Interview

Vers une nouvelle stratégie marketing et communication

Coup de théâtre en 1996. Jacques Gouteyron définit une nouvelle stratégie marketing et communication pour Aubrilam. Comment vendre le bois en France ?

Que s’est-il passé à tes 40 ans pour les mâts en bois en France ?

Jacques Gouteyron : En 1996, à 40 ans, je choisis enfin de vivre selon mes désirs plutôt que de suivre les traces habituelles. Je prends la décision de vendre toutes mes entreprises et même d’en fermer, à l’exception d’Aubrilam, malgré ses difficultés financières et une équipe restreinte à l’époque. Drôle de coïncidence, j’ai toujours inconsciemment imité le modèle familial. Pourtant, j’embrasse ma propre voie : quatre enfants, la maison familiale à mon nom et l’enthousiasme de relever le défi de développer cette société.

Entrepreneur dans l’âme, l’argent n’a pas la même valeur ?

Jacques Gouteyron : Exactement. Ces idées, ces intuitions, elles sont bien fondées, et pas basées sur le hasard. Quand l’intuition paye, c’est le signe d’un flair certain. Et si elle échoue, ce n’est qu’une idée malchanceuse à améliorer.

 

 

 

Comment as-tu renforcé la confiance dans le bois ?

Jacques Gouteyron : J’y ai investi toute mon énergie et, malgré une année sans salaire et des dettes, je n’ai pas faibli. Mon intuition et ma connaissance du marché ont porté leurs fruits. J’ai développé des stratégies et compris les attentes des réseaux commerciaux. L’innovation a été clé : j’ai lancé des produits attractifs, adaptés aux réticences vis-à-vis du bois, en introduisant notamment des lanternes à succès sur nos supports non conventionnels. Ces astuces ont généré un chiffre d’affaires initial encourageant.

Marc Aurel, par exemple, nous a souvent accompagné tout au long de la vie de l’entreprise. C’est la preuve de sa compétence.

À cela, il faut rajouter que nous avions en développement le marché des terrasses McDo. Lui aussi s’est mis à se développer, grâce au travail de Marc Montrieul.

A la vente de l’entreprise, ce marché des terrasses, piloté par Marc, associé important d’Aubrilam, représentait près de la moitié du CA de la société. Bravo à lui !

Quel a été l’élément déclencheur avec EDF ?

Jacques Gouteyron : Ensuite, une opportunité incroyable s’est présentée. EDF a proposé un projet innovant pour des pylônes haute tension en bois. Esthétiques, nous les avons nommés « Grands Ducs ». Bien que ce concept unique n’ait pas été poursuivi par RTE pour le transport d’énergie (une dizaine de pylônes installés), ces pylônes subsistent. Ils attestent de notre légitimité à créer des mâts de grande hauteur de 22 m et qui résistent aux efforts permanents des tensions des câbles HT, au vent et au givre.

Mat EDF en bois lamellé-collé de 24 m, Grands Ducs, aire de la Lozère, 1996 – Fabricant © Aubrilam

Comment as-tu communiqué dans la foulée ?

Jacques Gouteyron : J’ai immédiatement créé un catalogue attrayant de mâts de grande hauteur. Notre objectif : démontrer notre capacité de fabrication jusqu’à 15 mètres et plus. Nous comptions valoriser notre expertise acquise auprès de RTE.  Cette démarche a rassuré les clients et booster la vente de nos mâts de 3 à 6 mètres.

Quel a été l’idée marketing que tu préfères ?

Jacques Gouteyron : En redéfinissant notre stratégie publicitaire pour ne plus mettre l’accent sur le bois, nous avons créé un catalogue moderne. Il mettait en avant les caractéristiques techniques, semblables à celles des fabricants de métal. Nous avons simplifié le message, en laissant les images parler d’elles-mêmes, tout en ajoutant des informations pertinentes sur la facilité de maintenance du bois. Nous avons fait une couverture couleur acier.

Catalogue couverture effet métal © Aubrilam

Cette approche a été cruciale, changeant la perception de nos clients et facteur de succès. Notre catalogue s’est transformé, marquant une évolution intelligente et stratégique dans notre communication. Elle était désormais focalisée sur l’innovation et l’efficacité plutôt que sur la matière première. Cela a permis de rivaliser avec les autres fabricants et a complètement renouvelé notre image de marque.

Utiliser les codes du secteur et les adapter à ton business ?

Jacques Gouteyron : Il est crucial en marketing de dissiper les inquiétudes des clients. Ils ont besoin d’être convaincus et rassurés par des éléments concrets, comme la qualité du bois utilisé pour nos produits et sa bonne transformation. Un bon catalogue fait une grande différence : il soulève des interrogations, mais apporte aussi des réponses rassurantes. En alliant problèmes techniques et esthétique séduisante à travers des photos de qualité, on communique efficacement. À l’image de Ferrari qui ne se contente pas de la beauté de ses voitures, mais insiste aussi sur la performance et la solidité des moteurs, nous devons mettre en avant les atouts multiples de nos produits. C’est la clé pour captiver et convaincre la clientèle que nos produits sont au-delà des images d’Épinal qu’ils ont en tête.

 

 

 

Qu’est-ce que le bois ?

Jacques Gouteyron : Le bois, un matériau essentiel depuis la création des premiers outils évoque toujours diverses images selon son usage : escaliers, portails ou poutres robustes. Les mâts, par exemple, bien que composés de bois lamellé-collé, traités avec soin, offrent une illustration de l’innovation dans le travail du bois.

