Lumineux centre culturel Phive de Manuelle Gautrand
33 min à l’ouest de Sydney. La commune de Parramatta possède un important quartier universitaire, mais c’est aussi un centre d’affaires et commercial majeur en Australie. Au cœur de son renouvellement urbain, le conseil de la ville organise un concours d’architecture pour son centre culture Phive. Objectif : garantir une excellence architecturale et paysagère. Le projet est remporté par l’architecte française, Manuelle Gautrand, en association avec deux cabinets d’architecture australiens : Design Inc et Lacoste & Stevenson. Histoire du projet avec les mots de l’architecte, jusqu’à la mise en lumière architecturale nocturne.
- Lumineux Phive : un équipement hors norme
- Architecture : suivre la course du soleil en Australie
- Ensoleillement du bâtiment toute l'année
- Espace culturel et enveloppe continue en façades et toitures
- Études, lumière et réflexion
- Extérieur dégradé de couleur rouge sombre à l’orange vif
- Sources d’inspiration de la polychromie
- Intérieur en lumière réfléchie du blanc au rose pale
- Ventilation naturelle et climatisation limitée
- Éclairage architectural nocturne en couleur LED
- Éclairage programmé et illumination sur demande
- Vers une accréditation Green Star 6 étoiles
- Quelques chiffres
- Approfondir le sujet
- Commentaires
Lumineux Phive : un équipement hors norme
Le « Civic center » mêle principalement une grande bibliothèque avec une partie des services de la Mairie. Le Jury a souligné le caractère à la fois « extrêmement contextuel et iconique » du projet.
Manuelle Gautrand Architecture résume le programme ainsi : « Phive réunit, autour de cette grande bibliothèque municipale, des lieux d’exposition et de rencontre, un espace dédié aux enfants, un petit théâtre, un café, des lieux de coworking et de réunions pour les habitants, eux-mêmes relié aux bureaux et salles de réunions destinés à certains des services de la Ville et aux élus, un fablalb et des ateliers, et la grande salle du conseil municipal. Le projet est devenu un équipement public et culturel exceptionnel, un lieu « communautaire » où chaque habitant peut trouver sa place. »
« Dans le cœur du bâtiment, et de manière presque secrète, se trouvent un certain nombre d’espaces qui ne sont pas ouverts à tous les publics ; ils sont uniquement destinés aux aborigènes, qui y trouvent ici un lieu de recueillement et de rencontre privé. C’est véritablement leur maison, où ils peuvent également conserver et exposer leurs objets précieux. »
Architecture : suivre la course du soleil en Australie
« Parramatta ne possède pas les règles urbaines que nous avons en Europe, qui sont souvent des règles issues d’un urbanisme séculaire » précise Manuelle Gautrand.
« Finalement, c’est un autre type de contrainte qui nous a interpellé : l’orientation et la course du soleil. Notre terrain, ainsi que la petite mairie historique, sont longés au sud par la grande esplanade urbaine. Et les directives d’urbanisme comportaient comme quasiment seul conseil, celui de ne pas porter trop d’ombre à la grande esplanade, quelle que soit la période de l’année: c’était une directive qui me reliait soudainement au soleil et à sa course tout au long de l’année. »
Ensoleillement du bâtiment toute l’année
« Nous avons décidé de littéralement sculpter le volume du projet par rapport à cette course du soleil que nous avons modélisée. Cela a été véritablement notre point de départ, celui qui nous a permis ensuite de travailler en creux, à partir de ce volume issu de nos nombreux héliodons. La place est devenue le centre de nos attentions, un lieu que nous avons décidé de rendre ensoleillé sur la totalité de sa surface, quel que soit le jour de l’année. »
« Ce n’est que quelques jours, autour du 21 juin, qu’une petite ombre se dessine dans le coin nord-est de l’esplanade, au droit de notre façade. »
« Le volume final, soigneusement sculpté, donne l’impression de se plier littéralement sous le passage du soleil dans le ciel : il en résulte un vaste plan incliné, qui s’incurve vers l’esplanade d’un côté, donnant une façade sud presque aplatie, comme si elle s’était glissée sous la puissance des rayons. »
Espace culturel et enveloppe continue en façades et toitures
« L’enjeu était de concevoir cette enveloppe pour qu’elle soit à la fois protectrice vis-à-vis du soleil, mais en même temps qu’elle puisse permettre de diffuser une lumière homogène, neutre et douce dans l’ensemble du projet » décrivent les architectes.
