Adolphe Appia, du théâtre au musée
Au milieu de tous mes livres bien alignés sur cette étagère, avant le livre d’Adolphe Appia, c’est la tranche blanche, quelque peu abîmée, de l’un d’entre eux qui m’attire, « La scène centrale » de André Villiers, pas étonnant par tout ce qui m’y relie.
La scène centrale, le théâtre en rond de Paris de André Villiers
J’ai visité le théâtre en rond de Paris juste avant sa fermeture. Avec un ami nous projetions d’y monter une pièce justement avec les spécificités de ce théâtre. Malheureusement sans producteur, sans fonds, son directeur en faillite, ni l’état, ni la ville n’étaient prêts à le reprendre sous sa forme. Il fut vendu, transformé pour devenir l’Européen.
Heureusement avant, André Villiers ne me l’avait pas seulement fait visiter le lieu, mais m’en avait décrit les possibilités d’éclairage et notamment les ambiances colorées obtenues à partir du Chromon. Quel dommage, un lieu unique en France, mais qui peut s’intéresser à un théâtre sans décors, qui demande une mise en scène totalement différente du théâtre frontal ? Sans scène et sans les repères classiques pour les comédiens, entourés d’une masse homogène de spectateurs, le tout dans une lumière blanche, teintée ou colorée comme seul accompagnante.
Adolphe Appia ou Le renouveau de l’esthétique théâtrale
À cette même période, en licence d’études théâtrales, Albert Weinstein nous fait découvrir le travail d’Adolphe Appia. Peu de livres disponibles à cette époque, heureusement une exposition à Paris en 1979, puis plus tard, suite à une seconde exposition en 1992, un excellent catalogue : « Adolphe Appia ou le renouveau de l’esthétique théâtrale ». Tellement impressionné par ce travail sur l’espace, forme et lumière, proche de l’esthétique du théâtre en rond, qu’à la suite de ma licence, je désire en faire mon sujet de maîtrise en les liant tous les deux.
Entre la négation du décor où tout réside dans le jeu et quelques accessoires et au contraire celui qui est considéré comme le père de la scénographie moderne, il y a comme un antagonisme. De plus du travail d’Appia c’était le concept qu’il avait développé pour la salle centrale de l’institut de gymnastique rythmique, le Festspielhaus Hellerau de son ami Émile Jacques-Dalcroze à Dresde en Allemagne, que je voulais mettre en avant : un même espace, sans séparation entre comédiens et spectateurs, baignant sous une même lumière, permettant de passer graduellement du jour à la nuit.
Sa réalisation technique en est due à Alexander von Salzmann, peintre d’origine mais qui a assuré l’aménagement scénique, éclairage compris, en collaboration avec l’architecte de l’Institut, Heinrich Tessenow. En fait, une entente parfaite entre Jacques-Dalcroze, Appia, Salzmann et Tessenow, sans oublier Wolf Dohrn, le bras administratif et financier, la recette d’une réussite.
Vers un ouvrier du musée
Ce beau projet fut vite enterré avec mon entrée dans le monde des musées où « ouvrier du théâtre », l’expression de Louis Jouvet, que comme régisseur je m’étais approprié. Qui d’autre que le régisseur connaît aussi bien son spectacle, de l’angoisse des comédiens, aux difficultés des techniciens, aux attentes du public, aux contraintes administratives, et j’en passe. J’aspirai à devenir « un ouvrier du musée ». Impossible de libérer mon esprit sur un tel sujet qui serait tellement éloigné de ma nouvelle réalité.
Et pourtant c’est sans doute, par ces deux lieux, le théâtre en rond et la salle d’Hellerau que s’est réalisée la transition, et tout naturellement par le traitement de l’éclairage. En effet, d’une part, le travail sur l’ambiance générale et d’autre part, sur les angles de l’éclairage ponctuel. Sur une scène centrale, l’angle d’attaque des faisceaux est plus proche des 30° que des 45° par rapport au théâtre frontal. Il en est de même dans une salle d’exposition au risque de créer une gêne tant aux spectateurs qu’aux visiteurs.
A suivre…
Du musée à l’éclairage muséographique
Approfondir le sujet
- Adolphe Appia, scénographie, le vagabon des étoiles, 12 avril 2018
- Adolphe Appia, Encyclopédie Universalis
- Derain Balthus Giacometti, ombre et éclairage d’exposition
- Éclairage scénique dans ma bibliothèque
Couverture en tête de l’article : Adolphe Appia ou Le renouveau de l’esthétique théâtrale – couverture © Editions Payot Lausanne
Livre
Adolphe Appia ou le Renouveau de l'esthétique théâtrale : dessins et esquisses de décors, de Richard C. Beacham, Marco De Michelis, Martin Dreier, Gernot Giertz
Suite de l'article
Introduction | Éclairage scénique dans ma bibliothèque |
Page 1 | Adolphe Appia, du théâtre au musée |
Page 2 | Du musée à l’éclairage muséographique |
Page 3 | Usage de la lumière naturelle au musée |
Page 4 | De l’identification des pigments au rendu des couleurs |
Livres
Le temps des flammes, de Christine Richier
Comment éclairait-on un espace scénique avant la lampe à incandescente ? Le temps des flammes de l'éclairagiste Christine Richier. Histoire de la lumière. |
Eclairage d'exposition, musées et autres espaces, de Jean-Jacques Ezrati
Le manuel de l'éclairage d'exposition de Jean-Jacques Ezrati. Trente ans d'expérience, de la régie lumière au métier d'éclairagiste. Le référent des musées. |
Noir, lumière et théâtralité, de Véronique Perruchon
Une traversée historique et esthétique du noir au théâtre et de la lumière à la scène. Un livre de Véronique Perruchon à dévorer avant de se coucher. |