Vincent Muracciole : du design lumière à la photographie
Quel est ton parcours de formation ?
Vincent Muracciole : Je suis designer industriel de formation, diplômé de l’ENSCI en 2000, l’école nationale supérieure de création industrielle à Paris. C’est une école publique qui forme des designers au sens large du terme anglo-saxon « design ». Durant mes études de design, j’ai continué la photographie et, faute de formation spécifique à l’époque dans le lighting, j’ai finalement façonné ma propre carrière de lighting designer.
Quel était le sujet de ton diplôme sur la lumière ?
Vincent Muracciole : J’ai réalisé mon diplôme sur la lumière dans l’habitat, en mettant l’accent sur un aspect souvent négligé : son impact sur l’ambiance des espaces. Comment photosensibiliser les acheteurs de luminaires à la lumière produite ? Elle était, peu ou prou, mise en avant et souvent cachée derrière le design du luminaire. On achetait un objet plus pour sa forme que pour sa fonction. Le bon design doit combiner les deux.
J’ai développé un système innovant permettant d’abord d’enregistrer la lumière à des moments spécifiques, comme un coucher de soleil sur la plage, en capturant des données comme la température de couleur, la position de la source et son intensité. L’idée était ensuite de reproduire ces conditions lumineuses grâce à des LED, intégrées dans l’habitat – sol-mur-plafond – anticipant leur usage dominant dans l’éclairage domestique. Ce projet, très prospectif à l’époque ressemble beaucoup aux luminaires Hue de Philips. J’aurais dû déposer un brevet.
Avec quel concepteur lumière as-tu commencé ?
Vincent Muracciole : À mes débuts, j’ai collaboré avec Patrick Rimoux, un concepteur qui se décrit comme sculpteur lumière, avec une approche très plastique de la lumière. Nous avons géré des projets variés, incluant l’éclairage pour les festivités de Noël sur la Grand-Place de Bruxelles, allant de la conception à l’installation, en passant par la fabrication des animaux lumineux de la crèche dans son atelier parisien, et des projets de scénographie en Afrique du Sud, spécifiquement dans des anciens camps de travailleurs, pour présenter des portraits de mineurs faits par le photographe Duggan-Cronin, datant du début du siècle. Nous avons travaillé conjointement pendant deux ans sur la scénographie et l’éclairage, au sein de son agence.
Comment as-tu travaillé sur un écosystème d’éclairage ?
Vincent Muracciole : J’ai ensuite intégré le bureau d’études d’Ansorg, un fabricant d’éclairage allemand spécialisé en retail, à Paris. J’ai débuté ma carrière en éclairant des McDonald’s. Je n’étais pas dans le domaine commercial, mais plutôt centré sur le lighting design, c’est ce qui a plu à Frédéric Sorret, Manager Procurement & Business Solution chez McDonald’s, cherchant des fournisseurs pouvant penser « en dehors de la boite ». Nous avons développé un écosystème complet d’éclairage pour McDonald’s en utilisant uniquement cinq produits de référence simples, nommés A, B, C, D, E, que nous retrouvions à chaque étape du projet – plan, devis, packaging, produit. Nous avons également formé les architectes de McDonald’s sur l’utilisation de ces produits dans leurs projets. Grâce à cela, j’ai voyagé à travers l’Europe et éclairé une cinquantaine de restaurants. Je vois aujourd’hui ce concept encore en place dans certains restaurants, c’est plutôt bon signe.
C’est ainsi que tu as commencé à faire de la formation ?
Vincent Muracciole : Oui, tout à fait. Je formais des architectes à comprendre l’importance des détails techniques comme un wallwasher vs un wallgrazer, et à comprendre la valeur réelle des luminaires au-delà de leur prix. En design, il est crucial de saisir ce qui se cache derrière un luminaire et son utilité. J’ai toujours essayé d’expliquer pourquoi et comment comparer équitablement des produits. Cela s’intègre dans une approche commerciale globale qui s’avère intéressante.
Quelle a été la suite de ta carrière chez des fabricants ?
Vincent Muracciole : J’ai eu la chance de travailler pour Flos en France, comme commercial sur des projets internationaux pendant un an. Cependant, en raison de complications organisationnelles, j’ai été recruté par Erco, le leader en éclairage muséographique. Cette opportunité représentait un nouveau défi captivant. Cette marque haut de gamme est reconnue pour ses produits efficaces et optiquement très pointus. Travailler avec cette entreprise me permettait également d’expliquer aux clients la valeur de ces produits, notamment en matière d’économies d’énergie et de durabilité. J’ai également mis l’accent sur le coût global d’un système d’éclairage, soulignant les avantages des luminaires pérennes et réparables à une époque où les notions de RSE n’étaient pas encore généralisées.