« Cette enveloppe devait aussi se prêter à des conditions climatiques parfois extrêmes, où des tempêtes de vents propres aux situations tropicales, ou bien des orages de grêle, se produisent régulièrement. »
« Nous avons imaginé cette peau comme un multitude de panneaux de forme carrée, d’environs 180 x 180 cm, assemblés les uns aux autres en suivant cette pente légèrement incurvée marquée par le volume principal. Chaque panneau est composé de plusieurs pliages, comme un origami, au centre duquel vient s’insérer un vitrage de forme losangée. »
« Le pliage permet de rendre les panneaux plus robustes vis-à-vis de ces conditions climatiques, tout en les ouvrant vers une orientation précise, vers le sud-est et le sud-ouest, là où les rayons solaires ne peuvent presque jamais pénétrer. C’est aussi l’orientation vers la place, qui permet de donner à voir, depuis tous les espaces publics du projet, l’animation extérieure. »
Études, lumière et réflexion
« De nombreuses études ont été faites pour vérifier la qualité de la lumière naturelle, que nous souhaitions généreuse et régulière partout, et pour s’assurer en même temps que le soleil ne vienne pas générer de surchauffes ni gêner la lecture et le travail des usagers. »
« Cette centaine de panneaux, décomposés en de nombreux de plis donne au volume un caractère particulier, qui se joue de toutes les ombres et de tous les reflets. Ainsi, les hautes tours voisines nimbent notre enveloppe de nombreuses réflexions, celles de leurs grandes façades vitrées, tandis que le soleil, la plupart du temps rasant, crée un jeu d’ombres et de lumières accentuant les couleurs et renforçant les contrastes. »
Extérieur dégradé de couleur rouge sombre à l’orange vif
« La couleur est un élément important du projet, elle contribue à accenteur son rôle fédérateur à l’échelle du quartier mais aussi de la ville tout entière » poursuit Manuelle Gautrand. « Elle lui confère un caractère joyeux, celui d’un petit projet qui centralise les publics et leur offre un moment de convivialité et de partage. »
« Contrairement à tous les bâtiments voisins, largement vitrés de mur rideaux relativement austères, dont les vitrages isolants sont toujours gris, bleutés ou verts, nous avons souhaité nimber notre enveloppe d’un couleur quasiment en opposition : c’est un dégradé de rouges, chauds et puissants qui s’élèvent vers le ciel et la flèche du projet ; des rouges vifs, joyeux, qui attirent le regard et réchauffent cette atmosphère jusque-là un peu trop générique à notre gout. »
Sources d’inspiration de la polychromie
« Nos sources d’inspiration étaient multiples, et sont allées chercher bien au-delà du quartier : j’ai en effet été marquée par la polychromie de la flore locale, notamment ces magnifique fleurs nommées Banksia, les Waratah indigènes, les Goupillons et la Grevillea… mais aussi par la faune, par la couleur de la terre, souvent d’un ocre unique, le tout souvent rehaussé par la lumière crue et forte des ciels. »
« Les différentes couleurs s’installent suivant un dégradé, partant de rouges sombres en partie basse vers des oranges vifs, puis plus clairs en partie haute, en passant par des vermillons intenses. »
Intérieur en lumière réfléchie du blanc au rose pale
Pour Manuelle Gautrand : « à l’intérieur, tous les niveaux profitent de cette volumétrie inclinée pour s’installer sous la forme de terrasses successives. Cette longue partie en porte à faux abrite les bureaux des élus, les salles de réunion et surtout la grande salle du conseil municipal. »
« Chaque niveau, comme un balcon, possède un aperçu sur la place, laquelle devient une magnifique scène urbaine. On est vraiment comme dans un théâtre. »
« À l’intérieur, les panneaux facettés sont revêtus d’une laque blanche, une blancheur qui vient se nimber de roses pales au droit de chaque baie vitrée, du fait des reflets du soleil sur les rouges extérieurs. La centaine de baies losangées vient quant à elle offrir des vues régulières sur la ville, créant un plafond d’une grande richesse spatiale.
