Unité d’habitation Le Corbusier de Firminy et la Lune

À mi-distance de Lyon et du Puy-en-Velay, Firminy est une ancienne ville minière du XXème siècle. Située dans Saint-Étienne Métropole, l’unité d’habitation de l’architecte Le Corbusier s’affirme immédiatement dans le paysage. Orienté nord-sud, l’immeuble d’habitation en béton fait 130 mètres de long, 21 mètres de large et 51 mètres de haut. Ainsi, pendant la journée, il fait la place belle à la lumière naturelle, selon la course du soleil.

En 2016, Saint-Étienne Métropole et la ville de Firminy lancent un concours de maîtrise d’œuvre pour la réalisation d’une œuvre lumière du bâtiment. C’est une équipe pluridisciplinaire qui est lauréate :

• Concepteur lumière : Rich designers, Isabelle Rolland et Christophe Hascoët
• Artiste plasticien : Bruno Peinado
• Bureau d’études : CAP Ingelec

La même année, le site Le Corbusier de Firminy est classé au Patrimoine mondial de l’Unesco dans la Loire. Avec une maison de la Culture, un stade, une unité d’habitation et la posthume église Saint-Pierre, cet ensemble urbain remarquable devient le premier site de l’architecte en Europe. Qu’attendez-vous pour le visiter ?

Faire œuvre lumière avec l’unité d’habitation Le Corbusier

Sans le dénaturer, comment faire œuvre lumière sur un bâtiment emblématique de l’architecture moderne ? En effet, l’unité d’habitation de Firminy a été conçue pour vivre avec la lumière du jour et le soleil. C’est sa grande force avec le béton qui la constitue.

Le Corbusier a été un des premiers architectes à intégrer pleinement la lumière artificielle, d’origine électrique, en architecture. Très tôt, il crée des luminaires. Dès 1925, il met les ampoules à nu et les fixe à des tubes au plafond de la salle à manger de la maison La Roche. A l’intérieur des sept rues de l’unité d’habitation elle-même, il conçoit des éclairages ponctuels des portes dramatisent l’espace pour rentrer chez soi. Ils accueillent aussi le visiteur dans une scénographie colorée et vivante des couloirs de l’immeuble.

« De deux choses Lune, l’autre, c’est le Soleil » Jacques Prévert

Dans le paysage singulier du Firminy-Vert, pour participer au rayonnement du territoire Le Corbusier à Firminy et valoriser son patrimoine architectural, l’équipe Rich, Peinado et Cap Ingelec explique :

« L’œuvre lumière convoque à la fois les fondamentaux de l’architecture de Le Corbusier. Dans ses rapports à la nature, aux astres et aux habitants, à la matière et à la couleur. Elle offre deux perceptions visuelles et temporelles complémentaires. La dimension poétique se conjugue à la dimension patrimoniale. Elle réinvestit les lieux et nous raconte une nouvelle histoire. »

Isabelle Rolland et Christophe Hascoët, concepteurs lumière, Rich designers

Bruno Peinado, artiste

L’œuvre lumière s’organise en deux phases :

• « le grand paysage », livrée en décembre 2020,
• « le paysage de l’intime », non réalisée à ce jour.

Effets de Lune sur Le Corbusier à Firminy

Pour donner à voir la nuit, Le Corbusier Firminy, la première phase de l’œuvre lumière raconte le geste architectural de Le Corbusier. Dans le grand paysage, à une bonne distance du monument, le couronnement du bâtiment s’anime de manière subtile et qui fait sens. Il devient un panorama de lumière dynamique, au rythme de la Lune.

« La métaphore de la Lune, l’Astre de la Nuit, se substitue au Soleil, l’Astre du Jour, si déterminant dans l’œuvre de Le Corbusier. La Lune, sa lumière blanche, sa mécanique cosmique immuable, devient le principe actif et dynamique de l’œuvre lumière ».

