Daniel Buren – Philippe Parreno : simultanément, travaux en mouvement
Sur une proposition de la galerie Kamel Mennour qui représente Daniel Buren et Philippe Parreno, les deux artistes renommés s’unissent dans cette exposition illuminant l’hiver parisien. Les rayures sont la célèbre signature de Buren. La galaxie de Parreno semble plus éclectique. Aussi, il est légitime de se demander : quel est le point de jonction entre ces deux univers, de prime abord si éloignés ?
Pourtant, les scenarii qui s’y déploient dans l’espace et le temps sont ici en question. D’apparition et de disparition. De présence et d’absence. Du visible et de l’invisible. La lumière joue le rôle principal. Elle se targue à inonder l’esprit et l’espace, sans le remplir, laissant la place à l’inattendu de s’y inviter. Sous forme de flashs, les tableaux multicolores s’illuminent aux rythmes aléatoires et font surgir la réminiscence. Parfois, tels des mirages, des formes fantomatiques semblent s’y dessiner, puis, s’estomper.Simultanément, travaux in situ et en mouvement
Les vitres des immenses fenêtres de la galerie reprenant les couleurs primaires s’illuminent en cyan, magenta et jaune au gré du mouvement des stores. Ils se soulèvent en résonance avec le mouvement des vagues de la Seine toute proche. Le protocole imaginé par Philippe Parreno génère des rythmes. L’idée étant de mettre en relation le spectateur avec l’environnement naturel de la ville lumière. Ainsi, la Seine prend part à la performance s’ajoutant au duo d’artistes dans une synthèse additive.
Les colonnes de la galerie habillées de miroirs et de bandeaux verticaux de 8,7 cm de largeur font écho au travail de Daniel Buren. Celles-ci cheminent notre parcours et recréent ainsi l’image à l’infini.
Daniel Buren et Philippe Parreno à Paris
Cette expérience immersive a un air de déjà-vu, mais lorsque nous respirons la lumière la magie opère, comme souvent. Elle semble être ce langage commun, une terre fertile qui a permis la rencontre des protagonistes de ce travail in situ et en mouvement.
L’exposition connaît un grand succès auprès des jeunes, un influenceur ayant partagé sa visite sur TikTok. Ils viennent pour se prendre en photo immergés dans la lumière, images aussitôt partagées en mode furtif en stories ou en photos sur Instagram et autres réseaux sociaux. Cette attitude propre à l’ère de l’instantanéité, grâce à l’avènement du digital, vient quelque part prolonger l’exposition dans la sphère virtuelle. Cette nouvelle pratique discursive accroît notre présence fantomatique sur les réseaux sociaux. Elle nous fait consommer toujours plus d’images éphémères quelque-peu vidées de leur substance.
Rituels de la lumière et l’art
Depuis un an, la situation sanitaire nous a pleinement transformé en avatars de nous-mêmes. Avec le printemps qui s’invite avant l’heure, prenons une respiration profonde afin de reprendre notre souffle. Les rituels de la lumière nous permettent de nous reconnecter. Ils recréent du lien avec nous-mêmes, avec les autres et la nature qui nous environne. L’art et la lumière ont cette faculté extraordinaire qui nous permet de nous saisir de toutes les nuances que la vie a à nous offrir hors, et in situ.
« Je suis un grand regardeur de toutes choses, rien de plus, mais je crois avoir raison, toute chose contient une pensée ; je tâche d’extraire la pensée de la chose »
Victor Hugo – Le Rhin, lettres à un ami
La beauté est dans l’œil du regardeur…
Texte de Philippe Parreno
« Ce qui est vrai pour les nombres, la physique quantique nous dit que ce n’est pas forcément vrai pour les objets. Un objet plus un objet ne font pas toujours deux objets.
Si exposer, c’est aussi s’exposer — à un autre —, les artistes ont ici décidé d’apparaître ensemble.
Il y a l’idée d’un assemblage, d’une sympoïétique : il s’agit de l’assemblage de deux travaux constitués ensemble et connectés entre eux, qui produit quelque chose de l’ordre de l’automation.
L’exposition s’intéresse à la manière dont les choses apparaissent et disparaissent, ce qui est la définition d’un fantôme ou de n’importe quelle forme qui se manifeste. Les moines copistes parlaient de fantôme quand ils se souvenaient avoir déjà lu une phrase dans un ouvrage au moment où ils la recopiaient. Le fantôme c’était le re-lu. Il représente l’incertitude ou l’inachevé, mais aussi le ré-inventé. Ces quasi-objets possèdent une existence inachevée. Le monde n’est pas seulement hanté par des fantômes, il est également transformé en permanence par eux. On n’y échappe pas. Un objet, n’importe lequel, n’existe pas sans son exposition, il répond à un nouveau récit ou à une nouvelle mise en scène, il apparaît dans un nouveau rituel.
Il y a une suspension des frontières entre les choses, l’espace et nos interventions. Le lieu de développement du travail, ici l’espace d’une galerie, devient partie intégrante de celui-ci, qui se situe dans un jeu constant entre le site et sa transformation artistique.
C’est en fait le même problème topologique que l’on rencontre si l’on veut produire une pile voltaïque efficace qui requiert d’augmenter les points de pourcentage d’électrolytes dans un volume limité. On ne peut pas voir l’espace en un seul coup d’œil, mais plutôt à travers un parcours. Il s’agit donc plus d’un voyage linéaire qui se replie dans un espace riemannien.
- Comment une forme apparaît-elle ?
- Comment est-il possible que quelque chose comme cela puisse apparaître ?
S’interroger sur la condition de possibilité de l’art signifie parler de “l’ex-istence” d’une forme, de sa présence. Il faut que ça respire, parce qu’il faut qu’il y ait du souffle pour que la forme se forme et que le lieu ait lieu. C’est là la dimension extatique de toute chose qui vit d’apparition et de disparition, et qui cherche à échapper à son propre corps pour devenir événement et non objet.
L’espace s’ouvre et se ferme au rythme d’une forme qui elle aussi cherche à exister, à apparaître au regard, à manifester. Un espace vivant au temps de son propre dévoilement. Un espace stochastique, et donc hasardeux, composé de clignotements et d’événements. Tout est respiration et mouvement dans ce lieu qui n’en est jamais vraiment un, puisqu’il se forme et se déforme sans cesse. Répondre à la question de l’apparition d’une forme revient donc d’une certaine manière à parler de rythme.
Tout travail d’exposition devient donc aussi par la même occasion un travail d’articulation du souffle, un travail de respiration. »
Philippe Parreno
Informations pratiques
- Exposition Daniel Buren – Philippe Parreno
- Simultanément, travaux in situ et en mouvement »
- Du 5 décembre 2020 au 30 avril 2021
- Galerie Kamel Mennour
- 6 rue du Pont de Lodi, Paris 6
- Métro : ligne 7, Pont-Neuf
- Site Web de Daniel Buren
- Page de Philippe Parreno, Wikipédia
Approfondir le sujet
Lieu
- Galerie Kamel Mennour
- Paris, France
Équipe du projet
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