Le bâtiment tout entier entretient ainsi une relation forte avec l’espace public à ses pieds. Tous deux forment un tout, où l’intérieur devient un théâtre avec ses balcons à chaque étage, et où l’extérieur, la place, en devient la scène. »
Ventilation naturelle et climatisation limitée
« Cette forme atypique du projet nous a également inspiré pour concevoir un principe de ventilation naturelle : nous avons utilisé cette volumétrie presque triangulaire pour en faire une véritable cheminée. »
« L’air chaud est ainsi capté en partie basse au droit des multiples entrées, puis régulièrement à chaque étage au droit de nombreuses ventelles vitrées, pour ensuite être naturellement guidé vers le haut et s’échapper au droit de l’arête supérieure de l’enveloppe. »
« Ces dispositions nous ont permis de réduire de manière considérable les besoins en matière de climatisation, dans une ville où pourtant, les saisons chaudes voient de plus en plus le thermomètre grimper au-delà des 40 à 45 degrés. Il était donc vital pour nous d’agir sur cette question du confort d’été. »
« Phive est vraiment un projet holistique, où le soleil, la lumière et l’air ont sans arrêt été mis à profit pour rechercher l’excellence dans tous les domaines, notamment la thermique passive. »
Éclairage architectural nocturne en couleur LED
Selon CLS LED, « l’éclairage devait mettre en valeur ce bâtiment emblématique. La conception des arches ont permis de créer quelque chose d’unique avec la lumière. »
« Pour obtenir l’effet recherché par les architectes, ils ont recherché un luminaire RGBW [NDLR : rouge, vert, bleu et blanc] qui empiète le moins possible sur la conception du bâtiment lui-même. »
Avec son partenaire intégrateur de solutions LED, l’australien Xenian, les luminaires de la série Revo Colourflow sont installés. « L’architecte a préféré conserver les mêmes luminaires à l’extérieur qu’à l’intérieur » précise le fabricant de luminaires hollandais.
« À l’extérieur, les luminaires sont pourvus d’une anodisation rouge et à l’intérieur d’une anodisation blanche. De cette façon, ils s’intègrent parfaitement à leur environnement. Ce mélange homogène était une exigence stricte de l’architecte. »
De plus, « il y avait aussi beaucoup d’autres souhaits, comme la longueur du câble, la couleur du câble, les supports sur mesure, 48 V contre 230 V, les configurations d’optique, etc. »
Éclairage programmé et illumination sur demande
« La municipalité a trouvé important que l’éclairage soit facile à ajuster pour qu’il corresponde aux événements de Parramatta » précise le fabricant. « Par exemple, le bâtiment se colore en :
- violet pour la journée internationale des personnes handicapées,
- or et bleu pour l’équipe de rugby des Parramatta Eels. »
La création de scènes lumineuses ou la modification des couleurs est facile car, le pilotage lumière est en DMX. Mais, afin de canaliser les initiatives individuelles d’illumination sur demande, la commune de Parramatta a mis en place un formulaire en ligne Phive Lighting Request.
Comme la collectivité l’explique : « grâce à un traitement de couleur personnalisé du toit et de la façade du bâtiment de Phive, 5 Parramatta Square, il permet d’examiner parfois les demandes de reconnaissance de dates importantes liées à un intérêt communautaire, local, national et international. »
Une approche exemplaire dont les municipalités francophones pourraient bien s’inspirer.
Vers une accréditation Green Star 6 étoiles
Avec un label Breeam, niveau Excellent, « le bâtiment est en route pour obtenir la note de 6 étoiles de l’accréditation Green Star, une prouesse pour un bâtiment public » déclare les architectes.
« L’ensemble du bâtiment a été conçu pour permettre une régulation passive du confort thermique. La mise en œuvre d’une ventilation naturelle sur l’ensemble du projet, avec cette grande forme du volume en « cheminée », puisant son air frais dans les sous-sols et rejetant l’air chaud en toiture, a permis de se projeter dès le début dans des niveaux d’accréditation exemplaires. »
« Des persiennes en verre à chaque étage contrôlent le flux d’air et sont connectées au système d’entretien du bâtiment. Ce système est lui-même connecté aux sites locaux du Bureau de météorologie, pour une meilleure anticipation des besoins. Le système de maintenance calibre les données et contrôle les persiennes pour optimiser le flux d’air dans le bâtiment à partir de ces données météo. »
Parmi les économies annoncées, notons :
- énergie : -30 à 35 % de la ventilation en mode mixte grâce à la conception en thermique passive, à la ventilation naturelle et aux façades ouvrantes.
- eau : -75 à 80 % en supprimant les tours de refroidissement et en capturant et en réutilisant l’eau de pluie.
Quelques chiffres
- Phase d’études : 2016 – 2019
- Phase de construction : 2020 – 2022
- Livraison : printemps 2023
- Surface utile : 15 000 m²
- Coût de construction : 83 M€
Approfondir le sujet
Lieu
- Phive
- Parramatta, Australie
Livres
Éclairage et lumière du IIIe millénaire, 2000-2050, un livre collector
Le phénomène éclairage a vécu une mutation. Ville, architecture, conception lumière, pollution lumineuse... Qu'en sera-t-il demain ? |
Vivre la sobriété en éclairage, traduit par Maxime Brunois
Qu’est-ce que la lumière vivante ? En architecture et habitat, Gerard Auer en donne une explication dans Vivre la sobriété en éclairage. |
25 questions pour mieux comprendre l’arrêté nuisances lumineuses
Maxime Van Der Ham décrypte l’arrêté nuisances lumineuses. 25 questions pour comprendre cette nouvelle réglementation en éclairage extérieur. |