Thomas Ebbesen et la transmission optique extraordinaire
Professeur de l’université de Strasbourg, Thomas Ebbesen a dirigé l’Institut de science et d’ingénierie supramoléculaires (ISIS, CNRS/Université de Strasbourg) jusqu’en 2012. Il est aujourd’hui directeur de l’Institut d’études avancées de l’université de Strasbourg (USIAS). Thomas Ebbesen va recevoir le 24 octobre la médaille d’or du CNRS. C’est l’une des plus prestigieuses récompenses scientifiques françaises. Elle distingue cette année le physico-chimiste franco-norvégien Thomas Ebbesen. Interview sur l’origine de la transmission optique extraordinaire.
Quel a été le contexte de votre découverte sur la transmission optique extraordinaire ?
Thomas Ebbesen : j’étais chercheur aux États-Unis et j’ai obtenu un contrat sur un programme d’échange avec le Japon. Pendant ce séjour, j’ai été embauché par le laboratoire de recherche de NEC qui à l’époque était un des leaders mondiaux dans le domaine de la télécommunication ou de l’optoélectronique. J’ai été impressionné par le dynamisme, la créativité, et les moyens financiers (10% du chiffre d’affaire) mis à disposition de la R&D. J’avais la liberté de mener les recherches que je souhaitais.
Faire de la recherche fondamentale dans une entreprise privée, ce n’est pas antinomique ?
Pas du tout ! La recherche est essentielle pour pouvoir mettre les connaissances les plus fondamentales au service de la technologie. Chez NEC, nous étions très sollicités pour breveter nos découvertes. Plus la recherche était fondamentale, plus elle permettait d’aboutir à des ruptures technologiques aux potentialités applicatives très grandes.
Depuis que les techniques de fabrication ont été largement diffusées, les entreprises électroniques traditionnelles privilégient, il est vrai, moins la « Recherche » que le « Développement ». Mais les GAFA ont pris le relai : regardez les dernières nouvelles sur l’ordinateur quantique de Google !
Comment avez-vous eu l’idée de faire des trous dans une couche métallique ?
C’est un article de Serge Haroche qui m’a inspiré. Au départ, je voulais contrôler les propriétés de la matière en la mettant dans des cavités. Suite à une incompréhension linguistique et culturelle, un japonais me fabriqua un échantillon avec 100 millions de trous dans 1 cm2. Sans doute avait-il accepté par politesse.
Il s’agissait d’une prouesse technique ?
Oui. La fabrication lui a pris plusieurs mois ! Ça reste aujourd’hui des échantillons difficiles à préparer car il faut s’assurer d’un alignement parfait des trous nanométriques, sans décalage sur une longueur d’un centimètre !
Comment vous êtes-vous rendu compte de votre découverte sur la transmission optique extraordinaire ?
Comme l’échantillon était macroscopique, j’ai simplement regardé au travers. Quelque chose n’allait pas : il y avait beaucoup trop de lumière transmise. Je ne m’y attendais pas du tout. J’en ai fait part à des théoriciens en optique de NEC. Leur première réaction a été de dire que c’était impossible.
Comment expliquez-vous cet intervalle de près de 9 ans entre le premier constat expérimental et la publication de votre article dans Nature en 1998 ?
Face à l’incrédulité de mes interlocuteurs, il a fallu :
- fabriquer d’autres échantillons afin de confirmer et de décrire plus précisément le phénomène ; et enfin,
- arriver à formuler une explication.
La compréhension que les plasmons de surface jouaient un role clé a été apportée par Peter Wolff à l’époque où je travaillais avec lui au laboratoire de recherche de NEC à Princeton. C’est à ce moment-là seulement que des brevets ont été déposés, puis que l’article a été publié dans Nature.
Il faut comprendre aussi que ce sujet ne représentait qu’une petite partie de mes activités de recherche. Il y a beaucoup de temps morts entre la fabrication des échantillons, leur caractérisation et les inévitables aléas liés aux expériences. C’est pourquoi j’ai toujours travaillé sur plusieurs projets en parallèle. A l’époque, nous menions des recherches sur le graphène et les nanotubes de carbone, domaine pour lequel nous avions obtenu des résultats également très reconnus.
Quelles sont les applications déjà effectives ou potentielles de cette découverte ?
La transmission optique extraordinaire sous forme d’un réseau de trous est utilisée sur des lasers ou comme filtrage optique pour des caméras. Une structure différente avec un trou unique au centre d’une cible périodique permet d’autres types d’applications, par exemple de sonder une molécule unique en exaltant localement certaines propriétés, ou de concevoir des photodétecteurs miniatures.
Je sais que certains « vendent des trous » pour diverses applications mais je n’ai pas une idée précise de leur étendue. Davantage que les retombées applicatives immédiates, c’est l’impact de cette découverte sur notre conception des choses qui a été reconnu internationalement. Le prix Kavli en nanoscience que j’ai reçu en 2014 conjointement avec Stefan Hell et John Pendry récompensait notre capacité à faire tomber des vérités que l’on pensait absolues.
Quels liens entre vos réseaux de trous, les métamatériaux et la promesse de créer des capes d’invisibilité ?
Un métamatériau, c’est un matériau structuré pour lui donner de nouvelles propriétés. Dans ce sens, un réseau de trous peut être considéré comme un métamatériau. Il y a donc beaucoup de recouvrements même si les matériaux utilisés ne sont pas forcément des métaux. John Pendry, l’inventeur des métamatériaux et moi faisons d’ailleurs partie de la même communauté scientifique et avons mené des projets ensemble.
Quant à la cape d’invisibilité, c’est amusant et impressionnant mais ça ne marche que pour une seule fréquence. Ça a le mérite d’ouvrir des perspectives et de montrer que l’on peut manipuler la lumière en structurant la matière.
Avez-vous finalement réalisé votre projet initial de placer des molécules dans des cavités ?
Il s’agit même d’un de mes principaux axes de recherche actuels. Contrairement à ce que l’on croit usuellement, les propriétés physiques de la matière telles que l’émission de la lumière ne sont pas seulement intrinsèques à la molécule. Elles dépendent beaucoup de leur environnement. Ainsi, en plaçant des molécules dans une cavité optique, il est possible de caler leur résonance sur celle de la cavité et de modifier, parfois sensiblement, leurs propriétés. Par exemple, on a démontré qu’on pouvait modifier la réactivité chimique, un nouveau domaine d’étude est appelé la chimie polaritonique.
On peut utiliser les réseaux de trous mais, plus souvent, on emploie des cavités plus simples constituées de deux miroirs qui se font face.
Approfondir le sujet
Lieu
- ISIS - Institut de Science et d'Ingénierie Supramoléculaires - ISIS
- Strasbourg, France
Livres
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