Megalopolis : quelle est l’emprise du temps sur les hommes ?
Le maître du cinéma, Francis Ford Coppola, a longuement maturé son projet de film intitulé Megalopolis. Inspiré par le film La Vie Future d’H.G. Wells des années 30 et la Conjuration de Catilina, cette œuvre est monumentale, voir déstabilisante, dans tous les sens du terme.
« L’histoire se déroule dans une sorte de New York stylisé, dépeint comme le cœur du pouvoir mondial. Cicéron en est le maire à une époque de vaste tourmente financière, à l’image de la crise financière qui s’est déclenchée lorsque Dinkins était maire de New York.
César, de son côté, est un maître bâtisseur, un grand architecte, un créateur, et un scientifique, inspiré à la fois de Robert Moses, tel qu’il est évoqué dans la brillante biographie The Power Broker, mais aussi des architectes Frank Lloyd Wright, Raymond Loewy, Norman Bel Geddes, ou Walter Gropius. »
Francis Ford Coppola, scénariste, producteur et réalisateur
Dans le film, l’architecte César a le pouvoir d’arrêter le temps. D’où l’une des deux affiches de Megalopolis qui signe l’une des premières scènes.
Au sommaire
Quelle est l’emprise du temps sur les hommes ?
Débuté dans les années 1980, le projet de film de Copola se heurte aux tragédies de la vie et aux défis du temps, l’un des sujet central du film au final de cette production.
Le cinéaste rêve alors d’une épopée moderne, reflétant le miroir de la Rome antique à travers le prisme d’un New York contemporain.
En 2001, des lectures du scénario à New York rassemblent les acteurs iconiques telles que De Niro et DiCaprio. Mais le 11 septembre stoppe brutalement la progression du projet. L’idée persiste, évoluant dans l’esprit du réalisateur malgré le manque de financements en 2007. Galvanisé par une passion indéfectible, Coppola refuse de renoncer.
“En 2005, alors qu’on était en prépa pour L’Homme sans âge, je me souviens d’avoir vu un dessin extraordinaire d’un homme et d’une femme perchés sur le cadran d’une horloge surplombant une ville. On m’a dit que c’était un graphique pour Megalopolis. C’était tellement fort visuellement que je n’ai jamais pu l’oublier
22 ans plus tard, nous avons achevé Megalopolis – le plan du cadran de l’horloge géante est désormais une scène du film et nous nous sommes servis de quelques images de Ron Fricke.”
Mihai Malaimare Jr., chef-opérateur de Megalopolis
À 80 ans, en pleine pandémie, il ressent une urgence créative. Ralliant un casting prestigieux, il convainc Adam Driver et Nathalie Emmanuel de jouer dans le film. Puis, Coppola vend une part de son vignoble pour financer cette aventure cinématographique.
L’équipe s’installe à Atlanta, riche en décors et techniques modernes. Symbolisant l’alliance entre art et détermination, le réalisateur transforme un motel en bastion créatif. Le tournage débute en novembre 2022 et s’achève en mars 2023.
Esthétique visuelle de Megalopolis
L’esthétique du film prend vie comme une tapisserie destinée à captiver l’œil et stimuler l’imaginaire. Dans l’univers de Megalopolis, chaque détail est méticuleusement agencé pour tisser une toile visuelle intrigante, souvent en clair obscur, jouant des ombres et des lumières.
L’équipe du film se compose cinq personnes clés autour du cinéaste.
- Directeur de la photographie : Mihai Malaimare Jr.
- Graphiste : Dean Sherriff
- Chefs décorateurs : Bradley Rubin et Beth Mickle
- Chef costumière : Milena Canonero
Le réalisateur, avec un esprit ludique, transforme le processus de création en une partie de ping-pong incessante. Les idées jaillissent et évoluent au gré des échanges, incarnant l’essence même de la créativité partagée.
Architecture, mégalon et jeux du cirque dans Mégalopolis
Contacté par le réalisateur, le concepteur visuel Dean Sherriff a rapidement été plongé dans le projet de Megalopolis. Ainsi, il a puisé dans les classiques de Coppola, comme Le Parrain, pour en capter l’essence visuelle.
L’Art Déco et les fresques murales des années 30 ont également servi de références pour créer une atmosphère unique.
