Mary Said What She Said et Bob Wilson nous éblouissent encore
Mary Said What She Said, et tout est dit. À peine le rideau se lève et c’est une logorrhée que la performeuse évacue à s’en étouffer. La vitesse et la prononciation millimétrées de ce texte-fleuve déboussolent le spectateur. Avec une bande-son qui vient parfois couvrir ce flot d’informations, on se laisse emporter dans la tempête de ce monologue haletant. Le ton est donné, ce n’est pas un spectacle ordinaire auquel nous allons assister, c’est une expérience à éprouver.
Rideau rouge
Le rideau est encore baissé, mais l’expérience a déjà commencé. Créé dans l’Espace Cardin en 2019, il voit se succéder des propositions souvent immersives. Celles signées Bob Wilson sont à part. Rideau de velours rouge à franges dorées : quoi de plus classique ? Mais sous les lumières du metteur en scène américain, son éclat n’est pas le même. Comme une aura déjà saturée qui vient troubler la vision de l’observateur. Puis il se lève sur un cyclorama coutumier chez ce plasticien. Face à l’abstraction de cet espace vide, deux actrices se répondent : Isabelle Huppert et la lumière.
« Il me vient à l’idée que, de même qu’un corps céleste infléchit la trajectoire du rayon lumineux, l’actrice impose à l’espace sa courbure, et au temps sa relativité. Elle fait dévier la lumière. »
François Regnault, 1 & 2, Théâtral magazine, mai-juin 2019
Cyclorama bleu
Décor limité chez Bob Wilson ne veut pas dire pauvre. Bien au contraire ! Avec un dispositif permettant un rétroéclairage et quelques accessoires, on décline une gamme d’ambiances. Dans une mise en scène millimétrée où les mots se désynchronisent des gestes, la lumière varie. Linéaire, découpée, zénithale ou aveuglante, elle évoque le crépuscule d’une femme déchue, ou l’aube d’une condamnation imminente. Avec ce texte qui joue des répétitions, des accélérations et des silences, c’est le processus mémoriel qui est déroulé. Comme ce fameux rembobinage que l’on évoque avant chaque trépas, ce chant du cygne raconte les épisodes plus ou moins anodins de la vie d’un personnage historique.
Robe noire
Si l’expérience « bobwilsonienne » est à vivre en salle, c’est parce qu’elle laisse en chacun de nous une impression rétinienne. Si quelques-uns parviennent à capter sa lumière, aucun appareil n’est capable de restituer la sensation visuelle alors provoquée par chacune de ces nouvelles créations. Ce sont des effets ciselés où la silhouette se confond avec l’ombre et un éclairage graphique qui perturbe la lecture de l’espace. La silhouette de Marie Stuart qui se meut sur un plateau libre devient parfois fantôme grâce aux effets lumineux. L’œil du spectateur en permanence sollicité se laisse surprendre par des apparitions d’objets ou des effets visuels fantasmagoriques. Soudain, les derniers moments de la représentation reprennent ceux du début. L’éclat de vie pour le personnage et de rêve pour les spectateurs prennent fin. Noir.
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Photo en tête de l’article : Mary Said What She Said – Metteur en scène : Bob Wilson – Espace Cardin, Paris, France – Silhouette de Isabelle Huppert dans la fumée © Lucie Jansch
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Lieu
- Espace Cardin
- Paris, France