Mat en bois lamellé-collé – Procédé de fabrication HTE © Aubrilam

Le bois, ce terme générique, comme le métal cache en lui une richesse et une complexité fascinantes. Il promet d’innombrables possibilités créatives.

Comment as-tu organisé la rentabilité dans l’entreprise ?

Jacques Gouteyron : Notre positionnement tarifaire et le développement du CA a permis à l’entreprise d’investir et de s’épanouir. La réussite repose sur une stratégie commerciale vigoureuse incluant :

  • marketing performant,
  • innovation produits,
  • service après-vente efficace.

Cela crée un environnement attractif pour le client, l’incitant à choisir la qualité, même à un coût plus élevé. Cette subtilité dans notre approche est cruciale pour nous démarquer et encourager un choix raffiné pour nos clients.

Un exemple sur les gares TGV avec la SNCF et AREP ?

Jacques Gouteyron : La SNCF nous a commandé 1 000 mâts pour ses trois nouvelles gares TGV de la vallée du Rhône. Aartill était l’initiateur avec des lanternes suspendues de chez WE-EF. Il a suggéré de concevoir un éclairage adapté au Sud, comme pour des terrains de pétanque. Cette idée a été discutée avec Christian Descamps, chef du service design de l’AREP, avec qui nous avons établi une collaboration fructueuse. Inspirés, nous avons conçu deux mâts uniques de 5 et 8 mètres cylindro-conique, avec une base en aluminium, bien différent de nos habituels mâts carrés de 5 mètres. Un projet prometteur était né !

Comment as-tu réalisé ces mâts en bois en fuseau ?

Jacques Gouteyron : Un jour, en faisant de la course à pied, je passe devant un terrain de sport. Je vois des tribunes avec des fuseaux en bois lamellé-collé de toute beauté. C’était exactement ce dont j’avais besoin ! À l’époque nous ne savions pas tourner le bois en grande longueur. Je prends contact avec l’architecte qui me dit avoir fait travailler l’entreprise Loubière à Trémouille proche de Rodez. J’ai rencontré Monsieur Loubière, un expert passionné de bois et possédant une usine avec toutes les compétences et ressources nécessaires pour mener à bien notre projet. Sa personnalité captivante n’a fait que renforcer notre collaboration. Un merveilleux monsieur.

Gamme de mât en bois lamellé-collé forme de fuseau, gares TGV Méditerranée – Designer Christian Descamps, AREP – extrait brochure Collection Catelam © Aubrilam

Que s’est-il passé après ?

Jacques Gouteyron : Après, on a connu un bon succès, alors on a investi dans des machines, dans les équipes. De belles embauches : certains sont toujours dans le monde de l’éclairage. Marie-Christine Campan, François Xavier Rouzet et j’en oublie.

Comment sont nés les premiers mâts bois carré avec semelle affleurante ?

Jacques Gouteyron : On me disait que c’était impossible, alors j’en ai parlé à mon équipe et à Christian Descamps, que j’avais embauché à la suite de son départ à la retraite de l’AREP. Puis j’ai discuté avec Guy Pante, un chef d’atelier pour lequel j’avais une vraie amitié, Et puis nous l’avons fait ! Aujourd’hui c’est, je crois, encore le produit le plus vendu chez Aubrilam. Simple, beau et abordable. Tout moi 😊

Mat carré en bois lamellé-collé, Moshi par Aubrilam – extrait brochure innovations 2006 © Aubrilam
ACV, PEP et eco-comparateur, projet Botanic, Beaumont – Mat métallique en rouge, Mat bois Moshi en vert – extrait revue Harmonies, Hors-série 2009 © Aubrilam

Grâce aux retours des clients ?

Jacques Gouteyron : Merci à Marie Christine Campan, talentueuse et passionnée des produits. Elle respire le marché, sait exactement comment faire prospérer une équipe commerciale et augmenter le chiffre d’affaires de manière significative.

Combien d’employés avais-tu en 2013 ?

Jacques Gouteyron : Aubrilam avait 80 employés.

Aujourd’hui, après la reprise par Bega en 2021, je crois qu’ils sont plus d’une centaine.

Propos recueillis par Vincent Laganier à Marseille le 30 mars 2024.

 

 

 

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Équipe du projet

Matériel d'éclairage Aubrilam Bega
Fondateur Jacques Gouteyron
Entrepreneur associé Marc Montrieul
Salarié Marie Christine Campan François Xavier Rouzet Christian Descamps Guy Pante
Designer Marc Aurel Christian Descamps Arep
Concepteur lumière Aartill
Producteur EDF
Entreprise Loubière Charpentes
Entreprise de transport SNCF

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Fondateur de l'agence de relations publiques LZL Services depuis 2023. Son thème : la lumière et l’éclairage. Rédacteur en chef et éditeur du portail français n°1 Light ZOOM Lumière depuis 2012. Architecte diplômé de l’École nationale supérieure d’architecture de Nantes. Éclairagiste urbain de 1997 à 2013 en Europe. Auteur de huit ouvrages de référence sur la ville, le bâtiment et le millénaire. Enseignant sur l'histoire de la conception lumière à l’ENSA Nantes et à l'éclairage dans l'art contemporain à l’ENSATT Lyon.
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