Isabelle Rolland et Christophe Hascoët, concepteurs lumière, Rich designers

Bruno Peinado, artiste

Les trois niveaux du toit terrasse de l’unité d’habitation Le Corbusier Firminy sont accentués en lumière rasante. Les volumes s’animent dans une lumière blanche, lunaire et dynamique. Les dimensions du bâtiment apparaissent au gré l’éclairage changeant et évolutif.

Côté technique d’éclairage, selon le recul disponible en toiture terrasse, soit des :

• appareils linéaires LED, Linealuce Mini 12/18° de iGuzzini, sont installés en lumière rasante,
• projecteurs cubiques LED, Ipro Moyen 47° de iGuzzini, en éclairage en contre-plongée.

Des optiques intensives ont été privilégiées pour maitriser au maximum la dispersion des flux lumineux. L’ensemble a une température de couleur de 4000 K qui rappelle celle de la Lune.

Séquences lunaires dynamiques en toiture terrasse

Quatre séquences d’éclairage dynamique ont été conçues par l’équipe de maitrise d’œuvre :

• pleine Lune,
• Lune croissante,
• Lune décroissante,
• nouvelle Lune.

Sur quatre semaines calendaires, elles sont synchronisées aux quatre phases réelles de lunaisons. La séquence change donc toutes les 7 nuits. Chacune dure environ 2,40 minutes et tourne en boucle. Elles sont différentes graphiquement avec des vitesses plus ou moins rapides.

Comme disent les concepteurs lumière, « elles se succèdent et animent les volumes à la manière d’un « jeu savant, correct et magnifique » inscrivant l’unité d’habitation dans cette dimension du temps universel ».

« La nuit, c’est la lune qui devient l’astre de référence, la lumière blanche évocatrice du blanc de chaux ».

L’expression narrative du bâtiment sous l’effet de la Lune se combine en quatre séquences écrites à la manière d’une partition. La succession de rythmes et de climats alternent moments de tension et de silence. Une diversité d’émotions et d’instants lumière fugaces qui font mémoire au maître de l’architecture moderne.

L’ensemble des 138 appareils d’éclairage est géré en gradation par les protocoles de commande DALI et DMX. En effet, les cinq typologies d’appareils d’éclairage de l’œuvre lumière n’utilisent pas toutes le même protocole, tout en étant du même fabricant de luminaires.

Les appareils linéaires du toit terrasse sont ainsi soit en DMX, soit en DALI. « Les DMX sont adressables individuellement et constituent l’essentiel de la dynamique rapide, tandis que les appareils DALI sont simplement gradués à des niveaux d’éclairement spécifiques à chacune des quatre séquences. Ils ne sont pas dynamiques » précise Christophe Hascoët.

« Les quatre séquences dynamiques : Pleine lune – Lune croissante – Lune décroissante – Nouvelle lune, se succèdent (49 cycles) au cours de l’année selon le calendrier lunaire réel. Rich designers a écrit ces quatre séquences sur ESA Pro et ensuite Lumières Utiles a traduit l’ensemble en langage Pharos.

Éclairage statique en galerie basse

La galerie basse sous l’unité d’habitation de Firminy est ponctuellement mise en lumière. Le bas-relief du Modulor de Le Corbusier est éclairé depuis deux appareils encastrés à LED, Light Up Earth, 4000 K de 19W, de chez iGuzzini. Ici, ce n’est pas le mètre qui est l’unité de mesure du bâtiment, mais un homme de 1,82 mètres représenté en moulage dans le béton.

Les modénatures des pilotis en béton sont accentuées avec une lumière en contre-plongée. Deux faisceaux croisés de projecteurs cubiques LED, Ipro Petit 52°, 4000 K de 12W sont mis en œuvre. Comme un rayon de Lune, ils créent une ombre portée nette très graphique.

Les projecteurs sont fixés sur une plaque en aluminium ajoutée dans les réservations cylindriques existantes dans le béton. Ils communiquent avec la galerie technique qui court au-dessus de la dalle de la galerie basse pour alimenter les appareils d’éclairage. En sous face du bâtiment, ces dernières devaient servir à la ventilation naturelle du bâtiment Le Corbusier à Firminy.