Dans le film, le Megalon est un matériau de construction miraculeux inventé par l’architecte César Catilina. En s’inspirant de l’œuvre de l’architecte et designer Neri Oxman, tout comme l’acteur, elle est passionnée par la synergie nature humanité. Ce qui se manifeste à travers le design, la technologie et la biologie dans le parti choisi.
“Megalopolis ne se situe pas à une époque spécifique. C’est pour cela que Francis a travaillé pendant quelques semaines avec Dean Sherriff en prépa pour créer des visuels de référence qui nous ont servi de points de repère esthétiques pour tout le film. Ce n’étaient pas que des références, mais des directions précises pour sa vision du film, qui évoquaient la composition, les couleurs, les éclairages. C’était extrêmement complet. Ces visuels de référence nous ont servi de matrice et on a pu s’en inspirer pour le langage visuel du film.”
Mihai Malaimare Jr., chef opérateur de Megalopolis
Le plus grand défi ? Représenter le Madison Square Garden, transformé en Colisée, pour une scène de mariage grandiose qui occupe une première partie du film.
En s’inspirant de l’architecture romaine antique, Sherriff a créé un visuel qui a servi de guide pour toute l’équipe. Un mélange audacieux entre l’ancien et le moderne.
Il réinvente l’attraction des jeux de la Rome antique avec une course de char, des combats et des jeux scéniques pour finir par une chanson aérienne, tel le cirque du Soleil.
Architecture futuriste, biomimétisme et costumes
L’architecture futuriste de la fin du film fusionne nature et humanité. C’est une symphonie de design et de biologie, lumineuse et ouatée, qui contraste avec le reste de Megalopolis, plutôt noir et coloré.
« Quand on tourne dans des environnements extraordinaires, y compris une ville du futur, je me demande toujours à quoi ressembleront les intérieurs. La nature nous procure des matières vivantes qui poussent spontanément et cohabitent avec les êtres humains qui vivent parmi elles. On est tentés de construire des décors extraordinaires, puis d’y installer des meubles et des objets de décoration tout aussi extraordinaires. Mais je me rends compte que si on se contente d’y mettre des chaises et des tables parfaitement normales sans qu’il s’agisse d’objets futuristes, c’est mieux parce que, d’une certaine façon, ils deviennent invisibles. On admire l’environnement dans lequel ils se trouvent sans se laisser distraire par des meubles étranges, ce qui donne le sentiment que des hobbits y habitent ».
Francis Ford Coppola, scénariste, producteur et réalisateur
Les costumes, sous la direction de Milena Canonero, deviennent des entités à part entière, incarnant l’âme des personnages. Inspirés de la Rome antique, ces vêtements transcendent le temps et les modes, enrobant les acteurs dans des récits invisibles qui enrichissent l’intrigue. Chaque tenue est une pièce maîtresse, alliant austérité et extravagance pour dépeindre des personnalités fascinantes qui se fondent dans un décor tout aussi captivant.
Synopsis du film Megalopolis
Megalopolis est une épopée romaine dans une Amérique moderne imaginaire en pleine décadence.
La ville de New Rome doit absolument changer, ce qui crée un conflit majeur entre César Catilina, artiste de génie ayant le pouvoir d’arrêter le temps, et le maire archi-conservateur Franklyn Cicéron. Le premier rêve d’un avenir utopique idéal alors que le second reste très attaché à un statu quo régressif protecteur de la cupidité, des privilèges et des milices privées.
La fille du maire et jet-setteuse Julia Cicéron, amoureuse de César Catilina, est tiraillée entre les deux hommes et devra découvrir ce qui lui semble le meilleur pour l’avenir de l’humanité.
4 personnages clés du film Megalopolis
César Catilina, architecte visionnaire, par Adam Driver
César fascine par sa complexité. Imprévisible mais déterminé, il rêve d’un monde meilleur. Indifférent à son statut de rock star, aimé de tous, il allie humilité et empathie. Sur le tournage, l’acteur américain Adam Driver dévoile son audace, percutante et inspirante.