Comment la pandémie a-t-elle impacté ta vie professionnelle ?
Vincent Muracciole : Je travaillais chez Deltalight en tant que key account manager dans le secteur du retail lorsque la pandémie de covid a entraîné des réductions d’effectifs et mon licenciement. Cet événement m’a confronté à une réflexion sur mon avenir professionnel. Malgré mon expérience dans le commerce, liée à la nécessité de subvenir aux besoins de mes deux enfants après la perte de ma femme en 2013, cette activité ne correspondait pas à ma véritable passion. J’ai toujours été attiré par le travail sur les projets lumière, où je peux mettre mon expertise au service des architectes pour valoriser leur travail. J’ai décidé de me réorienter dans la prescription de solutions d’éclairage et la photographie d’architecture, en suivant une formation de télépilote de drone certifiée par la DGAC, continuant ainsi à utiliser mes compétences pour améliorer la visibilité des projets architecturaux.
Un positionnement original dans l’éclairage architectural…
Vincent Muracciole : Je me suis lancé dans la photographie d’architecture et j’ai réalisé que je voulais enseigner et partager mes connaissances sur l’importance de la lumière. Dans mes précédentes expériences professionnelles, j’avais remarqué un besoin d’accompagnement sur le sujet lumière chez les architectes et architectes d’intérieur. Après mon licenciement, j’ai intégré une partie enseignement à ma carrière et je donne désormais des cours dans trois écoles, où j’enseigne l’utilisation de la lumière – comment l’intégrer dès le début du projet comme on choisit un matériau- et comment réaliser des photos professionnelles avec un smartphone, en utilisant la lumière, c’est la clé !
Réaliser des photos professionnelles avec un smartphone ?
Vincent Muracciole : Je suis fier de voir mes étudiants de 18-20 ans qui, bien qu’élevés à l’ère du smartphone, ont su redécouvrir cet outil et produire d’excellentes photos en apprenant à maîtriser la lumière. Je leur enseigne à utiliser leur smartphone comme un véritable appareil photo, en reprenant la main sur les paramètres photographiques – ISO, balance des blancs, vitesse d’obturation. Nous revenons aux bases de la photographie, en ralentissant le process, nous apprenons à regarder et interconnectons les concepts lors des cours. Chaque pratique, lighting design, photographie, enseignement est nourrie par les autres, c’est une boucle vertueuse.
Comment tes étudiants appréhendent-ils la lumière ?
Vincent Muracciole : Ils sont conscients des enjeux actuels tels que le changement climatique et comprennent l’importance de réduire l’usage de l’éclairage excessif, que ce soit au niveau urbain ou dans le secteur du retail de luxe, où l’excès de lumière peut être ressenti comme agressif plutôt qu’attrayant. Ils reconnaissent la nécessité d’une approche différente, privilégiant la qualité de la lumière à la quantité : on ne peut plus éclairer « comme avant ». De leur point de vue, les luminaires « jetables », dont il est difficile de changer la source est une hérésie : vive le retour du culot !
Les designers d’espace sont-ils plus sensibles à la lumière ?
Vincent Muracciole : J’ai proposé d’intégrer la lumière dès le début des projets avec les designers d’espace, contrairement aux pratiques habituelles où l’éclairage est souvent considéré en dernier. En l’intégrant dès le départ, les projets architecturaux sont plus harmonieux, efficaces et économiques. Mes clients sont généralement des leaders dans leur domaine, et je travaille à introduire des concepts d’économie d’énergie et à améliorer l’éclairage dans divers environnements, y compris dans le retail high-end, en mettant l’accent sur une utilisation judicieuse et stratégique de la lumière pour améliorer l’expérience globale.
Less is more, pour l’architecte Mies van der Rohe…
Vincent Muracciole : Oui, j’aime beaucoup cette citation « less is more », d’autant plus d’actualité à l’heure de la sobriété. En citant Mies van der Rohe, je l’adapte maintenant en « Light is more ». Cela signifie adapter la technologie de manière plus efficace pour créer une lumière plus légère, tout en poursuivant une simplicité qui n’exclut pas la technologie, mais l’utilise de façon plus judicieuse, sans perdre en qualité. « Light is more » est la suite logique de « Less is more », une sobriété heureuse pour évoquer Pierre Rabhi. Quelles décisions prendrons-nous pour notre avenir ?
Qu’est-ce que la photographie ?
