Sarkis mesure la lumière aux Jacobins de Toulouse
Monument phare de Toulouse situé en centre-ville, le couvent des Jacobins a été construit entièrement en briques au XIIIe siècle. Chef-d’œuvre de l’art gothique languedocien, son église impressionne par son volume : 28 mètres de haut et 80 de long. De hautes ouvertures permettent à la lumière de se diffuser dans cet espace.
Une installation lumineuse a investi les lieux à l’occasion du festival d’art contemporain Le Printemps de septembre en 2018. Quatre ans plus tard, on peut toujours l’observer, signe que l’artiste français d’origine arménienne Sarkis a su intégrer son œuvre avec humilité dans la majestuosité de l’espace.
Couleurs newtoniennes
Dans chacun des sept intervalles de la colonnade, un fin tube néon est suspendu. Rappelons que la couleur émise dépend du gaz utilisé dans la décharge électrique. Le terme générique « néon » provient du premier tube de ce type inventé en 1910 par Georges Claude et caractéristique par sa couleur rouge.
Dans une vision très newtonienne, Sarkis choisit les 7 couleurs qui, selon le savant anglais, décomposent le spectre de la lumière blanche. Newton avait ainsi opté pour le rouge, l’orange, le jaune, le vert, le bleu, l’indigo et le violet. Un choix arbitraire pour souligner l’analogie avec les 7 notes d’une gamme musicale. Comme l’indigo est difficile à distinguer du bleu et du violet, Sarkis opte pour un découpage plus moderne qu’il a déjà exploité dans des œuvres antérieures, justement nommées Rainbow. Au vert succèdent le cyan, le bleu et le violet.
Dans le chœur de l’église, Sarkis regroupe les 7 tubes colorés en une colonne lumineuse. Il reproduit le concept de Newton de représenter les couleurs non plus linéairement, comme lorsque la lumière blanche est dispersée à la sortie d’un prisme, mais sous forme circulaire, en rapprochant les deux extrémités du spectre, le rouge et le violet.
Toujours dans le chœur, une bande sonore réalisée avec le musicien Jacopo Baboni-Schilingi diffuse des bruits de l’extérieur, de la vie ordinaire. Peut-être faut-il interpréter ce rapprochement entre sons et couleurs comme une ultime référence à Newton. Mais à la différence du savant, Sarkis associe le bruit au monde terrestre et offre aux lumières colorées une tout autre élévation.
La mesure de la lumière
Le plus étonnant dans cette œuvre, c’est peut-être son titre : Mesure de la lumière. Du rationnel dans une église. Celui-ci fait écho à l’Essai d’optique de Pierre Bouguer que Light Zoom Lumière vient de rééditer. Ce savant du siècle des Lumières propose, pour la première fois, une méthode pour mesurer une intensité lumineuse. Le principe consiste à égaliser visuellement les luminosités entre deux zones éclairées par la source de lumière à mesurer, et par une source de référence. Mesurer la lumière revient simplement à évaluer les distances entre les sources et l’écran. Avant l’établissement du système métrique pendant la Révolution française, Bouguer utilisait la toise du Châtelet comme unité (environ 1,95 m). La canne de Toulouse est sensiblement plus petite (environ 1,80 m). C’était l’unité de mesure en usage lors de la construction de l’église des Jacobins. C’est également celle que choisit Sarkis. Ainsi, des cordes à nœuds pendent le long des tubes et en mesurent la taille. La Mesure de la lumière est donc à comprendre à la fois par le découpage spectral avec le choix des 7 couleurs et par le lien entre la lumière et les 28 mètres de hauteur du bâtiment.
Dans l’ensemble de ses œuvres, Sarkis interroge les pratiques artistiques et les correspondances avec des artistes du passé. C’est peut-être en plaçant des lumières colorées pour souligner la verticalité de cette église du XIIIe siècle que Sarkis y est le mieux parvenu.
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Photo en tête de l’article : Mesure de la lumière, Sarkis, 2018 – Installation lumineuse intérieure, couvent des Jacobins, Toulouse, France © Thomas Delsol
Équipe du projet
Lieu
- Couvent des Jacobins
- Toulouse, France