Des scènes de son atelier d’architecture futuriste, entre art immersif et science dure, aux improvisations des soirées arrosées, le film révélé un fil émotionnel plutôt que logique du personnage. Par exemple, la lumière bi teinte, turquoise et rouge, de certaines scènes rappelle celle du clip vidéo de Stromae, Tous les mêmes.
Franklyn Cicéron, maire de New Rome, par Giancarlo Esposito
Cicéron, conservateur dévoué aux institutions, est tiraillé entre des pressions multiples. Moraliste et sceptique face à l’innovation, il incarne un défenseur sincère mais limité de la ville. Son portrait rappelle celui de David Dinkins, ancien maire de New York, homme de vision mais miné par des contraintes financières.
Chaque jour, l’acteur Giancarlo Esposito recevait des SMS inspirants du réalisateur. Ce n’était pas comme ordres, mais il s’agissait d’éclairer la subtilité de chaque scène, partageant ses attentes, avec bienveillance et profondeur.
Julia Cicéron, amante de César, par Nathalie Emmanuel
Julia, belle et réputée fêtarde, n’est pas superficielle. Dotée d’une intelligence remarquable, elle s’engage passionnément pour le projet de ville nouvelle Megalopolis. Elle aime profondément César. Malgré un père difficile, elle le chérit et veut le protéger. Issue d’un milieu privilégié et archaïque, elle apparaît d’abord rebelle sans vraiment révolutionner son entourage.
Sur le plateau, Nathalie Emmanuel vie la mise en scène expérimentale du cinéaste. Souvent déstabilisante pour l’actrice, elle libère pourtant une créativité inédite, loin de la routine habituelle.
Wow Platinum, journaliste, par Aubrey Plaza
Wow Platinum, surnommée la « déesse de l’argent », est une figure brillante de la finance, mais aussi superficielle et narcissique. Fatiguée des reportages sur l’endettement urbain, elle cherche à conquérir sa propre richesse et une place parmi les puissants, tout en aimant profondément César. Malgré son humour brillant, sa carrière décline et elle ambitionne de rejoindre la famille la plus riche.
Entre improvisations et éclats de rire, l’actrice Aubrey Plaza à fait un casting improbable avec le réalisateur via Zoom. Contre toute attente, elle décroche le rôle, prête à incarner son ambition avec flair.
Équipe artistique derrière la caméra
Francis Ford Coppola – Scénariste / Producteur / Réalisateur
Né en 1939, il surmonte la polio par sa passion pour le cinéma. Francis Ford Coppola, cinéaste emblématique, a marqué l’histoire du cinéma avec cinq Oscars et deux Palmes d’or. Fondateur d’American Zoetrope, il a révélé des talents comme George Lucas et influencé des acteurs majeurs. Des chefs-d’œuvre tels que Le Parrain et Apocalypse Now témoignent de sa vision novatrice et de son audace artistique. Malgré des défis financiers, Coppola réinvente le langage cinématographique avec des innovations technologiques et reste une figure inégalée de la créativité cinématographique.
Mihai Malaimare Jr., ASC – Directeur de la photographie
Mihai Malaimare Jr., chef-opérateur roumain, collabore avec Francis Coppola pour la quatrième fois sur Megalopolis. Diplômé de l’université de théâtre et de cinéma de Bucarest, il est réputé pour son travail sur L’homme sans âge, qui lui a valu une nomination à l’Independent Spirit Award, et The Master lui a offert une nomination au Camerimage Golden Frog, il a également brillé sur Jojo Rabbit, récompensé par le Hollywood Film Award. Il a aussi signé la photo de The Hate U Give, salué par la critique.
Ron Fricke – Directeur de la photographie 2ème équipe
Ron Fricke, réalisateur et chef-opérateur américain, excelle dans la photographie en accéléré et le format large. Responsable de la lumière de Koyaanisqatsi, il a réalisé Baraka, utilisant son propre matériel de tournage 65 mm. Il a dirigé les films IMAX Chronos et Sacred Site et a contribué à Star Wars : Épisode III. Fricke a récemment travaillé sur Samsara et Journey of Hanuman.