Ce travail de lumière statique est dense au niveau de l’accès au bâtiment, et de moins en moins. Il s’inscrit de l’alternance gauche-droite de la géométrie des pilotis à pan coupé qui donne du rythme.

Intégration des luminaires et approche environnementale

L’équipe Rich, Peinado, Cap Ingelec a multiplié les essais in situ pour répondre avec justesse aux multiples enjeux. Avec des modalités de mise en œuvre délicates et réversibles, l’installation lumière a été intégrée au bâtiment. « Une étude technique minutieuse a permis la conception et le développement d’accessoires de fixation, la distribution électrique raisonnée et une exécution attentionnée et précise de l’installateur » précisent-ils.

L’installation électrique de Bouygues Energies & Services Loire Auvergne est exclusivement réalisée avec des luminaires LED à faible consommation énergétique. Les frais d’électricité sont financés par Saint-Étienne Métropole.

Pour ne pas perturber les animaux, « un travail avec la Ligue de Protection des Oiseaux a été mené : l’œuvre lumière respecte les oiseaux, notamment les hirondelles qui nichent sous les pilotis du bâtiment » précisent les concepteurs.

L’œuvre lumière s’allume, chaque jour, à l’heure du crépuscule et s’éteint à minuit. Une synchronisation parfaite qui permettra de développer le site Le Corbusier de la ville de Firminy comme destination touristique en nocturne. Cette séquence lumineuse apaisante augmentera aussi les nuitées sur l’agglomération Saint-Etienne Métropole.

Le paysage de l’intime – 2ème phase – non réalisée

« La seconde face de l’œuvre est liée à la pratique du lieu. C’est la dimension plus subjective de l’œuvre, qui se construit avec les habitants et riverains, par une lumière colorée, faisant référence à la constellation d’Orion et à la polychromie des « claviers de couleurs » créés par Le Corbusier ».

« Munis de photophores, les habitants seront invités à se réunir. Cette soirée sera l’occasion d’une prise de vue depuis le toit terrasse. Un rendez-vous céleste… Cartographiée, la photographie deviendra le support d’un tracé. Il portera autant de jalons colorés dessinant la constellation d’un ensemble d’individualités.

La constellation, dans un geste d’hommage à la figure de Le Corbusier fait référence à la constellation d’Orion de l’église Saint-Pierre ».

Isabelle Rolland et Christophe Hascoët, concepteurs lumière, Rich designers

Bruno Peinado, artiste

Quelques chiffres et dates

• Coût des travaux : 160 000 € HT
• Subvention par la région Auvergne-Rhône-Alpes : 65 000 €
• Appareils d’éclairage LED : 138
• Concours : janvier 2016
• Inauguration : décembre 2020
• Allumage de l’œuvre lumière : du crépuscule à minuit

Histoire de l’unité d’habitation Le Corbusier de Firminy

Dans les années 50, face à la forte croissance de la population, l’ancien ministre de la Reconstruction et maire de la ville, Eugène Claudius-Petit, lance le projet de Firminy-Vert. Reprenant les principes de la Charte d’Athènes du congrès international d’architecture moderne de 1933, l’architecte urbanisme, Charles Delfante, dessine ce projet d’urbanisme. Sur les hauteurs de la cité, l’architecte Le Corbusier conçoit trois unités d’habitation. Une seule de 414 logements sur 17 niveaux sera construite à partir de 1965, année du décès du maitre de l’architecture moderne. Son disciple André Wogenscky poursuivra les travaux jusqu’à l’inauguration en 1967 de l’immeuble d’habitation.

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Photo en tête de l’article : Œuvre lumiere, Unité d’habitation Le Corbusier de Firminy, France – Concepteur lumière : Rich designers – Artiste : Bruno Peinado – Photo : Vincent Laganier © Fondation Le Corbusier, Adagp, Paris, 2021