SML, quand le Studio Mathieu Lucas part du mouvement
Quand as-tu créé ton Studio Mathieu Lucas – SML ?
Mathieu Lucas : j’ai créé le Studio Mathieu Lucas – SML en 2019, après mon année de recherche à la villa Médicis. Nous tentons de partir du mouvement et des dynamiques climatiques comme point de départ pour le projet de paysage à toutes les échelles.
Quelle étude es-tu en train de réaliser à Annecy ?
Mathieu Lucas : la ville d’Annecy va connaître des îlots de chaleur très importants avec un grand nombre de journées caniculaires. Nous sommes lauréats avec l’AUC d’un dialogue compétitif pour imaginer la ville à l’horizon 2050.
SML travaille avec les vents existants, la brise de lac et les brises de vallée le long de l’arc alpin, pour tenter de perforer le centre-ville, retrouver une porosité dans le tissu urbain dense. Nous étudions également l’ensemble du réseau hydrographique du Fier et ses affluents pour retrouver des corridors linéaires et une armature de parcs ombragés le long des voies d’eau.
Jusqu’à la petite échelle d’un jardin privé ?
Mathieu Lucas : nous cherchons à révéler à toutes les échelles les dynamiques qui soutiennent le paysage. Une extension de bâtiment modifie par exemple les flux d’air et d’humidité dans les cours intérieures. Nous tentons de renforcer les effets de ventilation naturelle où révéler les mouvements d’air circulaire dans le dessin des cours et des abords.
Quel est le rôle de la géographie dans le projet d’architecture ?
Mathieu Lucas : la géographie, c’est le début et la fin de tout. C’est le support de l’habitabilité des territoires, parce qu’il y a un bassin versant, des échanges de température et de nutriments, différentes natures de sols, des variations constantes d’humidité et d’ensoleillement. La première porte d’entrée du projet d’architecture ou de paysage doit être la géographie, à toutes les échelles.
Quelle expérimentation mènes-tu avec la ville de Grenoble ?
Mathieu Lucas : nous travaillons sur un espace très exposé au sud de Grenoble, près du centre de Congrès Alpexpo. C’est un parvis très minéral. Nous avons commencé par nous questionner.
- Quelles sont les températures sur le parvis ?
- D’où viennent les vents dominants ?
- Comment retrouve-t-on de l’ombre et de l’humidité ?
- Comment retrouver des lieux d’arrêts, des assises, du confort ?
C’est toujours une approche par le mouvement et les dynamiques climatiques.
Quel design d’espace public as-tu proposé pour ce jardin climatique ?
Mathieu Lucas : la commande était de trouver une installation temporaire pour transformer cet espace pendant un ou deux ans. Nous avons proposé avec les architectes Peaks de créer un jardin climatique où l’on arrive à moduler les températures. Pour cela, nous avons installé une pépinière temporaire de 130 jeunes arbres sur la place. Ils vont s’habituer aux conditions climatiques assez rudes du lieu et être redéployés à terme sur d’autres sites de la métropole.
Les architectes ont installé une canopée sous la forme d’un grand vélum. Elle permet de créer 1 000 m2 d’ombre sur la place, autant sur la route que sur les espaces piétons et de créer un lieu ombragé confortable au cœur de la place. Nous travaillons avec UrbaSense, un bureau spécialiste de l’arbre en ville pour installer de nombreux capteurs qui permettent de mesurer, en temps réel, le rafraîchissement de l’espace public.
Combien de temps va durer cette préfiguration des espaces publics de demain ?
Mathieu Lucas : l’installation va être reproduite encore un an. Les arbres sont là pour deux ans. A priori, la toile va être démontée pour l’hiver et remontée l’été prochain. Nous réfléchissons avec la ville a une forme de pérennisation du projet.
Quelle est la place des paysagistes aujourd’hui ?
Mathieu Lucas : je crois que les paysagistes ont des outils pour renouer avec la géographie. Nous pouvons inventer d’autres narrations entre l’humain et le bâti, entre la géographie et l’architecture, entre la grande et la petite échelle. Je ne me vois pas démuni face aux questions de résilience, à une forme de culpabilité face au projet d’aménagement. Les paysagistes ont un rôle clé à jouer en étant à l’intersection des sciences de l’environnements, des aménageurs, du politique et des habitants.
Comment vois-tu l’avenir des métiers du paysage ?
Mathieu Lucas : c’est une période extrêmement trouble, mais très excitante à la fois. La totalité de ce que l’on considérait comme acquis est en plein bouleversement. De la façon d’approcher les sols, la végétation ou la question des ressources, jusqu’à la temporalité, le cycle court et le réemploi dans le projet. On voit bien que tous les outils de conception traditionnels doivent être réinventés pour apporter de nouvelles réponses.
La lumière, comme les brises ou la nature des sous-sols, fait partie de l’invisible qui permet de tout réinventer. Je suis assez persuadé qu’il faut réapprendre à avoir un rapport sensible à notre environnement, réapprendre à lire les liens entre le lointain et le proche, l’air et les sous-sols, le haut et le bas, suivre le cycle de l’eau, les cycles saisonniers et journaliers. Tout ce qui est considéré comme fragile ou immuable devient désormais la porte d’entrée du projet. Un petit vent fragile à Rome pourrait déterminer la façon fondamentale de traiter l’ombre et la lumière dans tous les espaces de la métropole.
Propos recueillis par Vincent Laganier par téléphone le 17 octobre 2022.
À suivre…
Mathieu Lucas, architecte paysagiste et concepteur d’ombre
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Équipe du projet
Lieu
- Studio Mathieu Lucas
- Paris, France
Livres
Éclairage et lumière du IIIe millénaire, 2000-2050, un livre collector
Le phénomène éclairage a vécu une mutation. Ville, architecture, conception lumière, pollution lumineuse... Qu'en sera-t-il demain ? |