Sophie Jost : métrologie sensorielle en éclairage, UGR et LED
Qu’est-ce que la métrologie sensorielle ?
La métrologie sensorielle, aussi appelée soft metrology, consiste à mettre en relation des mesures physiques avec des mesures subjectives de panels d’observateurs afin de créer des modèles ou des échelles de perception. A posteriori, ces modèles permettent de prédire le jugement des observateurs uniquement sur la base de paramètres physiques.
La métrologie sensorielle s’applique à de nombreux domaines comme l’acoustique, la thermique et bien sûr l’éclairage. La photométrie et la colorimétrie ont par exemple été définies à partir de mesures psycho-physiques.
C’est également le cas des grandeurs quantifiant l’éblouissement comme l’UGR (Unified Glare Rating).
Oui. Nous travaillons d’ailleurs (CIE JTC-7) sur un nouvel indice d’éblouissement car tout n’a pas été pris en compte dans l’UGR comme le spectre de la source ou la non uniformité des sources lumineuses. Ces problématiques se posent avec l’émergence des LED : comment quantifier l’éblouissement quand, dans un luminaire, les LED ponctuelles et de forte luminosité sont visibles, ou lorsqu’elles sont masquées par un diffuseur ?
Comment mène-t-on une expérience de métrologie sensorielle ?
Il faut d’abord définir un concept, une problématique à laquelle on s’intéresse, comme, par exemple, l’influence du spectre de la source dans la gêne liée à l’éblouissement. Puis on définit les stimuli en fonction des paramètres que l’on souhaite tester pour répondre à la problématique, par exemple la température de couleur, le flux ou la luminance de la source de lumière.
Il faut ensuite établir un protocole d’expériences psycho-visuelles. La question doit être la plus simple possible afin qu’elle soit compréhensible par tous. Un paragraphe d’explication est parfois nécessaire pour préciser une définition. Quelques stimuli dont les plus extrêmes sont présentés à l’observateur afin qu’il ait une idée de la gamme de variation. Il existe des méthodes de tests assez répandues en métrologie sensorielle comme la notation sur une échelle, ou la comparaison par paires des stimuli. L’expérience est préalablement testée afin de minimiser le plus possible les biais et s’assurer que la question est bien posée, que l’expérience n’est pas trop longue, etc.
Nous faisons ensuite passer les tests à un panel d’observateurs. Les données sont récoltées puis traitées de manière statistique. Ces méthodes d’analyse nous permettent de créer des échelles subjectives ou des modèles de prédiction de la grandeur sensorielle à partir de mesures physiques. Si ces modèles sont acceptés internationalement, ils seront à la base des recommandations en éclairage de demain, comme celles émises par la CIE.
Comment se fait le choix du panel d’observateurs ?
Tout dépend de ce que nous souhaitons montrer, mais l’âge des observateurs est par exemple très important dans la perception visuelle. Nous pouvons aussi souhaiter tester des variabilités culturelles en choisissant des observateurs de pays différents.
Nous estimons généralement qu’il faut un panel d’une trentaine d’observateurs pour obtenir un résultat exploitable. Cela peut sembler peu mais c’est suffisant lorsque l’on s’intéresse à l’influence d’un seul paramètre. En outre, ces informations sont difficiles à acquérir et il n’est pas toujours facile de constituer un panel d’observateurs. Pour cette raison, à l’ENTPE, les observateurs sont indemnisés.
Nous devons également respecter un certain nombre de règles. Toutes les données des observateurs sont rendues anonymes. Les protocoles des expériences sont soumis au préalable à un comité d’éthique qui contrôle notamment si la durée et les luminances auxquelles sont soumis les observateurs, respectent les normes.
Quels seront demain les apports majeurs de la métrologie sensorielle à l’éclairage ?
Beaucoup d’études actuelles sont liées à l’essor des LED, que ce soit pour la fidélité ou la préférence des couleurs, la quantification de l’éblouissement ou de la luminosité perçue. Les études sur l’apparence visuelle des matériaux se développent aussi beaucoup. Il s’agit de quantifier d’un point de vue perceptif, au-delà de sa couleur, la brillance, la texture, la translucidité d’un matériau. Enfin, une meilleure définition de la sensibilité spectrale de l’œil, en fonction de l’âge, pour la vision mésopique (entre chien et loup), pour le rythme circadien, constitue un enjeu important pour mieux appréhender le confort visuel dans toute sa complexité.
Propos recueillis par Lionel Simonot le 14 mai 2018.
A suivre…
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Équipe du projet
Lieu
- Ecole Nationale des Travaux Publics de l'Etat - ENTPE
- Vaulx-en-Velin, France
Livres
Les LED pour l’éclairage, fonctionnement et performances, 2e éd.
2ème édition du livre technique de Laurent Massol aux éditions Dunod. Une référence pour mieux comprendre le monde des LED pour l'éclairage. |
Lexique de l’éclairage professionnel, de Sophie Caclin
La traduction facile français-anglais en architecture, urbanisme, lumière, éclairage et communication. Découvrez le Lexique de l’éclairage professionnel. |
Coucou, c’est encore moi. Cette fois-ci pour exprimer mon opposition formelle au terme de « soft metrology » ou pour rester dans le cadre du développement de la francophonie « la métrologie douce ». Sincèrement ! C’est un comble car je me permets respectueusement de vous rappeler qu’en Français il n’y a pas de synonymes !
Amicales salutations – William.
Bonjour M. Sanial,
Merci pour vos différents commentaires. Voici quelques éléments de réponse en espérant avoir saisis le sens de vos remarques.
Le terme de « métrologie sensorielle » peut sembler, à première vue, être un oxymore. Il me semble néanmoins tout à fait approprié et dans la continuité des termes « photométrie » (métrologie de la sensation lumineuse) ou « colorimétrie » (métrologie de la sensation couleur). Rappelons que la candela est l’unité de l’intensité lumineuse perçue et est l’une des 7 unités de base du système international de mesure. L’artifice de la métrologie sensorielle est donc de traduire de manière objective une sensation par définition subjective au prix d’hypothèses et de simplifications préalablement établies (l’observateur standard CIE par ex).
Pour la fidélité des couleurs, je ne suis pas un spécialiste mais il est évident que l’ancien IRC n’était pas du tout satisfaisant, en particulier pour des éclairages LED. La nouvelle proposition validée par la CIE est le fruit d’un compromis et offre une métrique de rendu des couleurs beaucoup plus satisfaisant, que les professionnels de l’éclairage pourront utiliser.
D’autres alternatives sont sans doute valables et peut-être avez-vous des propositions à faire dans ce sens. La colorimétrie n’est pas une science morte et est ainsi faite que si, dans le futur, un nouvel indice s’avère plus satisfaisant, il pourra à nouveau remplacer le précédent.
Amicalement,
Lionel Simonot