Vincent Muracciole : La photographie, c’est écrire avec la lumière. Aujourd’hui, elle est essentielle pour communiquer un projet dans notre société de l’image. Sans ce média, un projet reste invisible et passe inaperçu malgré sa qualité. En tant que photographe, je capture la lumière valorisant l’œuvre. Je travaille étroitement avec les créateurs, architectes ou designers pour comprendre leur vision et la transmettre fidèlement à travers mes images. Je m’adapte à chaque projet pour refléter au mieux l’intention originale, sans imposer mon style personnel, je me mets au service de leur création.
La photo opère pourtant un changement de point de vue ?
Vincent Muracciole : La photo prélève une partie du réel, avec un point de vue, dans une temporalité donnée. Donc oui, il y a un choix à faire. Et tout choix implique un sacrifice.
Pourquoi as-tu passé un diplôme de télépilote de drone ?
Vincent Muracciole : J’ai obtenu mon diplôme de télépilote officiel de drone, ce qui représentait un challenge pour moi, car traditionnellement, je pratique la photographie depuis le sol. Je voulais changer de point de vue, passer du sol à l’air. Prendre de la hauteur permet une nouvelle perspective aérienne des mises en lumière. Pour rester dans l’actualité olympique, ce fût le cas récemment avec les conceptrices lumière Sara Castagné et Maëlle Tertrais de Concepto lors des prises de vue aériennes du village olympique à Saint-Denis, pour documenter leur travail sur la trame noire et la poétique lumière de la rampe olympique.
Ces images offrent une vue globale souvent inaccessible depuis le sol. Ces sessions nocturnes, explorant et photographiant le site, étaient particulièrement agréables et riches en émotions.
De quelle réalisation es-tu le plus fier ?
Vincent Muracciole : Un de mes anciens étudiants travaille aujourd’hui chez 8′18″. Il a fait son mémoire de fin d’études sur la pollution lumineuse et son impact sur la biodiversité. Puis son diplôme sur comment, en tant que designer, il peut contribuer à la réduire. C’est une fierté de se dire que la photosensibilisation a eu suffisamment d’impact sur lui pour le mener à poursuivre dans cette voie.
Quels projets as-tu réalisés en tant que lighting designer ?
Vincent Muracciole : J’ai travaillé récemment sur des projets d’éclairage variés pour du retail high end (des marques françaises de luxe), des bureaux, notamment le siège de la Caisse d’Épargne à Marseille avec les architectes RF Design et le siège d’Etam à Bruxelles, directement avec le service architecture intégrée à la marque. Mon objectif est de créer des espaces où les gens se sentent bien. Les retours positifs des utilisateurs me confirment que la lumière y joue un rôle clé.
En tant que designer, je me dévoue à l’architecture et aux utilisateurs en commençant par des études de terrain pour comprendre les besoins et améliorations souhaités. Cette approche est également appliquée dans le domaine du lighting design pour optimiser le confort des utilisateurs.
Souvent, dans les projets d’architecture, l’éclairage est la dernière roue du carrosse, alors qu’il peut tout changer. Il existe une dualité entre la nature physique et la nature immatérielle de la lumière. J’aime expliquer cela concrètement en montrant la différence entre un bon et un mauvais IRC – Indice de rendu des couleurs – sur les mains de mes interlocuteurs pour que les gens voient réellement l’impact. Ils connaissent la vraie couleur de leur peau, toute déviation colorée liée à la lumière est vécue physiologiquement, de manière très forte. Il est essentiel d’expérimenter physiquement la lumière pour la comprendre et en discuter. Cela est dû à sa nature immatérielle.
Des projets avec l’école de design Strate ?
Vincent Muracciole : Sur le campus de Strate Lyon, nous souhaitons participer à la Fête des Lumières en l’étendant jusqu’à Confluence. Notre premier événement off, crée avec mon collègue enseignant Olivier Desportes, a eu lieu en 2021, avec des étudiants de 3e année.
Nous avons le projet de sortir la presqu’ile de l’ombre pendant la Fête des Lumières ! C’est passionnant de voir se développer ce site avec des bâtiments innovants, mélangeant espaces de vie, d’apprentissage et de travail.
Propos recueillis en visio par Vincent Laganier, le 21 juin 2024.
À suivre…
« Un moyen de magnifier l’architecture » Vincent Muracciole
Approfondir le sujet
Photo en tête de l’article : Etam Bruxelles, Belgique – Concepteur lumière © Design de Lux – Vincent Muracciole
Interviéw très enrichissante sur la relation lumière /architecture dès la naissance du projet
@Guy Tout à fait 🙂