Dean Sherriff – Concepteur visuel
Originaire de Toronto, Dean Sherriff vient d’une lignée d’architectes depuis trois générations. Diplômé en illustration de l’Ontario College of Art and Design University, il démarre dans la publicité et illustre pour des journaux avant de se tourner vers l’animation. En 2002, il rejoint l’équipe d’X2. Désormais résident de Los Angeles, il contribue à des films majeurs comme Watchmen, Jurassic World et Godzilla X Kong.
Bradley Rubin – Chef-décorateur
Installé à Los Angeles, Bradley Rubin, né à Puerto Rico, a parcouru les États-Unis durant son enfance. Passionné de design, il étudie l’architecture à Syracuse University avant de se tourner vers le cinéma, inspiré par le décorateur Paul Sonski et sa visite du plateau de Rush Hour 3. Il a participé à la création des décors de films et séries tels que The Mandalorian, Westworld, A Star Is Born, S.O.S. Fantômes, et Our Flag Means Death.
Beth Mickle – Chef-décoratrice
Beth Mickle, décoratrice acclamée, a collaboré à de nombreux films notables. En 2011, elle travaille sur Drive de Nicolas Winding Refn et retrouve le réalisateur pour Only God Forgives. Elle signe les décors de Lost River de Ryan Gosling et de Diversion avec Glenn Ficarra et John Requa. Son talent sur An Englishman in New York lui vaut une nomination au Bafta. En 2018, elle remporte un Golden Satellite Award pour Brooklyn Affairs. Plus récemment, elle réalise les décors de The Suicide Squad et Les Gardiens de la Galaxie 3.
Milena Canonero – Chef-costumière
Milena Canonero, talentueuse costumière quatre fois oscarisée, a fait ses débuts en Angleterre avant de collaborer avec Stanley Kubrick sur « Orange Mécanique », « Barry Lyndon », et « Shining ». Elle a remporté des Oscars pour « The Grand Budapest Hotel », « Marie Antoinette », et « Les Chariots de Feu ». Elle a également travaillé avec Coppola pour « Cotton Club » et « Le Parrain 3 ». Elle a signé les costumes de nombreux films comme « Midnight Express », « Out of Africa », « La Vie Aquatique », et « The French Dispatch ». Productrice associée de « Good Morning Babilonia », elle a aussi collaboré avec de grands opéras tels que la Scala et l’Opéra Garnier.
Roman Coppola – Réalisateur 2ème équipe
Roman Coppola, réalisateur et scénariste nommé aux Oscars, a grandi dans le monde du cinéma, occupant divers rôles, de preneur de son à superviseur des effets visuels, notamment pour Dracula. Auteur de CQ et Dans La Tête De Charles Swan III, il a été crucial dans les œuvres de Sofia Coppola et Wes Anderson comme Lost In Translation et Moonrise Kingdom. Fondateur de The Directors Bureau, il a également réalisé des clips pour Paul McCartney, Daft Punk, et d’autres artistes.
Osvaldo Golijov – Compositeur
Osvaldo Golijov, lauréat de la MacArthur Fellowship, est un compositeur contemporain de renom. Collaborateur fréquent de Francis Coppola, il a notamment contribué à L’HOMME SANS ÂGE et TETRO. Parmi ses œuvres majeures figurent la St. Mark Passion et l’opéra Ainadamar. Né en Argentine en 1960, Golijov a résidé à Jérusalem avant de s’établir aux États-Unis en 1986. Il a collaboré avec des artistes tels que Yo-Yo Ma et le quatuor Kronos. Récemment, il a composé LAIKA pour Anthony Roth Costanzo et The Given Note pour Johnny Gandelsman.
Jesse James Chisholm – Superviseur effets visuels Jesse James
Jesse James Chisholm a commencé sa carrière en 1997 chez Digital Domain, puis a rejoint Marvel Studios en 2016. Il a travaillé sur « L’Étrange Histoire de Benjamin Button » et « Ant-Man et la Guêpe », collaborant avec des réalisateurs tels que David Fincher et Steven Spielberg. Polyvalent, il a assuré des tâches allant du nettoyage au superviseur des effets visuels.
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Photo en tête de l’article : Megalopolis, film Francis Ford Coppola – Directeur de la photographie Mihai Malaimare Jr. – Graphiste Dean Sherriff – César Catilina, par Adam Driver, Julia Cicéron, par Nathalie Emmanuel © 2024 Caesar Film LLC