprenions le leadership auprès des bureaux d’études et des fabricants de matériels, ces derniers réalisant beaucoup de projets d’éclairage dont certains mériteraient un travail de conception lumière plutôt qu’une simple étude technique.
Il faudrait aussi que nous poursuivions ce qui a été initié auprès des institutionnels afin que nous soyons plus impliqués dans les décisions qui conditionnent notre métier comme les projets de lois ou de normes européennes.
Il serait souhaitable aussi que nous prolongions également notre communication auprès de la presse spécialisée dans l’éclairage ou dans les métiers de la construction et de la décoration pour diffuser plus d’articles qui montrent des projets ou parlent de savoir-faire et de pratiques.
Et enfin, je crois beaucoup au pouvoir du grand public qui nous connait peu, s’il nous identifiait à la fois comme créateur et comme expert de la lumière alors notre métier serait mieux ancré et plus attractif aussi.
Comment voyez-vous les formes d’intervention du concepteur lumière et des fabricants à l’avenir ?
Sara Castagné : je pense que c’est un challenge. Avec l’aide des fabricants de matériels d’éclairage et des fabricants d’électronique, nous avons devant nous tellement d’innovations à réaliser ! Je pense que c’est le début d’une révolution technologique et que les formes de lumière vont changer. Nous allons sortir de la forme que l’on connait depuis Edison : la source alimentée par un câble électrique. Sachant que les lois de la lumière, de l’optique et de la photométrie resteront notre base de travail.
Les fabricants ne sont vraiment pas dans la même logique que nous, nous évoluons sur des collaborations possibles mais peut-être faudrait-il réinventer une figure et trouver un enthousiasme positif à échanger et collaborer au service du projet.
Qu’en sera-t-il des besoins de la lumière pour l’homme ?
Sara Castagné : les besoins vont changer aussi. C’est pour cela qu’il faut prospecter l’évolution des modes de vie, observer le monde et partir avant tout de l’humain. Je dis humain plutôt qu’usager. L’usager est actif dans une tâche précise tandis que l’humain, qu’il soit actif, qu’il subisse ou jouisse d’une atmosphère lumineuse, il est encore plus impliqué. Nous nous soucions du bien-être du vivant depuis peu mais la tendance va s’accélérer. Il faudra donc qu’on s’adapte à tout cela. Il me semble que la dérive est de s’attacher uniquement à la technologie avant de réfléchir au besoin réel.
Les sciences et neurosciences vont nous apporter beaucoup sur la connaissance du cerveau et des effets lumineux sur l’homme. Pour cela, il faut des chercheurs qui aient envie de se pencher sur le sujet. Le professeur Christian Corbé de l’Institut de la vision m’a dit un jour que le concepteur lumière faisait les bonnes propositions en travaillant avec son intuition, et que la science servirait à valider telle ou telle observation. Tout le monde voit les effets bénéfiques d’une lumière de qualité et plutôt chaude sur le bien être des personnes, c’est un fait, la science le prouvera plus tard !
Quels sont les grands chantiers à venir concernant l’éclairage artificiel ?
Sara Castagné : les matières lumineuses, les surfaces lumineuses et les matières non lumineuses mais qui vont réagir à l’éclairage. Les formes de pilotage de la lumière artificielle et les « sources libres » qui ne seront plus attachées à un câble avec du courant électrique ! Les recherches médicales sur l’homme « augmenté » qui aura sa propre lumière intégrée. Les sources portatives et la détection de présence (ou d’absence) fine. La possibilité pour l’usager de choisir sa lumière ou son ambiance dans des espaces publics intérieurs ou extérieurs. Les conducteurs de lumière du jour pour éclairer l’intérieur des bâtiments car, la lumière du jour génère la lumière la plus aimable !
Propos recueillis par Nicolas Houel le 31 octobre 2018
A suivre…
Sara Castagné, mettre en lumière en co-conception
Approfondir le sujet
Suite de l'article
Introduction | Sara Castagné, la conception lumière made in France |
Page 1 | Sara Castagné, mettre en lumière en co-conception |
Page 2 | Sara Castagné, retour sur la présidence de l’ACE |
Page 3 | Quels sont les besoins de formation en conception lumière ? |
Lieu
- Concepto
- Bagneux, France
Quel belle interview pour cette nouvelle année.
Merci pour ce message rempli d’espoir et d’intelligence.
Longue vie à CONCEPTO et son girl power qui ne cesse de se réinventer pour faire avancer l’histoire de la conception lumière.
Une analyse fine et juste de la situation et des projets formidables notamment Le Havre et Lourdes.
Bravo Mme Castagné
Bravo CONCEPTO
A bientôt j’espère pour des éclairages et des nuits toujours plus belles
Lumineusement vôtre
Maxime
La lumière est fille du soleil
Merci de la représenter de façon si élégante