Les lustres de Gaspard Lautrey au théâtre Maurice Novarina
« Qu’est-ce qu’une maison de la culture ? C’est avant tout un foyer où doivent se rassembler toutes les activités créatrices d’une petite ville ou d’un quartier de grande ville, dans le domaine de la culture. On ne peut donc concevoir de véritable maison de la culture sans un bouleversement radical des traditions architecturales qui dispersent aux quatre coins de la cité le théâtre, la bibliothèque, le cinéclub, les salles de jeu ou de conférences, etc. Loin d’être conçu comme un édifice isolé, le théâtre doit devenir le centre même de la maison de la culture, et, comme il fait appel à la plupart des autres arts, l’animateur de la vie artistique de la cité ».
André Malraux
Rénovation du théâtre et éclairage
Fin 2012, la ville de Thonon-les-Bains choisit, sur concours, les architectes de la rénovation :
- WIMM architectes, mandataire,
- Carine Bonnot de Silo architectes, associé.
Le chantier commence en janvier 2014 et durera un an. Principalement :
- Désamiantage
- Remplacement du mur-rideau
- Rénovation du hall d’accueil
En remplacement des downlights en applique sur le plafond, les espaces bas sont éclairés par des réglettes linéaires suspendues de DeltaLight. Leur implantation en triangle reprend la trame des retombées de poutres en plafond
Le long du mur-rideau des encastrés de plafond sont placés perpendiculairement au plan de verre.
L’étage, épuré, complète le dispositif en privilégiant la relation à l’extérieur. La mise en scène inclut de grands pans peints en blanc propices à la projection, de banquettes et de lustres conçus par Gaspard Lautrey, C3 Cube. Ils rappellent de manière élégante les foyers des anciens théâtres.
Lustre polyèdre, descriptif et genèse
Histoire du lustre avec son concepteur et inventeur : Gaspard Lautrey de C3 Cube.
« L’agence d’architecture Wimm à Grenoble nous a proposé de concevoir et réaliser une petite série de dix lustres pour éclairer la coursive en façade du théâtre.
En découvrant le lieu, j’ai été saisi par la présence architecturale de la géométrie dans le concept du bâtiment. Il se dégage une sorte de pureté mathématique, des lignes et des volumes, qui confère une richesse presque adamantine à la sobriété formelle ».
« La structure, au niveau global et en détail, est très géométrique. L’hexagone du bâtiment est couvert par une charpente composée de pyramides sur bases triangulaires formant des poutres.
Dans ce contexte, les cristaux, les fractales et la géodésie me sont apparus comme évidente matière à création, pour faire naître le concept, porteur de leurs gènes ».
« Une coque géodésique avait l’avantage de la simplicité relative du mode constructif et j’avais déjà pratiqué, mais elle me paraissait trop lisse et trop rangée.
Un polyèdre irrégulier, sorte de cristal simple et brut, avait l’avantage d’amener un peu de chahut dans cette géométrie rangée, et ça n’était pas pour me déplaire ».
« En outre la relative désorganisation de ses faces ne permettant pas d’utiliser les techniques d’assemblage simples comme pour le dôme géodésique, nous avons dû imaginer une structure, ouvrage subtil, comme une arborescence intérieure ».
« Voulant laisser entrevoir cette structure, je me suis orienté vers un polycarbonate assez translucide, j’aime la façon délicate dont il rend les ombres et la lumière, en outre, sa relative transparence qui permet de deviner la naissance des ramifications des bras derrière ses faces, confère, par évocation, une présence mystérieuse à la structure ».
« Pour extérioriser la lumière émise par le lustre, et à travers elle le chahut contenu, les triangles des faces sont séparés par un léger joint creux, qui laisse filtrer sur l’architecture environnante la projection d’un labyrinthe de rais de lumières ».
« Trois moteurs LED par lustres, puissants et gradables, m’ont paru être une bonne solution, tant pour des questions de durée de vie que parce que, sans être trop ponctuels, ils restituent efficacement l’opale feutré du polycarbonate à faible puissance, et le rayonnement intense de la géométrie cristalline à pleine puissance ».
« L’ossature et tout les éléments structurels sont en inox, découpés au laser pour les bras et le système de suspente, usinés pour les « doigts » supports de polycarbonate, soudés sous argon. Le polycarbonate est également découpé et percé au laser, il est fixé à la structure par vis inox à têtes fraisées ».
Le théâtre en représentation
La nuit, la lumière met en scène les coursives du bâtiment comme une lanterne. Les mouvements du public et de l’activité du bar animent la façade aux heures de spectacle, une idée magnifiée par Jacques Tati dans Playtime. La lumière révèle également la structure en caissons pyramidaux en plafond, une prouesse tant architecturale que technique qui finalise l’écriture moderne du bâtiment.
Deux points auraient mérité plus de qualité architecturale pour être en harmonie avec l’éclairage intérieur du théâtre :
- l’éclairage éblouissant des emmarchements et du parvis par quatre projecteurs depuis la toiture terrasse,
- le rétro-éclairage fluorescent des quatre panneaux d’affichage entre les portes du rez-de-chaussée.
Histoire du bâtiment radical
Livré en 1966, le bâtiment radical de Thonon-les-Bains regroupe alors :
- un théâtre,
- une bibliothèque municipale,
- un auditorium-salle de cinéma en sous-sol.
Les deux volumes ont été conçus par l’architecte Maurice Novarina. Ils se composent de :
- un hexagone entièrement vitré sur trois côtés. Les murs-rideaux abritent les espaces publics.
- un polygone regroupe les activités liées au fonctionnement de l’équipement : administration et atelier.
Au fur et à mesure de son utilisation, cette sixième Maison de la Culture de France va transformer son bâtiment.
« Nous avions affaire à un bâtiment abimé et vieillissant dont les multiples aménagements ont peu à peu gommé ses qualités initiales. Son enveloppe était à reprendre et l’évolution de son contenu au gré des politiques culturelles avait créé des délaissés. Les différentes strates de travaux avaient été faites avec une bonne intention, mais le fil fragile qui établissait le lien entre le bâtiment et son public était rompu ».
William Tenet, WIMM architectes
Comment retrouver le lien à la ville et au public ?
Les architectes retenus questionnent l’usage et la programmation de la rénovation aujourd’hui :
La transparence
- Comment cette médiation vers le monde de la culture instaurée par le mur-rideau peut être rendue effective, intensifiée ?
Le fonctionnement et la qualité des espaces
- Comment retrouver cette clarté originelle, sa vocation d’aménagement et d’équipement culturel pour tous ?
Rapidement, trois pistes de travail s’établissent :
- Redonner au bâtiment son caractère synthétique, unitaire de lieu de culture ;
- Simplifier son lien à la ville ;
- Rétablir un espace de médiation culturelle auprès du public.
« L’étagère urbaine de Jacques Tati est en quelque sorte ressuscitée. Nous avons à la fois travaillé à la reprogrammation de ces espaces et à leur lecture.
Le rez-de-chaussée comprend un vaste sas d’accueil qui distribue les diverses activités aujourd’hui rassemblées, une billetterie et un guichet, un lieu de restauration et un autre de présentation de l’activité culturelle.
L’accès aux étages a été simplifié, la galerie d’exposition est ainsi complètement intégrée à l’équipement et le promenoir-foyer voit la mise en place d’un espace de rencontre et de conférence de presse, d’un espace de projection créant un écran intérieur sur la ville, de loges ouvertes sur l’extérieur »
Carine Bonnot, Silo architectes
Approfondir le sujet
Lieu
- Théâtre Maurice Novarina
- Thonon-les-Bains, France