Mouvement et lumière à la Villa Datris de L’Isle-sur-la-Sorgue
L’Isle-sur-la-Sorgue est une paisible commune du Vaucluse qui s’agite dès les beaux jours venus. Les touristes flânent aux bords de la rivière, espérant y glaner une improbable fraîcheur. La Villa Datris fait partie du parcours le long de la Sorgue. Son nom interroge. Qui sont ces Datris ? Une riche famille provençale du siècle dernier ? Pas vraiment. C’est une fondation créée en 2010 par Danièle Kapel-Marcovici, directrice de la société d’emballage Raja, et par l’architecte Tristan Fourtine, décédé en 2013. Ils ont choisi le lieu et le nom, concaténation du début de leurs deux prénoms, qui sonne telle une promesse d’enfance.
Centre d’art privé, la fondation promeut l’art et tout particulièrement la sculpture contemporaine. Une exposition y est organisée chaque année, financée entièrement par le mécénat. La visite y est libre et ouverte à tous. Cette année, et jusqu’au 1er novembre 2023, le mouvement et la lumière sont mis à l’honneur. Il s’agit d’une saison 2, 11 ans après la première. Sans doute un hommage à Tristan Fourtine (le « tris » de Datris), grand amateur de ce type d’art.
Art cinétique et art optique à L’Isle-sur-la-Sorgue
Il faut se replonger dans les années 1950 à 1970 pour saisir l’engouement des artistes pour cet art essentiellement abstrait et débarrassé de toutes références culturelles, ce qui à l’époque fit polémique. L’art cinétique introduit des parties en mouvement dans les œuvres, en rupture avec la fixité des sculptures traditionnelles. Calder avec ses mobiles, et Jean Tiguely avec ses machines animées et lumineuses, font partie des pionniers. Quand le mouvement est induit par le déplacement du visiteur, ou par des jeux ou illusions d’optique, on parle plutôt d’art optique ou Op Art. Émergent au milieu des années 60, l’artiste Victor Vasarely en est la figure la plus marquante.
La distinction entre art cinétique et art optique n’est pas toujours évidente : les procédés artistiques peuvent être mixtes et de nombreux artistes de cette génération pouvaient émarger dans l’une ou l’autre de ces catégories. À cela s’ajoute un art lumineux qui utilise les enseignes colorées des tubes au néon ou à d’autres gaz rares, ou la lumière blanche de tubes fluorescents, utilisée par Dan Flavin.
Les artistes vont se regrouper dans des collectifs comme le Groupement de recherche d’Art visuel (GRAV) en France au côté de François Morellet, ou les Gruppo N et Gruppo T en Italie avec Marina Apollonio et Grazia Varisco.
Diaspora sud-américaine dans l’exposition
Cet art obtient un succès international. Paris attire une diaspora d’artistes sud-américains qui vont explorer de nombreux effets visuels : les Argentins Julio Le Parc et Luis Tomasello, les Vénézuéliens Carlos Cruz-Diez et Jesús-Rafael Soto. L’exposition rend d’ailleurs hommage à ce dernier, dont le centenaire aurait été fêté cette année. Les visiteurs sont notamment accueillis par un Pénétrable qui annonce la couleur (bleue). La déambulation sera ludique et active. Les œuvres amusent, étonnent, voire fascinent les touristes de tout âge, venus souvent par hasard. Difficile par exemple de ne pas être émerveillé par la Sphère bleue de Julio Le Parc. Éclairée par une lumière (ultra)violette, la sphère est constituée de centaines de plaques rectangulaires suspendues. Fluorescentes, elles diffusent sur leurs bords une lumière bleue.
Si nous avons succombé jusqu’ici à la facilité du name dropping, c’est pour souligner la prouesse réalisée par l’exposition : tous les artistes cités ci-dessus sont représentés ! Le risque d’un trop-plein d’effets visuels a été évité grâce à la scénographie aérée et efficace de Laure Dezeuze. L’autre mérite de l’exposition est d’avoir fait dialoguer ces œuvres « historiques » avec des réalisations du XXIe siècle.
Désintérêt et renouveau du mouvement, et lumière dans l’art
Comment expliquer le désintérêt progressif pour l’art cinétique et l’art optique après les Trente Glorieuses ? Réappropriés et popularisés par la mode et le design, les effets visuels perdent de leur attrait en tant qu’œuvres d’art. Les artistes se tournent vers des approches plus conceptuelles, tandis que le mouvement et la lumière s’incarnent davantage dans l’art vidéo.
Il faut attendre le début du XXIe siècle pour que les musées remettent à l’honneur ces approches cinétiques et optiques comme en témoignent par exemple la grande exposition Dynamo : un siècle de lumière et de mouvement dans l’art, 1913-2013 au Grand Palais à Paris en 2013, ou actuellement la collection de la fondation Cherki à Aubervilliers.
Une nouvelle génération d’artistes se réapproprie la démarche. Et si les technologies ont évolué, on reste subjugué par la simplicité apparente des procédés mis en place. Ne pouvant être exhaustifs, limitons-nous à trois œuvres récentes fascinantes :
La Mare aux fées de Laurent Debraux est un mobile qui reconstitue lentement une branche d’arbre, et la déconstruit de manière cyclique d’un mouvement rapide.
Firefly biosphere (sunspotting) d’Olafur Eliasson semble un contrepoint à la Sphère bleue de Julio Le Parc. Il s’agit d’une sphère suspendue, transparente et dorée. Équipée de sources de lumière, les ombres de 3 polyèdres emboîtés projettent des motifs géométriques sur les parois de la salle. Quant à la traduction du titre de l’œuvre, Biosphère des lucioles (taches solaires), elle permet de nombreuses interprétations.
Surge drops d’Iván Navarro joue sur les réflexions multiples à l’infini de points lumineux colorés. Dans cette explosion multicolore émerge difficilement le mot Surge (surtension électrique) en référence au procédé de torture employé par le régime de Pinochet dans son Chili natal. Une note de gravité dans ce foisonnement de couleurs.
La visite se termine dans un petit jardin de sculptures que borde la Sorgue. Pour les lecteurs de Light Zoom Lumière, nous ne résistons pas à conclure avec l’œuvre de Jeppe Hein, pour une vision alternative et plus poétique de l’éclairage public.
Approfondir le sujet
Lieu
- Villa Datris
- L’Isle-sur-la-Sorgue, France
Livres
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