Peindre la nuit, catalogue d’exposition
Sous la direction de Jean-Marie Gallais, le catalogue d’exposition Peindre la nuit est publié par le Centre Pompidou-Metz. C’est un ouvrage richement illustré qui retrace une histoire des liens entre la peinture et la nuit au XXe siècle jusqu’à aujourd’hui.
Il comporte aussi un essai inédit du philosophe Michaël Foessel, Indévidences nocturnes, et une étude approfondie du sujet par Jean-Marie Gallais, commissaire de l’exposition.
Sommaire
- Se perdre dans la nuit
- Habiter la nuit
- Obsessions nocturnes
- Les yeux infinis
- Les mangeurs d’étoiles
- La nuit m’enveloppe
Extrait du catalogue
« Il n’y a pas de nuit noire. Le noir absolu est le fantasme de la nuit, tout comme une lumière éternelle est le fantasme du jour. En vérité, la nuit commence lorsque le noir est traversé par des couleurs. Rien ne le montre mieux que l’acte de peindre. Henri Michaux décrit l’apparition d’une nuit par le geste de placer des couleurs sur une feuille noire : « Dès que je commence, dès que se trouvent mises sur la feuille de papier noir quelques couleurs, elle cesse d’être feuille et devient nuit. Les
couleurs posées presque au hasard sont devenues des apparitions … qui sortent de la nuit. »* Le noir devient « nuit » lorsqu’il est traversé par des traits de couleur qui évoquent le scintillement des étoiles ou le lustre des lampadaires. Il en va du noir de la nuit comme de celui que l’on « voit » lorsque l’on ferme les yeux : il est traversé par des lignes et des points de couleur. Il ne faut donc pas dire que la nuit empêche de voir, ni qu’elle abolit la conscience. Au contraire, elle est un « fond » qui permet au sujet de percevoir les couleurs et les lumières autrement qu’en plein jour ».Michaël Foessel, philosophe, Indévidences nocturnes
* Henri Michaux, Émergences-Résurgences, Paris, Champs-Flammarion, 1987, p. 20-21
Peindre la nuit
« Le peintre travaille directement avec la matière de la nuit. Mise en abîme de cette sensation d’indiscernabilité, la peinture nocturne se présente, elle aussi, comme une expérience résistant à la reproduction. Non seulement la peinture est une nuit, mais la nuit est une peinture : « Mais les ténèbres sont elles-mêmes des toiles où vivent, jaillissent de mon œil par milliers, des êtres disparus aux regards familiers, »** écrit Baudelaire. La nuit est un tableau abstrait ou surréaliste, précisément parce que s’y joue cette indistinction des formes, théâtre d’apparitions.
Dans son essai sur la peinture cubiste, Jean Paulhan raconte comment, rentrant tard, et pour ne pas réveiller sa femme endormie, il décide de « donner un coup de lumière » très rapide afin d’avoir un aperçu des obstacles. Il avance à tâtons dans le noir : « Il me vint un curieux sentiment. C’est que j’avais traversé l’espace d’un tableau moderne ».***
Jean-Marie Gallais, directeur, Centre Pompidou-Metz
** Charles Baudelaire, Obession dans Les Fleurs du mal, Paris, Poulet-Malassis et De Broise, 1857
*** Jean Paulhan, Petite aventure en pleine nuit, in La peinture cubiste, Oeuvres complètes, V, Claude Tchou, p. 76-78